Le Reichstag brûle-t-il ?
Il y aura 80 ans à la fin du mois, l’incendie du Reichstag permettait à l’Etat nazi de suspendre les libertés individuelles, d’organiser la répression de ses adversaires et d’asseoir sa dictature.
Il y a un peu plus de 40 ans, après l’attentat de la Piazza Fontana, les situationnistes italiens publiaient le tract Le Reichstag brûle-t-il ?
Il y a quelques jours, Chokri Belaïd était physiquement éliminé devant son domicile.
On sait que comparaison n’est pas raison. On dit aussi que « l’histoire ne se répète pas, mais qu’elle bégaie » et que si « tous les grands événements et personnages historiques se répètent (…) la seconde fois (ils se répètent) comme farce »[1].
Les situationnistes avaient vu dans l’attentat de la Piazza Fontana à Milan[2] une analogie avec l’incendie du Reichstag : une provocation du pouvoir.
« Face à la montée du mouvement révolutionnaire, malgré l’action méthodique de récupération des syndicats et des bureaucrates de la vieille et de la nouvelle « gauche », il devient fatal pour le Pouvoir de ressortir une fois encore la vieille comédie de l’ordre, en jouant cette fois la fausse carte du terrorisme, pour tenter de conjurer la situation qui l’obligerait à découvrir tout son jeu face à la clarté de la révolution.
Les attentats anarchistes de 1921, les actions désespérées des survivants de l’échec du mouvement révolutionnaire de cette époque, fournirent un prétexte commode pour instaurer, avec le fascisme, l’état de siège sur toute la société. »[3]
Les situationnistes italiens laissaient donc entendre que l’Etat italien était en train de « mettre la terreur à l’ordre du jour. » A leurs yeux, l’attentat de la Piazza Fontana avait pour but le résultat obtenu par l’incendie du Reichstag : « l’état de siège sur toute la société. »
Mais eux-mêmes, dans leur texte, n’utilisent qu’une seule fois, dans le titre, la référence à l’incendie du Reichstag. Ils se moquent même un peu des gauchistes pour qui dénoncer le fascisme, c’est un peu comme crier au loup :
« Ainsi, le Pouvoir doit brûler, dès le début, la dernière carte politique à jouer avant la guerre civile ou avant le coup d’État dont il est incapable, la double carte du faux « péril anarchiste » (pour la droite) et du faux « péril fasciste » (pour la gauche), aux seules fins de déguiser et de rendre possible son offensive contre le vrai danger : le prolétariat. »
Malgré leur jargon radicaliste, ils auront vu assez juste en cette affaire qui sera le point de départ des « années de plomb ». Trente ans plus tard l’implication des services secrets et du fameux Gladio ne sera plus sérieusement contestée.
L’assassinat de Chokri Belaïd présente des analogies et des différences avec cet événement vieux de quarante ans. La première différence, c’est qu’il ne s’agit pas d’un attentat aveugle, mais d’une exécution téléguidée. La seconde, c’est que le pouvoir qui l’a téléguidée est peut-être lui-même un peu aveuglé. Avait-il l’intention de « mettre la terreur à l’ordre du jour », de déclancher des « années de plomb » et « d’asseoir sa dictature » ?
Ce pouvoir est sorti des urnes, mais il peine à asseoir sa légitimité. Il a besoin du soutien médiatique et financier du Qatar et des interventions musclées de quelques malabars.
Pendant la première époque des « révolutions arabes » en 2011, on a mis l’accent, à juste raison sur la durée et les détours des révolutions. Rome ne s’est pas faite en un jour, ni la révolutiont française » en une nuit du quatre août. Celle-ci s’est poursuivie jusqu’à la Commune de 1871 et les attentats anarchistes d’avant la Première Guerre mondiale. Elle a connu les détours de deux Empires et de deux restaurations royales. Et dès 1793, elle avait mis « la terreur à l’ordre du jour »
On a donc osé l’analogie entre les « révolutions arabes et françaises » et suggérer que, de même qu’en France avait vu le jour une « démocratie chrétienne », il n’était pas impossible que naisse en terre d’islam une « démocratie islamique ou musulmane ».
C’est d’ailleurs ainsi que le parti Ennahda s’est présenté lors de son accession au pouvoir. Il avait comme modèle le parti islamique de Turquie, et non pas Les Frères Musulmans d’Egypte ou les salafistes du Golfe.
Mais comparaison n’est pas raison et il est peut être nécessaire en oser une autre.
L’Allemagne et l’Italie ont réalisé leur unité quand la France était en train de terminer sa révolution. Mais avant que la « démocratie chrétienne » ne triomphe dans ces deux pays, ils étaient passés par le fascisme et le terrorisme d’Etat.
Les Tunisiens (et les Maliens) sont peut-être en train d’essayer d’éviter cette farce tragique : de jeunes garçons sexuellement réprimés prêts à tuer des infidèles (et à les violer si ces infidèles sont des femmes) et à être tués pour connaître dix mille vierges ; et de jeunes filles conduites à s’immoler.
Je répète donc ce que je disais récemment :
« La psychologie de masse de ce nouveau fascisme, c’est donc « la peste émotionnelle réactivée », fondée, non pas sur la défense de l’Etat ou de la race, mais du système endogame ébranlé par l’alphabétisation et le contrôle des naissances. Ses manifestations ne se limitent pas au terrorisme que dénoncent les Occidentaux. C’est d’abord la propagande islamiste dans les minorités musulmanes en terre de tradition chrétienne et le sort fait aux femmes dans la vie quotidienne. »
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-la-guerre-130003
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/il-y-a-deux-ans-deja-129149
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/tunisie-funerailles-de-chokri-130465
[1] « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce, Causidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1951 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l’oncle. Et nous constatons la même caricature dans les circonstances où parut la deuxième édition du 18 Brumaire ». (Marx)
[2] Le 12 décembre 1969 : 16 morts et 88 blessés.