samedi 14 septembre 2019 - par AMeillon

Le procès Ajavon, révélateur de la dérive autocratique au Bénin

Symbole de l’acharnement du gouvernement béninois à museler toute forme d’opposition, le procès de Sébastien Ajavon devrait connaître son épilogue le 29 septembre. Retour sur cette saga politico-judiciaire qui illustre le virage autoritaire du président Patrice Talon.

Pour tuer son chien, dites qu’il a la rage. Pour se débarrasser d’un opposant politique, faites dire par un tribunal spécial qu’il est impliqué dans un trafic international de cocaïne et condamnez-le à vingt ans de prison. Telle pourrait être la cruelle leçon de l’affaire qui secoue le Bénin depuis des années, obligeant Sébastien Ajavon à prolonger son exil en France.

Tout a commencé en octobre 2016, lorsque 18kg de cocaïne ont été saisis dans un conteneur destiné à l’une des sociétés de cet homme d’affaires qui a fait fortune dans le poulet. Dénonçant un coup monté et une parodie de justice, M. Ajavon a refusé d’assister à son deuxième procès qui s’est tenu en 2018, tout en s’y faisant représenter par ses avocats à qui il fut refusé le droit d’intervenir en audience. Il avait déjà quitté le pays lorsque fut prononcée sa condamnation à vingt ans de prison ferme assortie d’un mandat d’arrêt international. A l’annonce du verdict, ses avocats ont proclamé « la fin de l’Etat de droit au Bénin ». Déjà relaxé pour la même affaire, leur client serait à leurs yeux victime d’un acharnement politique pour avoir voulu défier son ancien allié Patrice Talon dans l’arène politique.

Au coeur de la polémique, on trouve l’instance chargée du procès, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet). Une cour créée de toutes pièces par le président Patrice Talon pour juger les affaires de corruption et qui s’est transformée en machine à pourchasser les opposants. Dès le départ, l’initiative a suscité la méfiance des défenseurs des libertés publiques, notamment parce que la Criet ne permet pas de faire appel, et en l’espèce, parce que nul ne peut être poursuivi et puni deux fois pour une même faute.

Méfiance confirmée par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp). Le 29 mars dernier, la Cour a enjoint le gouvernement béninois d’annuler cette condamnation et de lui rendre compte six mois plus tard. Tandis qu’on s’approche de la date fatidique, deux options s’offrent au gouvernement béninois. Soit il refuse le jugement de la Cadhp et il sera condamné à verser à M. Ajavon de copieuses indemnités. Soit il plie et casse la condamnation de l’homme d’affaires, ouvrant la porte à un retour au pays.

Une situation politique qui demeure préoccupante

Quiconque est préoccupé par la situation politique au Bénin attend cette décision avec un mélange d’espoir et d’appréhension. La question est de savoir si le gouvernement acceptera de se plier au jugement d’une instance judiciaire supranationale ou s’il persistera dans son mépris de l’Etat de droit, attitude qui caractérise le mieux le mandat de Patrice Talon.

Elu en 2016 sur la promesse d’un renouveau et d'une atmosphère propice au « dégagisme », le président en exercice n’a cessé depuis d’asseoir son pouvoir personnel. Dernière illustration en date : les élections législatives du printemps dernier, auxquelles aucun parti d’opposition n’a pu se présenter, du fait d’une réforme du code électoral taillée sur mesure pour les écarter. Les voisins du Bénin, les institutions internationales, de l’Union africaine à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont eu beau déplorer « une élection ni compétitive ni inclusive », M. Talon est resté sourd à leurs appels.

Après des élections marquées par des incidents de rue, et qui ont enregistré un taux de participation historiquement bas, la tension reste vive à l’intérieur du pays. D’autant que M. Talon semble décidé à poursuivre de sa vindicte tous ceux qui osent critiquer son action. Désormais, c’est l’ancien président Thomas Boni Yayi qui est dans son viseur. Celui qui avait dénoncé au printemps dernier un « coup d’Etat électoral » a été assigné à résidence pendant des semaines, officiellement « pour le protéger ». Entretenant aujourd’hui le mystère sur son lieu de résidence, l’ancien chef de l’Etat serait en contact avec d’autres cadres de l’opposition, comme Komi Koutché ou Sébastien Ajavon.

Les prémices d’une alternance ?




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