Les Allemands disent-ils véritablement merci à Merkel ?
Bien sûr, après 16 ans au pouvoir, Angela Merkel restera une figure de la vie politique allemande et même européenne. Mais alors que la plupart des média français dressent les louanges de la chancelière qui va partir à la retraite, en ne retenant souvent que ces choix qu’ils jugent positifs, les résultats électoraux ou plus généralement l’état du pays, poussent à fortement nuancer. Son parti n’est-il pas passé de près de 42% des voix en 2013, à 33% en 2017 et seulement 24% cette année ?
Une politique au service de l’oligarchie allemande
Bien sûr, bien des commentateurs évoquent une extraordinaire performance économique allemande, entre un excédent commercial colossal, un des budgets les plus équilibrés de l’UE et une des dettes les plus faibles. Mais une telle vision de l’Allemagne est extraordinairement partielle et partiale. Partiale car cela revient souvent à fermer les yeux sur bien des aspects de la réussite allemande. D’abord, il y a cette monnaie unique européenne qui offre à l’Allemagne une monnaie dévaluée en permanence par rapport à la valeur de la monnaie qu’elle aurait seule, comme même le FMI le souligne. Ensuite, elle camoufle son protectionnisme local dans le libre-échange excessif de l’UE, ce qui lui ouvre les marchés extérieurs, notamment asiatiques. Enfin, elle a été le premier pays à utiliser une grande régression sociale pour gagner en compétitivité, avec les lois Harz, lui donnant un temps d’avance, jamais repris depuis.
Car, comme le pointait Olivier Berruyer dans son livre « Les faits sont têtus » il y a 10 ans, complété par « Le couple franco-allemand n’existe pas » de Coralie Delaume, dont un livre posthume vient de sortir, le sort des Allemands n’a pas été très bon depuis vingt ans. Avec les mini jobs, et un salaire minimum ridicule, une partie de la population s’est appauvrie, au point que le taux de pauvreté y est plus élevé qu’en France, une situation ubuesque pour un pays qui exporte autant. Le pseudo modèle allemand est extrêmement oligarchiste et aboutit à construire un pays qui tourne essentiellement pour ses entreprises et les plus riches. Le choix d’accueillir des migrants l’était tout autant, en assurant une main d’œuvre à bas coût. Outre un niveau de pauvreté effarant dans un pays avec si peu de chômage, l’Allemagne se distingue également par des infrastructures dans un piteux état du fait de l’austérité permanente.
D’ailleurs, si l’Allemagne était un modèle, les Allemands voteraient en masse pour leurs dirigeants. Il faut rappeler ici qu’en 2017, le parti d’Angela Merkel et le SPD, au pouvoir dans une grande coalition depuis 2013, avait tous les deux signé leur plus mauvaise performance depuis les élections d’après-guerre, avec un recul de 8,6 points pour la CDU-CSU, et de 5,2 points pour le SPD, avec une envolée des libéraux du FDP et de l’AfD, qui dépassaient chacun les 10% des voix, alors qu’ils étaient sous les 5% quatre ans auparavant, leur permettant d’avoir des élus. Les résultats des deux dernières élections démontrent une vraie insatisfaction à l’égard des politiques menées par Angela Merkel, sans pour autant permettre un renouvellement, du fait du mode de scrutin, et du paysage politique global allemand.
Et les résultats de dimanche confirment la fracture entre les Allemands et la grande coalition au pouvoir depuis 2013. Le total des voix SPD + CDU-CSU n’a jamais été aussi bas, les deux partis ayant à peine réuni les voix d’un électeur sur deux ! La moitié des électeurs ont exprimé leur préférence pour l’opposition dimanche ! Le jugement des Allemands à l’égard du parti de Merkel est encore plus cruel : il a perdu plus de 40% de ses électeurs en 8 ans, passant de plus de 40% des voix à un tiers en 2017, avant de tomber à moins de 25% en 2021. Le recul de 9 points cette année est d’autant plus marquant qu’il se fait après un recul similaire 4 ans avant, à un plus bas historique. Il est malheureux que les média français soulignent insuffisamment cette évolution qui jette un regard cru sur le jugement des Allemands.
Même si elle semble garder une certaine aura, nourrie par sa gestion de la crise sanitaire, ce que disent les Allemands dans les urnes n’est pas vraiment un merci à Angela Merkel. C’est plutôt un jugement négatif à l’égard de ses politiques et une envie de passer à autre chose, même si l’alternative n’est ni claire, ni clairement représentée par un autre parti politique, le SPD faisant partie de la majorité. En conclusion, le jugement démocratique est clairement négatif, point trop peu souligné.