samedi 12 avril - par Laurent Herblay

Le protectionnisme légitime, stratégique, et brutal, de Donald Trump

Les annonces de droits de douane du président des États-Unis cette semaine ont déclenché une vague de critiques quasi unanimes, certains demandant même s’il est fou, ou faisant un parallèle bien rapide avec la Grande Dépression. Pourtant, même si certains aspects du « jour de la libération » peuvent être critiquables, sur le fond, Donald Trump est très loin d’avoir tort.

Le protectionnisme légitime, stratégique, et brutal, de Donald Trump

 

Des intérêts des peuples et de l’oligarchie

Le concert de critiques des médias de milliardaires (ou des prétendus services publics qui suivent la même ligne) et le plongeon des marchés ne sont guère impressionnants. Il signifie seulement que les droits de douane annoncés par Donald Trump contrecarrent les intérêts de l’oligarchie. Et depuis plus de 40 ans, il est clair que les intérêts de l’oligarchie ne sont pas ceux des peuples. Et plus ceux des premiers sont la boussole des dirigeants, plus les peuples souffrent, comme le montre l’expérience Macron. Quel meilleur exemple que la gestion du commerce pour le démontrer : c’est l’Asie protectionniste, du Japon à la Chine, en passant par la Corée du Sud, qui s’est développée le plus rapidement et a réussi à le plus améliorer les conditions de vie de sa population. A contrario, la suppression des barrières dans l’UE et aux USA depuis près de 50 ans a très lourdement pesé sur le niveau de vie d’une majorité de la population. 

Bref, pour qui prend un peu de recul historique sur le libre-échange, le choix de Donald Trump peut apparaître sensé. Mieux, le temps long économique s’aligne avec la situation actuelle des USA, dont le déficit commercial a battu un record en 2024, à plus de 900 milliards de dollars, plus de 3% du PIB. La division par deux du déficit commercial pourrait générer 450 milliards de dollars de richesse supplémentaire. Et cela semble une direction pertinente pour un pays qui s’est lourdement désindustrialisé, l’industrie passant de près de 25% des emplois à moins de 10% aujourd’hui. En outre, il y a certains secteurs (notamment l’automobile), où les capacités productives des USA sont suffisantes pour lui permettre de substituer les importations par des productions locales. En cela, un protectionnisme ciblé sur les produits, prenant en compte la capacité des USA à se substituer aux importations semblait une formule plus logique. 

Mais malgré tout, la formule de fixation des droits de douane, présentée un peu rapidement comme aberrante, n’est pas totalement irrationnelle. Le principe qui la sous-tend, auquel je souscris, c’est que les échanges doivent être équilibrés, non seulement globalement, mais aussi, en grande partie, avec nos différents partenaires commerciaux. Il n’est pas sain de conserver un déficit commercial majeur avec un pays dans la durée : c’est un appauvrissement à son profit. Et en cela, la formule répond assez justement puisque le taux est proportionnel à l’ampleur du déficit commercial par rapport aux échanges. Les pays qui ont les droits de douane les plus élevés sont ceux qui ont le déséquilibre des échanges le plus fort. Et comme ces pays importent peu des États-Unis, les rétorsions seront dérisoires. La Chine vend trois fois plus à l’Oncle Sam que l’inverse : ce dernier a l’avantage dans le conflit commercial. 

Et autant la course à la compétitivité par la politique de l’offre n’a eu aucun effet véritable sur les implantations industrielles en France, autant le discours de Donald Trump a provoqué des choix industriels majeurs : avant les dernières annonces, ArcelorMittal avait annoncé investir aux USA, comme CMA CGM. Samsung et LG avaient annoncé l’option de relocaliser aux USA des productions réalisées au Mexique, tout comme Audi et Porsche dans le groupe Volkswagen, tout comme l’avionneur français Daher. Cette année 2025 est la démonstration claire que la mise en place de droits de douane significatifs par une grande puissance économique permet de relocaliser l’industrie, que cela plaise aux marchés et aux grandes entreprises ou non. Même le Figaro a rapporté l’opinion des grands patrons qui « n’ont rien à cirer » de l’appel de Macron à suspendre les investissements aux USA, la nouvelle brillante idée de notre Jupiter de pacotille. En clair : hausse des droits de douane égale relocalisation et réindustrialisation. 

Bien sûr, les défenseurs de l’oligarchie pointent le risque inflationniste des droits de douane. Ils oublient de rappeler que les précédents, limités, du premier mandat, n’avaient pas déclenché une forte hausse de l’inflation. En outre, les importations pèsent un peu plus de 10% du PIB des USA. Même une hausse moyenne de 20% des prix n’augmentera l’inflation que de 2%, et seulement sur une année, si tant est que les multinationales ne prennent pas en charge une partie de la hausse des prix pour protéger leurs ventes, ce que le niveau actuel des profits peut permettre, en partie. Bref, les inconvénients des droits de douane sont à relativiser, d’autant plus que les bénéfices sont très importants, avec l’ouverture de nouvelles usines, ou l’augmentation de la production des usines actuelles. Le marché états-unien est beaucoup trop important pour que les entreprises ne s’adaptent pas dans le sens voulu par Trump

Pour couronner le tout, il ne faut pas oublier les effets de bord de telles mesures. La relocalisation devrait profiter aux cols bleus, qui seront davantage recherchés, et cela pourrait favoriser les hausses de salaire dans l’industrie. Plus globalement, la réaction négative des marchés n’est pas seulement porteuse de mauvaises nouvelles. D’abord, elle peut faciliter une baisse des taux de la Fed pour compenser le climat économique incertain. Ensuite, les taux d’intérêt à 10 ans ont sensiblement baissé depuis l’investiture : alors qu’ils approchaient les 5%, ils sont tombés à peine au-dessus de 4%, une sérieuse économie pour le budget et pour tous les ménages qui empruntent à taux variable. Plus globalement, le dollar a perdu de la valeur depuis l’investiture par rapport à l’euro : si cela peut accélérer l’inflation sur les produits importés, cela devrait aussi favoriser les exportations et les produits locaux à domicile. 

Bien sûr, sur la forme, les choix très brutaux de Trump interrogent. Ainsi, il renforce encore le caractère arbitraire et brutal des USA et devrait nourrir la volonté de bien des pays de moins dépendre d’un tel partenaire. Et malgré les limites du choix de droits par pays, les prévisions cataclysmiques des défenseurs de l’oligarchie reflètent surtout leurs intérêts. La question qui se pose, c’est comment Donald Trump va gérer la séquence qu’il a ouverte : s’agira-t-il bien d’un vrai changement de fond ?



7 réactions


  • Eric F Eric F 12 avril 14:03

    En fait on ne sait pas si Trump avait bluffé avec ses tarifs douaniers ubuesques à la tête du client, ou si il y croyait vraiment et que ça allait relancer l’autarcie du pays. 

    Car lors son show (’’jour de la libération’’), il paraissait convaincu de toutes ses mesures, avec des stupidités comme de confondre TVA et barrière douanière, ou de compter séparément la Réunion par rapport à la métropole, et d’autres facéties du même tonneau.

    Apparemment certains de son entourage l’ont poussé à reculer (pour leur propre business, mais aussi pour le réalisme économique). Mais ce n’est qu’un report de 3 mois, pour négocier (par exemple l’UE devra lui acheter davantage de GNL au prix fort pour équilibrer la balance, alors que le gaz russe est 4 fois moins cher).

    Reste la Chine dans le collimateur yankee, mais l’industrie et la consommation étasuniennes sont tellement dépendantes des fournitures chinoises, que ça le quasi blocus ne pourra pas tenir longtemps. Pourtant sur le fond, le yuan étant volontairement sous évalué de moitié, une taxe compensatoire se justifie, mais faudrait y aller graduellement.


    • Fergus Fergus 14 avril 09:14

      Bonjour, Eric F

      Globalement d’accord avec vous.

      Et concernant la Chine, Trump devrait se méfier : Xi ne pliera pas si l’Américain persiste à lui imposer un bras-de-fer. Cela causerait sans doute des dommages économiques importants en Chine, mais plus encore aux Etats-Unis, avec des répercussions sociales et électorales potentiellement graves pour les républicains.


  • Rinbeau Rinbeau 12 avril 19:52

    Nous assistons il me semble à un nouveau partage du monde.. Avec à la table La Chine, la Russie et les USA.. Et les autres au menu !


    • Fergus Fergus 14 avril 09:16

      Bonjour, Rinbeau

      « Avec à la table La Chine, la Russie et les USA »
      Seuls comptent dans ce leadership mondial la Chine  le challenger en passe de devenir le favori et les USA, la Russie n’étant au mieux qu’un supplétif des Chinois.


    • Rinbeau Rinbeau 14 avril 18:45

      @Fergus

      la Russie n’étant au mieux qu’un supplétif des Chinois.

      Un supplétif vainqueur à YALTA..
      Un supplétif vainqueur à RIYAD

      Malgré une mise à l’isolement depuis 1917.. à la différence de la Chine qui a bénéficié des faveurs de l’oligarchie occidentale..
      Plus pour longtemps d’ailleurs..
       
      Sacré résilience pour un Supplétif..


  • yvesduc 14 avril 09:14

    Il y a quand même un problème un problème avec la vitesse à laquelle ces droits de douane sont appliqués. Une usine ne se construit pas en une nuit. Trump aurait pu décider d’un calendrier progressif, qui aurait laissé le temps aux alternatives intérieures de se mettre en place. D’ailleurs, il recule de deux pas chaque fois qu’il avance de trois !


    • Bernard Mitjavile Bernard Mitjavile 14 avril 10:52

      @yvesduc
      C’est sa façon de négocier certainement plus efficace que la façon dont Macron négocie avec l’Algérie pour finalement garder tous les OQTF...


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