La victoire des islamistes en Egypte : un danger pour la liberté et la paix
C’est fait ! L’islamiste Mohamed Morsi a été élu président de l’Egypte, premier pays arabe par le nombre de ses habitants occupant une position éminemment stratégique dans cette région. C’est un changement considérable aux conséquences qu’on ne saurait immédiatement mesurer.
S’il a obtenu 51,73 % des voix, contre 48,27 % pour Ahmad Chafiq, dernier premier ministre du président déchu Hosni Moubarak, c’est aussi dans un contexte de large abstention. Un électeur sur deux ne s’est pas déplacé, par défaut d’une autre candidature correspondant mieux aux aspirations des premiers acteurs de la révolution. Les islamistes ont surtout sus prendre le train en marche, alors qu’ils maillaient déjà le pays à travers ce rôle de lien social que leur avait laissé Moubarak, distribuant des aides aux familles aux sources financières opaques, moyennant leur voix.
Au Caire, des centaines de milliers de personnes ont fêté la victoire de M. Morsi sur la place Tahrir, symbole de la "révolution" qui a renversé M. Moubarak l'an dernier, sauf que, c’était en faisant la prière. Rien à voir avec les jeunes démocrates épris de liberté qui déchantent aujourd’hui conscients que cela n’augure rien de bon pour les progrès de libéralisation politique, morale et sociale attendue.
"LA RÉVOLUTION CONTINUE" façon islamiste ! L’Egypte renoue avec l’Iran.
"Je suis le président de tous les Egyptiens sans exception", a déclaré M. Morsi dans son premier discours à la nation. "L'unité nationale est le seul moyen de sortir de ces temps difficiles", a-t-il ajouté, mais autour de quoi réellement, par –delà la référence aux hommes, aux femmes, aux chrétiens comme aux musulmans de façon formelle. Car les Frères musulmans n’ont cessé de manifester avec des pancartes d’une clarté limpide : « Le coran est supérieur à la Constitution », attaquant les Eglises des autres religions... M. Morsi a affirmé qu’il faut que la "révolution continue jusqu'à la réalisation de tous ses objectifs". Là encore de quoi s’agit-il si on regarde ce qu’ont été les premiers signes de ce nouveau régime.
Comme l’exprime le gratuit 20 minutes « Le plus prompt à réagir à la victoire de M. Morsi a été le mouvement islamiste palestinien Hamas, qui compte parmi les alliés des Frères Musulmans. Des cris de joie résonnaient dans la ville de Gaza. (…) Même enthousiasme en Iran, où le ministère des Affaires étrangères a salué ce qu'il considère comme l'une des dernières étapes du « Réveil islamique qui va ouvrir une ère nouvelle au Proche-Orient » (..) Les Emirats arabes unis ont « favorablement accueilli » l'élection du candidat islamiste, exprimant « l'espoir de voir les efforts converger maintenant pour assurer la stabilité » de l'Egypte ». Mais dans quel sens, pour arriver à quoi ? De quelle convergence s’agit-il sinon de celle d’une nouvelle domination religieuse par un islam ultraconservateur que les Frères musulmans ont toujours incarné !
Inconséquence incalculable de ces experts qui continuent de nous dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
En France, les observateurs habituels que l’on nomme de façon péremptoire « experts » continuent de nous expliquer partout que rien ici ne doit nous alarmer. Des experts qui, comme le dit France 2 dans son 20 h du 25 juin, ne considèrent pas le nouveau Président comme un « extrémiste »… Selon Gilles Kepel, interviewé dans ce journal, il n’y a rien à craindre puisque les islamistes au pouvoir entendent bénéficier de la manne du tourisme… Le tourisme ferait à lui seul ainsi obstacle et oui, il fallait y penser, à un projet politique qui depuis toujours anime les Frères musulmans : la charia dans l’Etat, le coran en lieu et place de la loi, la République islamique en lieu et place de l’Etat de droit, la foi contre le droit. On touche le fond du ridicule sinon une désinformation à l’inconséquence incalculable.
Ce n’est pas en insistant sur le fait que ce président soit le premier civil élu par voie démocratique, dans une démocratie sous l’influence d’un islam qui est depuis toujours religion d’Etat, que l’on fera oublier qu’il s’agit d’un islamiste, ce qui est la vraie et seule information sérieuse à retenir. Dans cette continuité, il s’est engagé à "préserver les traités et chartes internationaux" signés par l'Egypte, ce que reprennent les chaines de TV et les radios, en éludant le fait qu’il a simultanément déclaré, toujours avec ce double langage qui caractérise les islamistes, qu'il souhaitait "réviser" les accords de paix avec Israël conclus en 1979,"réviser les accords de Camp David" qui ont établi la paix avec Israël, et pas auprès de n’importe quelle agence de presse, mais de l'agence iranienne Fars. De façon cohérente il a aussi prôné un renforcement des relations entre Téhéran et le Caire, rompues depuis plus de trente ans. Un renforcement des relations entre l'Iran et l'Egypte "créera un équilibre stratégique régional et fait partie de mon programme", a déclaré M. Morsi. Rien que cela, mais il ne faut évidemment toujours pas s’inquiéter.
Un monde redessiné par une montée en puissance de l’islamisme, voilà le danger !
Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po (Paris) qui voyait dans le printemps arabe une « Seconde renaissance du monde arabe », sur Ouma.com, est servi ! Mais il se veut toujours rassurant, il y a le modèle Turc si formidable qui montre la voie, comme il le développe dans son ouvrage « Révolution arabe. Dix leçons sur le soulèvement démocratique », chez Fayard. Une Turquie dirigée par un parti islamiste de plus en plus agressif, qui aujourd’hui s’en prend régulièrement à l’opposition avec des arrestations et un contexte de tension sur lequel on ne veut surtout pas attirer l’attention côté médias, pas plus que sur les bombardements réguliers de l’armée turque sur les villages kurdes, sur quoi l’ONU n’a rien à dire… Une Turquie qui s’enfonce progressivement dans un conservatisme religieux qui n’augure rien de bon au regard de ce qui se passe à l’échelle du monde arabo-musulman qui donne de plus en plus d’arguments dans ce sens encore avec le basculement de l’Egypte.
Rappelons-nous que la révolution s’est faite sous le signe du rejet de l’argument qui maintenait Moubarak en place, à savoir, le péril islamique, justifiant son pouvoir autoritaire qui n’était d’ailleurs certainement pas le pire. On dénonçait cela comme le mensonge d’un vieil homme sénile et d’islamophobes. Mais nous y sommes et en grand. Le pays arabe le plus important, 82 millions d’habitants, qui est au cœur des enjeux du conflit israélo-palestinien où se cristallise une bonne partie des tensions internationales, un carrefour stratégique, vient de basculer entre les mains d’un parti religieux islamique. C’est un tournant de l’histoire dont on reparlera.
Certains de ceux qui, depuis le début du printemps arabe jusqu’à aujourd’hui, ne cessent de faire des procès à ceux qui dénoncent cette évolution dont je suis, portent une énorme responsabilité sur les évolutions à venir en encourageant à un angélisme et à une naïveté qui pourrait un jour nous couter très cher car ici on ne joue pas ! C’est une nouvelle carte du monde qui est en train de se dessiner où l’essentiel des pays du printemps arabe passent sous domination islamique.
Les Etats-Unis règlent le jeu, tel l’éléphant dans le magasin de porcelaine, de l’Irak à l’Egypte.
Ces experts lobotomisent notre réflexion à vouloir à tout prix rassurer, en mettant leurs pas dans ceux de l’Oncle Sam, un certain Obama qui de Washington a félicité le nouveau président égyptien, l’a assuré du soutien des Etats-Unis dans la transition de l'Egypte vers la démocratie… a indiqué la Maison Blanche. "Il a souligné son intérêt à collaborer avec le président élu Morsi, sur la base du respect mutuel, pour faire progresser les nombreux intérêts partagés entre l'Egypte et les Etats-Unis".
Comment ne pas se rappeler le discours d’Obama en Egypte où il a flatté l’islamisme en encourageant le port du voile dans un pays miné par l’excision et une domination patriarcale par l’entremise de la religion ! On savait que la Maison Blanche négociait depuis plusieurs mois, sinon des années en secret, avec les Frères musulmans. Des Américains sans lesquels rien ne peut se faire, qui règlent le jeu, dans la continuité de cette méthode qui les caractérisent, de l’Irak à l’Egypte, d’éléphant dans le magasin de porcelaine, à considérer les intérêts stratégico-financiers du monde des actionnaires avant la liberté. Il faut dire que le « parti » Américain aussi considère la religion comme première dans l’ordre des valeurs et supérieure à toute autre considération, ceci expliquant cela.
Les dirigeants européens ont félicité chacun à leur tour Mohamed Morsi, tout en restant prudents nous dit-on. On cherche cette prudence sans la trouver dans la déclaration de François Hollande qui a salué la victoire du nouveau président et affirmé que la France « soutiendra l'Egypte dans les instances européennes et internationales ». « Il importe aujourd'hui que la transition, commencée en février 2011, se poursuive afin, conformément aux engagements pris, que s'établisse en Egypte un système politique démocratique et pluraliste et un Etat de droit garantissant les libertés civiles et politiques de tous les citoyens comme des minorités », a-t-il affirmé, ou rêvé...
Ce soutien déclaré sans autre considération au moment où le nouveau président égyptien remet déjà en cause la paix avec Israël, où il exprime la volonté d’un renforcement des relations avec l'Iran, pays mis en cause pour vouloir avoir la bombe afin de rayer de la planète les juifs, qui parle de créer " un équilibre stratégique régional » avec cette république islamique, a de quoi, pour le moins, interroger.
En Italie, le chef de la diplomatie italienne Giulio Terzi ne fait pas mieux, il a choisi Twitter pour adresser un message de félicitations au nouveau président égyptien, voyant dans son élection une « preuve de démocratie » en Egypte. Et quelle démocratie ! Qui permet au religieux de se confondre avec le politique, une confusion que l’on sait suicidaire pour l’Etat de droit. En France, parait-il, on a même fait une loi pour séparer la religion de l’Etat parce qu’elle était le principal obstacle à l’affirmation des grandes libertés et des droits de l’homme dans l’édification de la République !
Les islamistes ont utilisé la démocratie afin d’atteindre le pouvoir pour le confisquer.
Enfin, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui dirige le pays depuis la chute de M. Moubarak a promis de remettre le pouvoir exécutif au nouveau président avant la fin du mois. Son chef, le maréchal Hussein Tantaoui, a adressé ses félicitations dimanche à M. Morsi. On dit que ce dernier ne disposera que d'une marge de manœuvre très réduite face au Conseil militaire. Certes, dans une "Déclaration constitutionnelle complémentaire", l'armée a en effet récupéré le pouvoir législatif après la dissolution à la mi-juin de l'Assemblée nationale, contrôlée par les islamistes, en vertu d'un jugement déclarant illégal le mode de scrutin. Toute réforme restera donc, jusqu'à l'élection d'une nouvelle Chambre des députés, à une date non précisée, soumise au contrôle des militaires. L'armée garde également un droit de regard sur la rédaction de la future Constitution, ainsi que des prérogatives importantes en matière de sécurité et de maintien de l'ordre.
Encore ici on croit nous rassurer sans rien mesurer des changements qui s’opèrent et de la force qui vient d’être donnée aux islamistes dans cette projection que M. Morsi fait lui-même, à travers l’idée d’un « nouvel équilibre régional » en s’alliant avec l’Iran, entre autres. Les islamistes avait un projet, prendre le pouvoir en surfant sur le printemps arabe et la démocratie pour mieux confisquer le pouvoir ! Ceux qui y voient autre chose sont des naïfs ou des imprécateurs !
Effectivement, M. Morsi, fort de la légitimité que lui procure son élection, n’a pas attendu pour faire entendre sa voix de ce côté. "Le Conseil suprême des forces armées n'a pas le droit de modifier la Constitution et je rejette la déclaration constitutionnelle qui limite les prérogatives du président de la République", a-t-il déclaré, appelant le CSFA à quitter "immédiatement le pouvoir". Un responsable des Frères musulmans a indiqué que les partisans de la confrérie poursuivraient leur sit-in sur la place Tahrir "jusqu'à l'annulation" de la "Déclaration constitutionnelle complémentaire". On voit bien qu’une nouvelle histoire s’engage qui risque bien un jour de se finir bien mal pour les Egyptiens.
Le capitalisme mondialisé facteur principal de l’échec de l’universalisation de la liberté
A l’horizontal de tout cela, il faut regarder plus haut, car cette évolution est le reflet d’une crise de la civilisation qui traverse le monde, dont la responsabilité revient principalement à un capitalisme mondialisé qui s’attaque à coups d’inégalités, en les décrédibilisant, aux valeurs de portée universelle de progrès et de liberté, dans un contexte où depuis la chute du mur il n’apparait plus d’autre alternative qu’un repli identitaire à des pays arabes qui n’ont pas su trouver le chemin de la liberté plus tôt. C’est ainsi que la revanche des pays arabes au regard de l’histoire, à laquelle ils sont encore économiquement, socialement et politiquement à la traîne, se fait contre l’Occident et ses valeurs, par un retour en arrière catastrophique, une régression qui n’a pas fini de faire couler de l’encre et peut-être bien du sang. Espérons que l’histoire ne donnera pas raison à Samuel Phillips Huntington et à son Choc des civilisations, bien que les engrenages paraissent s’en ébranler vers une mise en marche pas à pas à chaque nouvel événement dans le monde arabo-musulman.
C’est dans ce contexte de la victoire de M. Morsi en Egypte, qu’on apprend que Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba, en Tunisie, accusé d’avoir « agressé » une étudiante portant le « niqab », entendant simplement faire respecter l’interdiction du port de ce genre de vêtement ostensiblement religieux dans l’université, doit comparaitre devant le Tribunal de première instance de la Manouba, le 5 juillet 2012, à 9h. Cette affaire, après la condamnation du patron de la chaîne Nessma, jugé pour "atteinte au sacré" après la diffusion l'an dernier du film "Persépolis" qui osait avoir représenté Dieu, montre combien les islamistes vont avoir, sous le signe des événements égyptiens, partout le vent en poupe.
Une France où la laïcité fait face à la montée d’un communautarisme qui se reconnait dans cette islamisation du monde arabe
En France, parallèlement à un Conseil français du culte musulman de plus en plus dominé par les islamistes de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), un ouvrage de droit musulman réalisé par Chems-eddine Hafiz, inscrit au Barreau de Paris, avocat de la Grande Mosquée de Paris et membre du bureau du Conseil français du culte musulman et Gilles Devers, inscrit au barreau de Lyon, avocat de la Grande Mosquée de Lyon et chargé d’enseignement à la faculté de Droit de l’Université Jean-Moulin (Lyon II), intitulé « Droit et religion musulmane », publiée chez Dalloz, 2005, nous éclaire sur les enjeux actuels de la place de l‘islam en France. Ils nous parlent d’une « foi partagée (…) avec sa part d’indémontrable, d’invérifiable » qui serait source de droit à mettre en parallèle avec le droit positif jusqu’à affirmer : « Au final, des aménagements de droit sont souhaitables pour que les musulmans puissent vivre sereinement leur foi, en toute authenticité, alors que rien ne justifie une remise en cause des religions, en droit interne, comme en droit européen ».
Plus grave encore, ce droit fondamental, qu’est la liberté de conscience, signifié par la liberté de changer de religion inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, est rejetée par les auteurs : « Il est légitime qu’une religion combatte le renoncement à la foi. La perte de la foi est la fin de la religion, et la religion doit s’armer contre ce renoncement qu’elle analyse, pour le fidèle, comme un égarement, et pour elle, comme un péril. Une religion peut ainsi mettre en garde les fidèles contre l’affaiblissement de leurs pratiques religieuses. Le dogme peut également fulminer les sanctions les plus rigoureuses, visant à l’intériorisation du principe de fidélité » jusqu’à reprendre un thème mille fois entendu dans les manifestations égyptiennes pour rejeter toute limitation des manifestations religieuses : « le droit est sans prise sur la foi ».
On voit ici les enjeux qui peuvent peser autour des revendications communautaires et l’extension d’un port du voile en France qui connait un regain qu’il est facile de constater à l’œil nu, porteur de ces valeurs qui s’éloignent de toute idée d’intégration, enfermant, symbole d’un refus du mélange au-delà de la communauté de croyance et de l’affirmation de la supériorité de la foi sur le droit.
Rien qui ne soit fait dans ce contexte international pour rassurer tous ceux attachés dans notre pays à la laïcité, aux valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité, à une France qui met la religion au second rang au regard du bien commun, des droits et libertés de l'individu, de l’égalité homme-femme, de la loi, de la raison, de la Nation et de la République, ces acquis essentiels dans l’ordre des progrès de la condition humaine.
Guylain Chevrier, historien.