Le gentil Veltroni face au Caïman
Depuis des semaines, on nous annonce le troisième retour du Cavaliere aux affaires en Italie. Les sondages sont unanimes : ce sera Berlusconi. Il y a un mois, les sondages donnaient 22 points d’avance à la droite. Pourtant, malgré une campagne un peu morne, on n’est pas à l’abri d’une surprise. Dans une Italie plus sinistrée économiquement que la France, cette énième version de l’alternance inutile ne semble pas passionner les électeurs. Mais sait-on jamais ?
La surprise pourrait venir demain de Walter Veltroni. En France, peu de gens le connaissent. Né à Rome, élu maire de Rome en 2001 avec 53 % des voix, réélu en 2006 avec 61,5 %, cet ex-communiste, ancien directeur de l’Unità (L’Humanité sauce italienne) participe en 2007 à la création d’un nouveau parti, il Partito Democratico, le PD, le MoDem italien. Un MoDem qui a réussi son pari de devenir rapidement incontournable.
Veltroni est devenu le leader du PD puis, lors d’élections primaires à gauche, il a été choisi comme premier ministrable en cas de victoire de son camp. Veltroni est-il encore un homme de gauche ? En tout cas, ce n’est pas une étiquette qu’il revendique absolument. Il se réfère volontiers à Robert Kennedy et à Obama à qui il a piqué le slogan volontariste « Yes, we can » devenu « Si può fare ».
Un homme de culture
Tout sépare Veltroni de Berlusconi. Silvio, le Cavaliere, 71 ans, lifté, lentilles colorées, bling-bling et jet-set, chante volontiers la bluette à la télé dont il est propriétaire de nombreuses chaînes. Walter, 53 ans lunettes vieillottes d’intello, un physique à la Hollande, parcours l’Italie en bus vert (une idée piquée à Clinton et pas à Bayrou). Veltroni, surnommé « Il Buonismo », le gentil, est un vrai intellectuel, curieux de tout, il a été ministre de la Culture, il écrit des livres, il a créé à Rome un festival de cinéma qui concurrence La Mostra de Venise. Il a piqué à son copain Delanoë l’idée des Nuits blanches.
Passionné de cinéma, il fait campagne avec, à ses côtés, Begnini, Bertolucci, Nanni Moretti (Il caiman), Valerie Bruni-Tedeschi (la sœur de Madame), il est soutenu par George Clooney, Francesco Totti (le capitaine de l’AS Roma) et c’est Ettore Scola qui filme sa tournée en bus dans les campagnes italiennes. Excusez du peu !
Il Buonismo, le bien gentil, est un surnom à multiples facettes. C’est le qualificatif utilisé pour dénigrer une politique de gauche trop tolérante à l’égard des immigrés et notamment des musulmans. Il ne faut pourtant pas se fier aux apparences, Veltroni n’est pas un naïf. Il est aussi bon communicateur que Blair ou Sarkozy et sa culture réelle lui donne une touche supplémentaire d’authenticité. Il ne s’attaque pas à Berlusconi directement, alors que le Cavaliere ne se gêne pas pour lui balancer quelques vacheries bien senties.
Quoi qu’il en soit, l’économie italienne est dans un tel marasme que la victoire, quelle qu’elle soit, ne sera pas un chemin pavé de roses. Si la France n’est pas dans une très bonne passe, les caisses sont vides dixit Fillon, en Italie, c’est pire. Le FMI prévoit une croissance de 0,3 % en 2008. Un déficit budgétaire énorme qui n’empêche pas Berlusconi d’annoncer de grosses baisses d’impôts et Veltroni de suivre en plus discret. Promesses, promesses... Les problèmes sont graves. Ils touchent la mauvaise qualité du système éducatif, les salaires trop faibles, la force des différentes mafias (cf. les ordures napolitaines), la justice bloquée... Prenez les problèmes de la France et ajoutez le petit pourcentage que vous jugerez approprié.
La dette publique de l’Italie est la troisième du monde, les montants de remboursements sont considérables pour une économie déjà sinistrée. Le système électoral, que Berlusconi a contribué à affaiblir en 2006 par des mesures opportunistes pour son parti, ne permet pas de s’attaquer sérieusement à ces problèmes. Les vraies réformes sont encore plus difficiles que chez nous. De plus, il faudrait du temps pour s’y attaquer ce que le septuagénaire Berlusconi n’a pas vraiment.
Economie faible et électeurs méfiants ont donné une campagne molle. On pressent le risque d’une assemblée à droite et d’un Sénat ingouvernable pour Berlusconi que seule une coalition à l’allemande pourrait sortir de l’impasse. Mais l’Italie n’est pas l’Allemagne.
A moins que les sondages ne se trompent une fois de plus, et que, grâce au charisme de Veltroni et à une fin de campagne semble-t-il exceptionnelle, le MoDem à l’italienne ne tire la gauche vers un renouveau basé sur des valeurs de culture et de solidarité. On pourrait imaginer que Veltroni réussisse dans ce cas à tirer l’Italie de son cercle vicieux vers un cercle vertueux. Pour le coup, c’est moi qui me shoote au buonismo, aux bons sentiments et à la bien-pensance. Je m’en excuse auprès des réalistes, ceux qui sont convaincus que, de toutes façons, le monde est une jungle où seuls les forts doivent survivre ; où des riches toujours plus riches tireront peut-être, un jour, les Européens du marasme.