lundi 6 mars 2017 - par Laurent Courtois

Le blocus des importations en Ukraine sera-t-il l’effet papillon qui renversera Poroshenko ?



Cet article est le premier d'une série de trois, liés au blocus ferroviaire mis en place par les nationalistes galiciens. Le premier traitera du blocus lui-même, le second se focalisera sur Rinat Akhmetov qui est actuellement le principal perdant de la nationalisation entreprise par la DNR. Le troisième et dernier volet de ce triptyque traitera en guise de conclusion de la différence entre la ré-information et la contre-propagande.

Le blocus ferroviaire du Donbass, étendu depuis le 4 mars à la frontière russe, a été mis en place le 25 janvier 2017 par un groupe de 55 anciens combattants issus des bataillons Donbass et Dniepr. Parmi ces 55 militants se faisant appeler les « bloqueurs » se trouvent quatre députés de la Rada de Kiev. Il s'agit de Semion Semiontchenko de son vrai nom Konstantin Grishin né à Sébastopol, puis entrepreneur à Donetsk où il dirigeait une entreprise d'antennes satellites. Depuis la « révolution de la dignité », il s'est rendu tristement célèbre en commandant en 2014 le bataillon Donbass. Il a été aussi élu député à la Rada en Octobre 2014 sous les couleurs du parti Samopomich. Deux des trois autres députés sont Tarash Pastuh, Pavel Kostenko, eux aussi membres du parti Samopomich élus respectivement à Ternopil et Lviv. Le dernier, Valadamir Parasiuk un des principaux leaders délétères de la place Maïdan passé ensuite par le Bataillon Dniepr. Il a été en Octobre 2014 élu à la Rada dans l'Obast de Lviv.

La première des observations à faire est l'origine des extrémistes sur les points de blocages. Ils sont issus des bataillons Donbass et Dniepr qui étaient financés par Igor Kolomoisky. Les 4 députés sont des élus galiciens (Oblast de Lviv et Ternopil), trois d'entre eux sont membres du parti Samopomich, dont un des bailleurs de fonds est encore Igor Kolomoisky. Ce parti, a été créé en 2012 à Lviv, il est représenté à la Rada par 33 députés, ce qui fait de lui le troisième parti ukrainien. Son idéologie se définit comme « la promotion de la morale Chrétienne et l'entre-aide », le développement rural et l'unité de l'Ukraine. Malgré, ce dernier point, ce parti milite actuellement pour l'éviction des républiques sécessionnistes selon le principe du « fil à la patte » ou du « cheval de Troie russe ». Les membres de ce parti présentent une triple altérité avec le Donbass : géographique, culturelle et religieuse.

Bien que ce parti soit quasiment inconnu en France, il n'en est pas moins inactif. Pour cela, il met en avant son côté « démocrate-chrétien » en omettant sa politique ségrégationniste. Des contacts sont liés avec le « Modem », les milieux catholiques bien-pensants, Mais ses liens sont bien plus insidieux que cela, par exemple avec Benoit Lazzari alias Floriant Lemarchand alias Benoit Hardy, très introduit dans les milieux catholiques dont la radio « Radio Courtoisie », via Pascal Lasalle.

Ce qui est surprenant c'est que aucuns médias français ne se penchent sur l'identité des 55 bloqueurs qui mettent en péril l'économie ukrainienne. Une recherche dans Google actualité avec le mot « samopomich », ne vous donnera aucun article en langue française. Triste bilan pour un pays qui possède 12 quotidiens nationaux, 46 régionaux et 35.328 journalistes. Même le journal français la croix, qui a pourtant écrit un article partisan sur le rôle des gréco-catholiques dans la guerre civile à l'Est du pays paru en pleine crise (le 12/02/2014) a fait l'impasse sur cette information.



Maintenant que nous savons que le blocus est dû à des galiciens gréco-catholiques certainement financés par l'oligarque Igor Kolomoisky et piloté par les samopomichis, se pose alors l'épineuse question : pourquoi ?

Le blocage de l'économie ukrainienne s'inscrit dans la guerre entre Piètro Poroshenko et Igor Kolomoisky qui s'était soldé au printemps 2015 par l'éviction du second par le premier après le siège d'Ukrtransnafta. Le blocus est donc potentiellement un moyen pour Kolomoisky de déstabiliser Porochenko à son profit mais aussi à celui de son allié Ioula Tymochenko. Mais un troisième oligarque risque d'être une victime collatérale (ou souhaitée) de ce conflit : Rinat Akhmatov. Le 20 février le groupe Metinvest annonçait la fermeture des mines de charbon de Krasnodonugol (LNR, 15.000 employés) qui approvisionnaient le marché de l'énergie ukrainien et les hauts fourneaux Yenakievsko (DNR). Le personnel de ces deux entités avait été placé en chômage technique avec maintien des 2/3 du salaire. Le même jour le Kremlin annonce la reconnaissance temporaire à titre humanitaire des passeports et documents officiels de la DNR. Cette reconnaissance prendra fin avec la mise en place d'une solution politique dans la crise ukrainienne.

En rétorsion au blocus, le Président de la DNR Alexandre Zakharchenko, a déclaré que toutes les industries qui n'avaient pas été encore nationalisées le seraient à partir du 1er Mars 2017. Pour éviter la confiscation de ses actifs, Rinat Akhmetov aurait selon les dires de Semiontchenko envoyé le 28 février 2017, une centaine de titouchkis (gros bras stipendiés) pour chasser les « bloqueurs ». Trois barricades ont été prises d’assaut, ces heurts se sont soldés par l'arrestation de 37 titouchiks à la Gare Kivoy Torets (aux environs de Kramatorsk) et trois blessés. Il est à noter que selon les témoins, la police n'a interpellé que des assaillants alors qu'elle aurait pu en profiter pour arrêter tout le monde. Doit-on en déduire que Kiev a intérêt à envenimer la situation, en laissant la DNR prendre des sanctions ?

Le lendemain, 40 des plus grosses entreprises de la LDNR ont été nationalisées. La liste a dû surprendre plus d'un habitant de la LDNR qui imaginaient ces entreprises nationalisées depuis bien longtemps. La nationalisation des biens des oligarques étaient en effet une des revendications fondatrices des républiques de DNR et LNR en 2014. Bien que situées en zone séparatiste ces entreprises continuaient à payer des taxes et des impôts à Kiev pour un montant de 1,2 milliards de dollars. Cet argent servait en partie à financer l'ATO. Le financement de leur propre assassinat était un des paradoxes des républiques séparatistes. La perte totale annuelle pour le budget ukrainien est estimée à près de 3,5 milliards de dollars soit 5 points de PIB. L'estimation la plus optimiste est de 2 point de PIB. Cette perte risque d’entraîner une fonte des réserves monétaires ukrainiennes et une dévaluation de la Hryvnia.

Les pertes pour Rinat Akhmetov sont colossales, elles s’élèvent pour le mois de février à 6,5 millions de dollars pour la seule Cookerie d'Adiivka et 4,5 pour les aciéries de Marioupol. Le groupe Metinvest de Rinat Akhmetov a réagi à la privatisation en déclarant qu'il se refusait de verser le moindre impôt à la LNR et à la DNR.

Il est fort probable que l'on puisse intégrer dans cette guerre du charbon entre oligarques le regain de violence récent à Adviidka, qui avait dans ses objectifs la fin de la livraison de charbon à Coke en provenance de la DNR.

Comme dit précédemment, les retombées du blocus du Donbass sont gravissimes pour l'économie ukrainienne. La question qui se pose est : comment peut-on laisser 55 personnes « détruire » l'économie d'un pays ? La première réponse est que le blocus est soutenu par 60 % de la population. Ce soutien est dû en partie au fait que Kiev ne peut pas communiquer de manière libre sur le sujet, comme l'explique le journaliste ukrainien Sergei Rudenko dans une interview à DW (Deutsche Welle). Le gouvernement avait mis une chape de plomb médiatique sur l'achat de charbon séparatiste (appelé en Ukraine « Charbon de sang »). En effet, il était intenable du point de vue politique de réclamer des sanctions envers la Russie, de déclarer le Donbass contrôlé, occupé par la même Russie tout en continuant d'y acheter du charbon. Kiev est donc victime de ses trois années de propagande contre l'est du pays, tel est pris qui croyait prendre.

 

Le problème du financement des LDNR, donc de la guerre par l'achat de « charbon de sang », se double comme toujours en Ukraine de malversations financières. Sous la tutelle du FMI, l'électricité essentiellement produite par des usines thermiques ne doit plus être vendue à perte. Son prix de revient est calculé à partir d'un prix de référence du charbon : celui de la Bourse de Rotterdam (81$) majoré du prix du transport (37$). Donc le coût de l'électricité est calculé sur une base 118$ la tonne, appelé en Ukraine le prix « Rotterdam + ». Mais en réalité, les centrales thermiques ukrainiennes et en particulier celles de l'entreprise DTEK, s'approvisionnaient au Donbass au prix de 64 $ la tonne, transport compris. Ainsi le charbon était surfacturé de 54 $. Sachant que l'année dernière 9 millions de tonnes de charbon ont été achetées par l'Ukraine au Donbass, cela représente 486 millions de dollars (13 milliards de UAH) subtilisés dans la poche des consommateurs.

Dans un contexte marqué par une augmentation de 285 % du prix de l'électricité depuis 2014, le financement de la guerre et l'enrichissement des oligarques peut expliquer à lui seul le soutien populaire au blocus de l'est. Mais ce serait oublier une autre victime collatérale, qui ne déplairait pas forcément à tous les ukrainiens : Pietr Poroshenko. En ne mettant pas fin au Blocus, malgré les demandes de Moscou, de l'EU, du G7, ce dernier montre sa faiblesse politique. Il risque de ne plus paraître « the right man, in the right place » pour les occidentaux. Si on rajoute à cela les risques d'érosion du PIB, le FMI pourrait bien lui aussi penser la même chose. Alors, la probabilité d'élections législatives anticipées en Ukraine augmenterait de manière significative. Qui en seraient les principaux vainqueurs ? Ce serait l'Union Pan Ukrainienne–Patrie de Ioula Tymochenko. Dans l'expectative d'élections anticipées, voir de son renversement, Pietr Poroshenko jouerait alors la carte de l'oligarque avant celle du Président. Il ne verrait alors dans le blocus qu'une opportunité économique lui permettant de racheter l'empire financier de Rinat Akhmetov à moindre coût.

 

Épilogue : il y a presque deux ans jour pour jour, Raphaël Glucksman dans l'émission « Ce soir ou jamais  » de Frédéric Taddei, répondait à Slodoban Despot, qu'il n'y avait pas de « nazi » en Ukraine car ils n'avaient fait que 2 % aux élections. Affirmant que ces 2 % (750.000 d'électeurs) n'avaient pas de poids politique en Ukraine. Or, aujourd'hui il n'en faut qu'une centaine pour prendre le pays en otage...



8 réactions


  • howahkan 6 mars 2017 17:55

    Salut, ce pays vit des complots à l’intérieur des complots eux mêmes à l’intérieur d’autres complots......

    la présence des nazis , vrais ou imitations hollywoodiennes moi je ne sais pas, indique t’elle que comme je le pense nous sommes toujours dans le scénario de la 2eme guerre mondiale qui n’a pas été fini mais à pris une autre tournure due à la défaite des germains par la Russie ??????

    L’Allemagne vainqueur le NOM aurait déjà été là depuis longtemps ..en grand vainqueur, or là la contestation prend de l’ampleur..

    tous les mêmes acteurs sont là..

    salutations..


  • Irina Irina 6 mars 2017 19:04

    Très bon article !


  • Laurent Courtois Courtois Laurent 6 mars 2017 19:18

    Un petit correctif :

    43 entreprises ont été nationalisées dont une filiale de la société française Air-Liquide.


    • Jeff84 7 mars 2017 07:18

      @Courtois Laurent
      Donc, vous soutenez également la violation du droit de propriété (garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) de ressortissants français ?


    • Laurent Courtois Courtois Laurent 7 mars 2017 08:47

      @Jeff84

      Bonjour,

      Cela m’a beaucoup surpris de voir qu’une entreprise française se trouvait dans la liste des entreprises « nationalisées » (en réalité, mise sous tutelle temporaire), car la mesure vise des biens d’oligarques ukrainiens

      Il s’agit de l’usine d’oxygène de YenaKievo, qui fournit l’oxygène aux aciéries locales. Je vais prendre contact avec l’air liquide pour savoir si l’entreprise a été mise sous tutelle avant ou aprés avoir stopée son activité.

      Avant, implique un acte politique.
      Après, implique un cas de force majeur, car les acieries ne peuvent fonctionner sans oxygène.

      Donc difficile de prendre position sans connaitre tous les tenants et les aboutisants .

      Mais d’une manière générale, je suis pour le droit à la propriété tant qu’il ne nuit pas à l’intérêt collecif.


  • JC_Lavau JC_Lavau 7 mars 2017 11:58

    Mythologie standard, ce coup de « l’effet papillon », populaire, mais ne vaut pas un clou.


    • Laurent Courtois Courtois Laurent 7 mars 2017 12:54

      @JC_Lavau

      Bonjour,


      votre remarque est-elle purement scientifique ? Si, oui, je partage votre avis.

      Néanmoins l’image métaphorique est intéressante, bien plus parlant que l’« effet domino » qui n’implique l’amplification d’un phénomène.

      Bonne journée à vous


  • Doume65 7 mars 2017 17:08

    « Raphaël Glucksman [affirmant] qu’il n’y avait pas de « nazi » en Ukraine car ils n’avaient fait que 2 % aux élections. Affirmant que ces 2 % (750.000 d’électeurs) n’avaient pas de poids politique en Ukraine. »

    De même qu’il n’y a aucun oligarque en France vu qu’il y a officiellement exactement 0 électeurs ayant voté pour.


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