lundi 17 octobre 2005 - par PAF 2.0 (Politique arabe de la France)

Mérimée : flou artistique à partir de 1998

Si la carrière de Jean-Bernard Mérimée pendant ses années au Quai d’Orsay (de 1965 à 1998-99) est parfaitement bien connue et balisée, la suite est beaucoup moins nette. Mes derniers jours de fouille dans la période 1998-2005 de l’ambassadeur de France à vie me laissent une forte impression de flou. Les documents relatifs à Mérimée sont souvent approximatifs, ou mis à jour a posteriori. On a du mal à distinguer ce qui relève du travail bâclé, de l’amateurisme, ou de la dissimulation. Et son passage comme conseiller de Kofi Annan à l’ONU n’a pas encore révélé tous ses secrets...

On peut commencer à dresser le portrait de ce flou artistique avec deux communiqués de conseil des ministres. Le mercredi 17 février 1999, Jean-Bernard Mérimée est nommé (catégorie "nominations internationales") "conseiller spécial pour les affaires européennes du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan". La nomination est agrémentée, comme c’est l’usage, du profil de carrière de Mérimée. Pendant trois ans ambassadeur à Rome (1995-1998), puis il change d’affectation, ainsi qu’il est précisé : "Depuis le 24 juillet 1998, il était en mission à l’administration centrale du ministère des affaires étrangères". (Se reporter au Figaro du jeudi 18 février 1999, article non disponible sur Internet).

Deux mois plus tard (conseil des ministres du 7 avril 1999), Jean-Bernard Mérimée est élevé à la dignité d’ambassadeur de France. Curieusement, le communiqué le présente comme "ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française à Rome", alors qu’il est revenu de ses fonctions italiennes en juillet 1998 ! Négligence ? Incompétence caractérisée du fonctionnaire qui a rédigé la fiche ? Oui, je sais, l’administration française est capable de bien pire. Mais tout de même, considérant l’honneur que constitue la "dignité d’ambassadeur de France" (ils ne sont que quelques-uns, la fine crème de notre diplomatie, dont Serge Boidevaix, à y avoir été élevés), on aurait pu attendre un peu plus d’exactitude dans l’énoncé des fonctions de l’intéressé.

Continuons. En avril 2000, Jean-Bernard Mérimée est recruté par la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) comme administrateur. Il en démissionne en mai 2004, alors que son mandat avait été renouvelé pour six ans l’année précédente. Pour quelle raison ? Probablement qu’avec son apparition sur la liste de bénéficiaires du programme "pétrole contre nourriture" dans le journal irakien Al-Mada le 25 janvier 2004, son carnet d’adresses et le prestige de son titre d’ "ambassadeur de France" perdaient de leur valeur aux yeux de la deuxième plus grande banque marocaine...

Pourtant, alors qu’il a démissionné depuis plus d’un an, il apparaît encore aujourd’hui sur le site Internet de la Banque comme administrateur !

Décidément, c’est une manie chez lui. On ne peut s’empêcher de le signaler encore en poste bien après son départ effectif : comme ambassadeur à Rome en 1999 (alors qu’il ne l’est plus depuis 1998), au CA de la BCME encore aujourd’hui (alors qu’il a démissionné en mai 2004) et... à l’ONU jusqu’en juillet 2005 (alors qu’il aurait quitté ses fonctions onusiennes en février 2002).

C’est en effet la journaliste Claudia Rosett qui a révélé le flou de la période onusienne de Jean-Bernard Mérimée.

Yet more mystery attends upon the U.N.’s handling in recent years of Jean-Bernard Merimee’s U.N. status - which recently entailed one of those Orwellian U.N. moments. Although the secretary general’s office now claims that Merimee’s work for the U.N. ended in February, 2002, he was listed until July, 2005 on Kofi Annan’s section of the U.N. website as an active special adviser to the secretary general.

To be precise, Merimee’s name was on Annan’s select list of special and personal representatives and envoys until July 26 of this year, when I asked Annan’s office where I might contact him. The next day, July 27, Merimee’s name vanished from Annan’s website list. When I asked the U.N. about the abrupt and unannounced disappearance, Annan’s spokesman said it had been an "oversight" that although Merimee’s "official affiliation" with the U.N. ended in 2002, his name had remained on Annan’s public list of special envoys for another three years and five months. The U.N., I was told, had merely updated the list. The spokesman added that the U.N. had no knowledge of Merimee’s whereabouts, not even a phone number.

C’est donc une habitude chez M. Mérimée depuis son retour de Rome : on sait quand il commence, pas quand il finit. Le conseil des ministres, la BMCE et l’ONU ont tous du mal à situer précisément le début et la fin de ses activités. Ce qui m’incite encore à la méfiance quant à la date de la retraite administrative de l’ambassadeur.

C’est bien évidemment la question de sa mission à l’ONU qui est la plus importante, le reste étant troublant, certes, mais probablement anecdotique. Et pour ajouter de l’eau au moulin de Mme Rosett, voici que j’ai entrepris d’aller consulter le Who’s Who.

Évidemment, un individu aussi éminent ne pouvait pas ne pas s’y trouver. Il m’en a coûté six Euros pour apprendre que l’ambassadeur à vie avait récolté les décorations suivantes : commandeur de l’ordre du Christ (Portugal), grand officier de l’ordre du Phénix (Grèce), commandeur du Dannebrog (Danemark), officier de la couronne de chêne (Luxembourg) et commandeur du mérite à l’Ordre souverain de Malte. Autant de titres dont (Ordre de Malte excepté) j’ignorais l’existence, et dont je vois mal comment l’ambassadeur a pu les obtenir, lui qui n’a jamais été en mission diplomatique au Portugal, ni en Grèce, ni au Danemark, ni au Luxembourg. Un mystère de plus...

Mais, pour en revenir à l’essentiel, la fiche biographique du Who’s Who, mise à jour le 6 août 2004, signale une carrière qui s’est achevée en 1999, puisque sa dernière affectation est présentée comme suit : conseiller spécial avec rang de secrétaire général adjoint pour les affaires européennes auprès du secrétaire général de l’ONU à New York (1999). Or, dans la version précédente de la fiche (celle de l’édition datant d’octobre 2003), Jean-Bernard Mérimée était présenté comme travaillant encore pour l’ONU, puisque son poste était suivi de la précision entre parenthèses : (depuis 1999). Son adresse professionnelle était d’ailleurs celle du siège new-yorkais de l’organisation internationale. Une mise à jour subséquente (certainement liée aux révélations du quotidien Al-Mada en janvier 2004) a donc été faite à sa fiche pour que n’apparaisse plus que l’année 1999 comme celle de sa mission.

On a donc trois versions contradictoires de la fin de son mandat onusien :

1) Le 14 février 2002, selon Stephane Dujarric, le porte-parole de Kofi Annan (cité par Claudia Rosett).
2) Au cours de l’année 1999, selon sa dernière fiche Who’s Who.
3) Après 2003, selon l’avant-dernière fiche Who’s Who.

Jean-Bernard Mérimée et l’ONU : on n’est pas au bout du mystère.




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