mardi 2 septembre 2014 - par Civodul

Le Parti pour les animaux bouscule la scène politique néerlandaise

Aux Pays-Bas, la scène politique est investie depuis 2006 par un petit parti assez singulier : le Parti pour les animaux (Partij voor de Dieren, PvdD). Premier parti antispéciste à bénéficier d’une représentation parlementaire, il est depuis les élections de 2014 présent au Parlement européen. Sa seule présence nous apprend beaucoup de la vie politique néerlandaise, et la conception même de la démocratie parlementaire.

Historiquement divorcé des partis écologistes traditionnels

Si le Parti pour les animaux ne fut officiellement fondé qu’en 2002, l’idée de sa création cogitait, déjà en 1992, dans la tête de Luuk Folkerts, son actuel représentant au Sénat et ancien cadre du Parti socialiste (SP) néerlandais. Il a été créé en rupture avec GroenLinks, le principal parti écologiste des Pays-Bas, qui n’accordait pas suffisamment d’importance à la question de la défense des animaux. Cela n’en fait pourtant pas le premier parti entièrement consacré à cette cause : le « Tierschutzpartei  » allemand, qui vient – lui aussi - d’obtenir son premier siège au Parlement européen, a été fondé en 1993. L’histoire fut en revanche plus heureuse pour le Parti pour les animaux : deux sièges aux élections législatives de 2006 – seulement quatre années après sa fondation – confirmés en 2010, puis en 2012, ainsi qu’une présence au Sénat, dans les conseils provinciaux, municipaux et dans les conseils d'administration de l'eau (waterschappen), des institutions typiquement néerlandaises en charge de l’eau et démocratiquement élues. À plus d’un titre, la politique des Pays-Bas est donc particulièrement atypique.

 

Les Pays-Bas, le terreau idéal ?

Les Pays-Bas, l'eldorado constitutionnel des petits partis

Est-ce à dire que les Néerlandais sont plus soucieux de la question animale qu’ailleurs ? La réponse n’est évidemment… pas évidente. Constitutionnellement, les Pays-Bas représentent l’eldorado pour les petits partis : les élections législatives se déroulent sur une circonscription unique, à savoir le pays entier, au mode de scrutin proportionnel avec un seuil électorat très bas, le plus bas du monde. Il suffit d’avoir 0.67 % des voix pour obtenir un siège à la Chambre des députés, soit environ 70 000 électeurs néerlandais. En comparaison, le seuil électorat de nombreux Etats européens est de 5 %. Qui peut donc garantir qu’avec un mode de scrutin moins favorable aux petits partis, le Parti pour les animaux n’aurait pas fait son entrée ? Cette prouesse est une mission impossible dans les pays européens, comme la France ou le Royaume-Uni, où le système est resté majoritaire et largement bipartite. D’ailleurs, en Allemagne, le Tierschutzpartei n’a obtenu son siège que grâce à la décision de la Cour constitutionnelle de supprimer le seuil électoral aux élections européennes. Néanmoins, la constance – voire la progression - des résultats du PvdD d’une échéance à l’autre tend à affirmer que le parti s’ancre dans la vie politique néerlandaise. Et s’il en fallait une preuve, elle résiderait dans l’élection de la première députée européenne, Anja Hazekamp, dont la liste a franchi la barre des 4 % de voix nécessaires. Qui plus est, le PvdD est crédité de 4 à 6 sièges dans les derniers sondages pour les prochaines élections législatives aux Pays-Bas (d’ici mars 2017), presque autant que GroenLinks.

 

Puissance mondiale agricole, enfer animalier ?

D’autres facteurs moins techniques peuvent aussi expliquer cet intérêt pour la cause animale, dont la présidente du parti Marianne Thieme s’en fait l’écho : en 2011, les Pays-Bas étaient le deuxième exportateur agricole, derrière les Etats-Unis mais devant la France. Avec une superficie de 41 500 km², les Pays-Bas rivalisent donc avec des pays quinze fois plus grands. Autant dire que l’agriculture constitue un sujet de débat politique intense dans ce plat pays, une aubaine pour le Parti pour les animaux, la quasi-totalité des textes votés dans ce domaine ayant un impact plus ou moins direct sur les animaux et leurs conditions de vie et ce, quand bien même le secteur agricole n’emploie que 4 % de la population active, comme en France. C’est d’ailleurs dans la Randstad, la région la plus urbanisée du pays qui regroupe Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht, que le PvdD réalise ses meilleurs scores et c’est à l’inverse, dans la « Bible Belt » néerlandaise, où les partis chrétiens (dont le Parti politique réformé, SGP) fédèrent le plus, que le Parti pour les animaux concède ses plus mauvais scores.

 

Lutter contre les images de carte postale

 

En outre, la composition multiculturelle des Pays-Bas n’est pas sans créer quelques tensions autour de la question animale : si l’abattage sans étourdissement n’a pas autant déchaîné les passions qu’en France, le PvdD est en revanche catégorique et plaide pour son interdiction. On ne peut pas en dire autant pour les partis écologistes dits classiques, comme EELV en France, où ce débat anecdotique cristallise les tensions avant d’être récupéré par l’extrême droite et alimenté par ses opposants.

 

Un parti pour les animaux ? Et pourquoi pas un parti pour les cailloux ?

Un parti de témoignage plus qu'un parti de gouvernement

Marianne Thieme, présidente du PvdD

La première bataille qu’a dû entreprendre le Parti pour les animaux résidait dans celle de la crédibilité. La cause qu’il défend dépasse les frontières néerlandaises et peut être facilement transposée d’un pays à un autre. C’est la raison pour laquelle Marianne Thieme donne des « cours » sur son blog pour guider les éventuels candidats à la création d’un parti pour les animaux dans leur pays respectif. Le Parti pour les animaux a vocation à être international et décliné dans toutes les langues à l’image des « Verts ». Le PvdD s’est attiré les sarcasmes de l’ensemble de la classe politique néerlandaise et plus particulièrement ceux des chrétiens-démocrates, ses « ennemis naturels » (sic). C’est également la personne de Marianne Thieme qui est visée. En effet, l’écrivain Maarten 't Hart, qui a participé comme « pousseur de liste » (lijstduwer) aux élections législatives de 2006 sous l’étiquette PvdD, l’a accusée d’avoir des idées préjudiciables pour la cause que défend son parti, notamment en raison de son appartenance à l’Eglise adventiste du septième jour. « Thieme a déclaré récemment dans une interview au Telegraaf qu’Adam et Eve étaient végétariens au Paradis et qu’ils n’ont mangé de la viande qu’après le péché originel. Je puis imaginer suffisamment d’arguments économiques ou sanitaires contre la consommation de viande, mais ce n’est certainement pas un péché » argue-t-il au Volkskrant en 2007. Cette polémique permet de mieux comprendre l’adversité entre le PvdD et les partis chrétiens.

Une autre particularité de la démocratie parlementaire néerlandaise se situe au niveau de ses « partis témoignage » (« beginselpartij  » ou « getuigenispartij  ») par opposition aux « partis de programme ». Plutôt que de proposer un programme adapté au plus large électorat possible, les « beginselpartijen » restent centrés sur leurs principes, leur cause. Il s’agit là d’une conséquence directe du mode de scrutin qui permet la représentation de (très) petits partis. Le Parti pour les animaux admet volontiers ne pas prétendre au pouvoir mais infléchir sur les décisions de ceux qui nous gouvernent. Leur existence pourrait être ainsi définie : « j’existe en tant que parti parce que le thème n’est pas abordé sincèrement par les gouvernants, je disparaîtrai quand la cause que je défends sera sincèrement défendue par les mêmes gouvernants ». Un principe que l’on peut retrouver dans le parti 50PLUS, qui défend les intérêts des personnes âgées, également représenté au Parlement.

 

Le bien-être animal, clé de voûte de l'écologie ?

Au niveau de son programme, le Parti pour les animaux accorde bien évidemment une large place à la condition animale : son statut, son exploitation… tous ses aspects sont soigneusement détaillés. Le bien-être animal est défini comme la condition sine qua non d’une politique écologique. Si Marianne Thieme se défend de convertir les Néerlandais à un autre mode de consommation, son programme apparaît comme un plaidoyer du végétarisme. La viande est chère à produire, financièrement et écologiquement, en termes d’eau et de céréales et ce, dans un contexte de pénurie alimentaire imminente, alors qu’elle apporte autant, sinon moins, de protéines que le végétarisme, la souffrance animale en plus. Une manière d’avertir son concurrent GroenLinks qui tendrait à trop oublier la condition animale de son programme. L’argument est extrapolé à des sujets qui dépassent la seule condition animale : arrêter de manger de la viande permet d’éviter le gaspillage de céréales, les mêmes pouvant subvenir aux besoins de populations touchées par des disettes régulières, voire des famines. Le Parti pour les animaux se pose ainsi comme adversaire résolu de la Politique agricole commune et marque son euroscepticisme par son adhésion au groupe GUE/NGL, à l’instar de son homologue eurodéputé allemand, et non à celui des Verts comme on pouvait s’attendre au premier abord. Opposé à l’élargissement de l’Union Européenne, le PvdD finit de consommer son divorce avec les partis écologistes traditionnels.

 

Spécialiste en tout, spécialiste de rien ?

En réponse à ceux qui l’accusent de n’être qu’un « single-issue party » voire un lobby, le Parti pour les animaux se targue de rédiger des « rapports [parlementaires] annuels détaillés de plus de 900 pages », une manière d’insinuer qu’un travail parlementaire ne peut être réalisé correctement qu’avec des spécialistes, des experts dans le domaine. Les « partis de programme », vernis d’une idéologie (social-démocrate, chrétien-démocrate, nationaliste…), se confronteraient à la difficulté d’aborder sérieusement certaines questions.

Marianne Thieme, sur son « worldlog  », met cependant en exergue un inconvénient majeur des « partis témoignage », qu’elle a elle-même redouté pour le Parti pour les animaux : s’il s’était avéré que son parti n’avait pas rencontré le succès escompté, la cause animale dans son ensemble aurait été jugée électoralement peu porteuse par les partis de gouvernement. Elle aurait même été abandonnée pour longtemps. Une remarque très intéressante qui rappelle que les partis politiques classiques construisent leur programme en l’adaptant à l’électorat, en mettant l’accent ici ou là, tandis que les « single-issue parties » ou « partis témoignage » auraient une démarche peut-être moins soucieuse de l’intérêt général mais au moins sincère dans leur projet, leur combat personnel. En cela, le Parti pour les animaux ne peut laisser indifférent quiconque intéressé par la politique, pas forcément pour la cause qu’elle défend mais pour les questions qu’il pose sur la manière même de faire de la politique.



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