mardi 9 mars 2010 - par infoguerre.fr

Les routes du Nord : un discours, deux stratégies…

Alors que sur les écrans du monde occidental l’ours polaire, victime expiatoire des fautes environnementales humaines n’en finit pas de mourir, le grizzli canadien et l’ours russe se lèchent les babines. Dans un contexte où les routes maritimes du détroit de Malaga et du golf d’Aden sont devenues dangereuses, une conséquence attendue du réchauffement climatique est, dans un avenir qui reste à déterminer, de proposer une alternative aux routes des canaux de Suez et de Panama. La déclaration d’Ilulisat réaffirmait le cadre juridique régissant l’arctique, mais si le Groenland et la Norvège ne doivent pas être oubliés sur l’échiquier arctique, ce sont principalement le Canada et la Russie, étonnamment convergents dans leur dialectique de revendication de souveraineté, qui ont de fait une carte à jouer sous l’arbitrage offensif des Etats-Unis. Ces cartes semblent identiques, mais les forces et peut-être même les volontés profondes ne sont pas égales. Décrypter la stratégie de puissance des deux pays, c’est comprendre les enjeux à long terme du développement de ces nouvelles routes et déjà y déceler les puissances qui misent sur leur praticabilité.

En fait de grizzli, le Canada serait plutôt un ourson. Ses prétentions à conserver le contrôle de ses frontières maritime Nord se heurtent à la relative pauvreté de ses moyens. Le 8 octobre dernier, un groupe de parlementaires conservateurs canadiens proposait d’inclure le nom du Canada dans la dénomination du Passage du Nord ouest (Arctic Northwest Passage). Si la mesure semble futile, elle est symbolique et cadre avec la déclaration du ministre des affaires étrangères Lawrence Cannon qui fait du Canada une « superpuissance arctique » qui s’ignore. Dès sa prise de pouvoir en 2006, le premier ministre Harper avait dénoncé les affirmations américaines faisant du passage du Nord Ouest une route internationale. Cette opposition entre les deux partenaires traditionnels n’est pas nouvelle. En 1969, les Etats-Unis avaient déjà « testé » le passage du Nord-ouest afin de garantir l’évacuation de son pétrole d’Alaska. Le trajet du « Manhattan » avait marqué la reprise d’un contentieux ravivé par de nombreuses violations des eaux canadiennes (brise glace "USCGC Polar Sea" en 1980, sous marin "USS Charlotte" en 2005). La nécessité de l’exercice de cette souveraineté déclarée devait amener une réaction d’Ottawa. En 2007, le canada annonçait la création d’un port en eaux profondes à Nanisivik au nord de l’ile de Baffin, la militarisation du contrôle du trafic, la construction de nouveaux brise-glaces plus puissants et le renforcement de la présence militaire dont les récents exercices « Nanook » sont l’expression la plus visible.

Dans son opposition aux affirmations internationales sur le statut du passage du Nord-ouest et ses efforts pour se dégager de l’encombrante tutelle du grand frère américain, il est intéressant de noter que le Canada a choisi de se battre avec une double dialectique que l’on pourrait résumer ainsi : nous sommes les meilleurs face aux problèmes d’environnement, nous sommes les meilleurs face aux russes. Ceci dans un contexte où les entreprises américaines sont très présentes.
 
Dans sa « loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques », Ottawa décidait en 2008 de faire passer de 100 à 200 nautiques la zone de déclaration de navigation pour tout navire croisant au large de ses côtes. De plus cette formalité passait de volontaire à obligatoire. Cette mesure, pour symbolique qu’elle est, place le Canada en « véritable défenseur de l’écosystème arctique » face à une « opinion publique internationale » sensibilisée. Mais c’est sur le plan de la défense que la stratégie canadienne est la plus significative. Sur les cinq pays intéressés par les routes arctiques, seule la Russie n’est pas membre de l’OTAN. Or pour faire pendant aux inquiétudes américaines et prouver sa capacité à garantir la sécurité de routes considérées comme stratégiques par Washington, le Canada revendique le rôle de bras armé de l’OTAN dans la zone arctique. L’opération « Nanook » étant ici la démonstration des capacités de contrôle développées par les forces canadiennes notamment lorsqu’elles sont mis en perceptive avec les exercices américains qui se sont déroulés cette année en Alaska.
 
Il est cependant probable que les revendications canadiennes ne résistent pas aux pressions grandissantes de Washington. La volonté d’intégrer Ottawa dans le programme de bouclier anti-missiles, la stratégie groenlandaise des Etats-Unis et le contrôle effectif qu’ils exercent sur le détroit de Béring condamne une route que le Canada semble avoir du mal à contrôler. La nécessité pour Ottawa de solliciter l’aide américaine pour cartographier ses propres côtes est ici symptomatique et soulève un certain nombre de questions sur la réalité du combat canadien. L’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’obtenir des gages des Etats-Unis en échange d’un contrôle de la route nord n’est pas totalement absurde.

La géopolitique commence par le nom que l’on donne aux choses et dans ce cadre l’ours russe dispose de griffes puissantes. Ici encore la volonté américaine de parler du « passage du nord-est » au lieu du « Severniy morskoy put » pour parler d’une route ouverte par les soviétique en 1935 est un signe fort. Comme dans le cas du passage du Nord-ouest, la convention de Montego Bay garantit aux états signataires une zone économique exclusive de 200 milles au large de leurs côtes. Mais la Russie réclame encore davantage, soutenant que la chaîne montagneuse de Lomonossov située sous l’océan Arctique est le prolongement du plateau continental sibérien. "Toutes nos régions septentrionales sont dans l’Arctique ou en sortent".

En anticipation de la hausse du trafic maritime international dans l’Arctique, les autorités russes ont décidé de prolonger les restrictions sur la navigation qui justifient l’envoi de forces armées pour bloquer tout bâtiment militaire étranger, empêcher l’accès aux navires de commerce jugés peu sûrs pour la navigation et permettre l’instauration d’un péage et l’obligation du recours à des pilotes et des navires brise-glace russes. Parallèlement les commandes de bâtiments aptes à naviguer dans ces zones devraient doubler dans les prochaines années. Intimement lié à l’exploitation de richesses naturelles rendues exploitables par le dégel du permafrost (pétrole et gaz de Iambourg et Ourengoï, minerais métallifères de Kola et Norilsk), le développement d’infrastructures portuaires est devenu une priorité pour la Fédération de Russie dans sa stratégie de revalorisation de puissance. La souveraineté russe sur la Route Maritime du Nord est donc primordiale. Dans ce cadre, le Conseil de Sécurité Russe a ordonné le déploiement de troupes en arctique afin d’y assurer la sécurité militaire.

Comme souvent lorsque l’on parle de la Russie, il faut chercher l’Allemagne. Le 18 septembre dernier, la société « Beluga shipping » basée à Brême a annoncé le passage de deux de ses cargos par la route maritime du Nord. Cette première sera suivie par une exploitation commerciale dès 2010, un certain nombre de contrats ayant déjà été signés pour le transport de pièces jusqu’à 1000 tonnes. En négociant avec l’Etat russe, l’Allemagne qui dispose du brise-glace « Polarstern » et d’une base à Samyolov reconnait ainsi implicitement la souveraineté de Moscou sur l’itinéraire. Les savoir-faire techniques en matière de navigation polaire allemande appuyant cette politique. Mais l’Allemagne n’est pas seule à y trouver un intérêt potentiel : le développement de routes commerciales alternatives entrainant immanquablement un déplacement du centre de gravité des flux logistiques, les hubs de Singapour et de Hong Kong perdront une part du trafic au profit de ports chinois, coréens ou japonais.
 
 


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