lundi 30 août 2021 - par Dr. salem alketbi

La Russie et les talibans : des signaux intéressants

Au milieu de l’accélération des événements et de la préoccupation du monde à suivre ce qui se passe en Afghanistan depuis que les talibans ont pris le contrôle de la capitale, Kaboul, il y a des signes que l’observateur ne peut pas négliger. Ce n’est pas seulement parce qu’ils concernent des parties internationales importantes, comme la Russie.

Mais ils peuvent aussi prédire des changements géopolitiques majeurs dans le paysage stratégique au cours de la période à venir. La Russie, pour l’Afghanistan et les Afghans, n’est pas une force internationale comme les autres, comme on le sait, étant donné l’héritage de l’intervention soviétique dans ce pays.

Mais la Russie, héritière légitime de l’ancienne Union soviétique, mène une politique étrangère pragmatique qui ne fait pas de place aux idéologies. Le président Vladimir Poutine traite sur la base des intérêts stratégiques russes où qu’ils se trouvent. Dès lors, les signes et le ton conciliant échangés entre la Russie et les talibans afghans ne semblent pas hors contexte.

Si la Russie de Poutine peut converger et même s’allier avec ceux qu’elle considérait hier comme des ennemis, le fait que les talibans montrent autant de respect, d’appréciation et d’amabilité à l’égard de la Russie reflète aussi des choses importantes liées aux orientations de la politique étrangère du mouvement dans la période à venir.

La Russie a nommé depuis quelque temps un envoyé spécial présidentiel en Afghanistan, Zamir Kabulov, qui est directeur du deuxième département asiatique du ministère russe des Affaires étrangères. Son rôle s’est fortement affirmé récemment dans la gestion des relations de son pays avec l’Afghanistan dans la période post retrait américain.

De nombreuses positions marquantes se sont manifestées, notamment son affirmation selon laquelle la Russie n’a pas besoin de conseils de l’étranger sur ce qu’il faut faire en Afghanistan. Cette position est une réponse à la déclaration du président Joe Biden concernant un éventuel appel des États-Unis à d’autres pays, dont la Russie, pour soutenir l’Afghanistan.

“Nous n’avons pas besoin de conseils de l’extérieur sur ce que nous devons faire,” a déclaré Kabulov. Les décisions sur cette question sont prises par les dirigeants russes. “Cette aide (pour l’Afghanistan) est actuellement fournie. Tout le monde le sait.”

La Russie entend gérer ses relations avec les talibans en s’isolant des États-Unis. Il y a aussi une déclaration importante faite par Kabulov sur l’émission de la chaîne russe Channel 1 : “Nous ne voyons aucune menace directe pour nos alliés en Asie centrale (par les talibans). Il n’y a même pas un seul fait qui suggère le contraire,” a-t-il dit, notant que “la Russie a une base et des contacts établis avec les talibans.”

“Nous sommes en contact avec les talibans depuis longtemps,” a-t-il dit. “Le fait est que nous avons déjà préparé la base des pourparlers avec les nouvelles autorités, c’est un atout de la politique étrangère russe que nous utilisons pleinement pour le bénéfice à long terme de la Russie.”

Ces déclarations importantes sont liées à une autre déclaration de Kabulov dans laquelle il a exprimé l’optimisme de Moscou sur les relations entre la Russie et l’Afghanistan après le changement de pouvoir en Afghanistan, en disant : “Ce n’est pas seulement mon espoir. Nous sommes confiants à ce sujet.

Nous allons construire nos relations sur la base de l’équilibre des résultats de notre travail au cours des dernières années,” a-t-il dit, révélant ses contacts continus avec le mollah Abdul Ghani Baradar, chef du bureau politique des talibans basé à Doha.

En lisant les réactions russes, on peut construire des conclusions selon lesquelles les voisins de l’Afghanistan, dont la Russie et la Chine, ont compris depuis longtemps que les États-Unis prévoient de quitter l’Afghanistan et d’exporter les crises du pays vers les pays voisins.

Les deux dernières décennies ont été marquées par une erreur stratégique majeure des États-Unis, celle de porter le lourd fardeau du contrôle de la situation sur place avec tous les coûts humains, matériels, militaires et politiques que ça implique.

Le retrait américain signifie laisser une épine dans le flanc pour les voisins de l’Afghanistan, en particulier ceux qui ont des dossiers controversés. En théorie, les Talibans restent idéologiquement en désaccord avec le régime chiite iranien. Il existe un héritage ancien avec la Russie depuis l’occupation soviétique. Il y a une vision chinoise d’un système religieux strict à ses frontières.

Il est donc clair que la Russie a prévu de s’occuper de la situation actuelle en Afghanistan depuis un certain temps, étant donné la priorité de la question de la lutte contre le terrorisme dans sa politique étrangère, son engagement à assurer la sécurité des pays voisins avec lesquels elle a un accord de sécurité collective, et la réalisation par la Russie que Daesh, basé dans certains États du nord de l’Afghanistan, est plus dangereux pour ces pays que le mouvement.

Dès les premières heures de son entrée dans Kaboul, il a sécurisé l’ambassade de Russie à Kaboul, ce qui a fait dire à l’ambassadeur que le bâtiment de l’ambassade russe est fortement gardé par les combattants talibans. Il a salué leur performance et leur souci de la sécurité du personnel de l’ambassade de Russie dans leur capitale.

“Actuellement, l’ambassade est gardée par un grand nombre de combattants talibans. Ils ont laissé une très bonne impression, des hommes raisonnables et bien armés qui ont imposé un cordon étroit autour du bâtiment, afin qu’aucun terroriste ou imbécile ne puisse s’infiltrer chez nous.”

En résumé, la Russie a peut-être compris que les États-Unis ont l’intention de faire des talibans une épine dans les relations entre la Russie et la Chine. Elle a accéléré ses relations fortes avec lui, tout comme la Chine et d’autres pays. Ainsi, nous verrons peut-être une lutte géopolitique internationale et régionale faire rage pour gagner l’amabilité des Talibans dans la période à venir.



13 réactions


    • Clark Kent Lampion 30 août 2021 13:47

      @voxa

      Gengis Khan ?


    • Pascal L 30 août 2021 16:10

      @Lampion
      On ne peut pas attendre plus de Al-Jazeera. Leur point de vue se comprend à partir de la doxa des Frères Musulmans qui prévoit tout simplement que l’islam gouvernera le monde et que ce fait permettra le retour du Christ. Encore que là, tous les Musulmans ne sont pas d’accord car ils n’ont pas arrêté de diminuer ʿĪsā (Jésus ?) pour qu’il ne fasse pas trop d’ombre à Muḥammad. Ils ont donc inventé le personnage du Mahdi. Ces Frères Musulmans se moquent bien de leur dieu, car il n’est pas assez parfait pour réussir à instaurer son royaume sur la terre et il aurait besoin de plus imparfaits encore pour faire son travail... Allah est ici réduit au rôle de faire valoir. Les proto-Musulmans avaient déjà reconstruit trois fois le Temple de Jérusalem (le dernier est le dôme du Rocher en 691) pour permettre ce retour du Christ et cela n’a pas marché. Pourquoi cela marcherait si ils arrivent à conquérir le monde ? En fait, ils veulent le pouvoir pour eux-même ; un calife avait déjà fait murer la porte de Jérusalem prévue pour le retour du Christ. On est jamais trop prudent ; qui voudrait céder au Christ les clés de son palais ?
      En fait, on se bouscule beaucoup pour le poste de Dajjâl (antéchrist). Frères Musulmans, Américains, Russes, Chinois, Européens... Qui emportera le morceau ?


    • Gollum Gollum 30 août 2021 16:22

      @Pascal L

      Sauf qu’il n’y a pas qu’Al Jazeera pour faire ce constat. Il est aussi fait par nombre d’observateurs occidentaux...


    • Pascal L 30 août 2021 17:06

      @Gollum
      Comme je le faisais remarquer, il y a beaucoup de candidats à la fonction d’antéchrist. Un seul au plus réussira et ce sera le plus pervers.


    • Gollum Gollum 30 août 2021 17:27

      @Pascal L

      Réponse bizarre qui n’a rien à voir avec le déclin américain mais bon passons... une fois de plus...


    • Pascal L 30 août 2021 20:12

      @Gollum
      Le retrait américain n’est peut-être pas une défaite mais une étape. Il est tout de même étonnant que les américains, qui sont les rois de la planification, aient laissé autant de matériels militaires aux Talibans. Cela ressemble plutôt à un coup de pouce déguisé en retraite. Les Américains n’ont rien à craindre des Talibans, leur stratégie vise les Russes et les Chinois qui placent également des pions dans la région. Il est bien trop tôt pour tirer des conclusions.


    • Gollum Gollum 31 août 2021 10:14

      @Pascal L

      qui sont les rois de la planification, aient laissé autant de matériels militaires aux Talibans.

      P’têt parce qu’ils sont devenus des branques ce que tout le monde constate plus ou moins ?

      Les Américains n’ont rien à craindre des Talibans

      Merci pour l’info on ne s’en serait pas douté.. smiley

      Il est bien trop tôt pour tirer des conclusions.

      J’ai la sensation que vous avez compris dans un sens assez basique cette débâcle qui est plus un symptôme du déclin américain qu’une défaite stricto sensu. Un symptôme qui se rajoute à de nombreux autres. On peut se souvenir ici du bouquin de Todd : Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain.


    • Pascal L 1er septembre 2021 00:58

      @Gollum
      Le système américain tel qu’il existait avant les Bush a bel et bien disparu, ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui sont ceux qui s’enrichissent avec un système monétaire basé sur la dette. Les présidents ne sont plus que des marionnettes. Il n’empêche que le système a gagné en perversion et c’est tout autant vrai dans tous les pays qui font de la monnaie avec la dette : Europe, Russie, Chine... Ce qui se passe aujourd’hui est une lutte d’influence entre ces quatre zones et les Afghans ne sont que de la chair à canon sans importance. Ceux qui ont réellement gagné cette guerre sont ceux qui vont s’enrichir et je reste persuadé dé que ce sont eux qui ont dicté leur volonté à Washington. 


    • Parrhesia Parrhesia 1er septembre 2021 10:43

      @Pascal L
      Excellent résumé !
      Bonne journée à vous !!!


    • Parrhesia Parrhesia 1er septembre 2021 13:19

      @Pascal L

      V/Post du 30/08 à 20H 12.

      J’espère que vous me pardonnerez de m’immiscer dans votre dialogue avec Gollum, mais vous abordez là un thème d’intérêt primordial.

       Vous terminez votre post du 1er/09 à OOh 58 par cette phrase : «  Ceux qui ont réellement gagné cette guerre sont ceux qui vont s’enrichir et je reste persuadé dé que ce sont eux qui ont dicté leur volonté à Washington ».

      On ne peut être qu’à 100% d’accord avec cette proposition

      Mais d’un autre côté, dans votre post du 30/08 à 20h12, vous déclarez : «  leur stratégie (aux Américains) vise les Russes et les Chinois qui placent également des pions dans la région. »


      Or il semble bien qu’il y ait,entre ces deux propositions, sinon une impossibilité, du moins une difficulté majeure de mise en pratique.

      En effet, nous retrouvons au sein du N.O.M.(ou quel que soit le nom que l’on donne à ceux qui s’enrichissent et dictent leur volonté à Washington) une coalition du capitalisme d’État Chinois et de la frange américaine du capitalisme financiarisé.

      Il est clair que les deux se partagent les juteux bénéfices réalisés tant sur le dos des classes laborieuses chinoises que sur le dos des consommateurs ciblés dans les pays importateurs occidentaux, dont les U.S.A.

      Dans ces conditions, ne vous semble-t-il pas que le N.O.M. ou les ténors du capitalisme financiarisé international, comme l’on voudra, vont freiner des quatre fers afin que le combat pour l’hégémonie planétaire ne contrarie pas trop les profits commerciaux juteux résultant de leur bonne entente commerciale et industrielle ???

      Je serais heureux de connaître votre approche quant à ce conflit d’intérêts.

      Merci d’avance, et bonne journée.


    • Pascal L 1er septembre 2021 23:25

      @Parrhesia
      Votre approche est intéressante et mérite d’être étudiée. Nous verrons ce qui va se passer dans les mois qui viennent mais je ne suis pas très optimiste. Comme chrétien, je vois les signes de la montée de l’antéchrist qui séduira et asservira une grande partie de l’humanité. D’un autre côté, de telles séquences se sont déjà produites au siècles dernier et l’humanité s’est reprise. La différence est que les moyens informatiques et les médias permettent aujourd’hui de démultiplier le phénomène.


    • Parrhesia Parrhesia 2 septembre 2021 09:58

      @Pascal L

      Merci pour cette réponse dont je partage entièrement les prolongements.


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