Madame la Présidente, honorables représentants des peuples autochtones,
le peuple kabyle vous salue dans sa langue pour marquer son entrée
officielle au Palais des Nations Unies, en ce mardi 26 mai 2009.
Le peuple kabyle est, depuis l’indépendance de
l’Algérie (1962), le souffre-douleur du régime qui s’est imposé par la
force. En stigmatisant chaque jour les Kabyles et en les désignant à
l’opinion comme une grande menace sur l’unité nationale, le pouvoir
algérien s’en sert comme bouc-émissaire et comme un formidable moyen de
diversion politique à l’échelle du pays. La Kabylie a une forte
personnalité qui lui donne une identité indissoluble dans tout ensemble
politique qui ne la reconnait pas et ne la respecte pas pour ce qu’elle
est.
Ainsi, les 47 années que viennent de passer ensemble ce
pouvoir et la Kabylie sont faites d’un interminable bras de fer dont
les apogées sont cycliques :
Insurrection armée en 1963-65, révolte pacifique au « printemps amazigh » de 1980,
création de la première Ligue Algérienne des Droits de l’Homme en 1985,
Boycott scolaire durant toute l’année 1994-95
Révolte pacifique suite à l’assassinat du grand chanteur populaire kabyle Matoub Lounès en 1998.
Assassinat
de 126 manifestants pacifiques kabyles par les gendarmes algériens en
2001-2003 auxquels s’ajoutent plus de 1200 handicapés à vie par balles
réelles.
Boycott
de toutes les élections présidentielles depuis 1999 dont les dernières,
le 9 avril avaient donné lieu à de violents affrontements entre les
citoyens kabyles (surtout dans la région de Tuvirett : Rafur,
Imceddalen, Cherfa, At Hamdun, Taqervuzt, Tazmalt, At Zellal…) et les
troupes dépêchées par Alger pour voter à la place des électeurs.
Il
y a 10 jours encore, Tala Ifassen et la localité de Vouândas
(Kabylie-Est) ont connu des échauffourées opposant 1600 gendarmes aux
citoyens de la localité qui exigeaient le rattachement de leur localité
à une circonscription administrative kabyle. Trente neuf d’entre eux
viennent d’être injustement condamnés à la prison lors d’un procès
expéditif dans lequel leur défense n’était pas assurée.
Il faut rappeler que si le pouvoir mobilisait ne
serait-ce que 800 gendarmes pour éradiquer le terrorisme islamiste, on
n’en entendrait plus parler en Kabylie, et ce, en très peu de temps.
L’oppression identitaire
Le déni d’existence opposé au peuple kabyle, l’une des
premières nations de ce qu’il convient d’appeler l’Algérie, fait de son
identité, de sa langue, de sa culture et de son histoire un tabou. Pour
le pouvoir algérien, le Kabyle ne doit avoir ni identité, ni langue, ni
territoire. La Kabylie ne devrait même pas avoir de nom puisque,
d’après lui, elle n’aurait pas d’existence. Le problème nodal est donc
existentiel. Selon les tenants du régime algérien, elle ne devrait
exister qu’une fois son identité morte, digérée par celle d’un pouvoir
raciste, antikabyle.
L’occupation militaire et l’insécurité
Actuellement, et surtout depuis les élections
présidentielles de 2004, Bouteflika, le président dont l’élection a
toujours été sujette à caution, a quadrillé militairement l’espace
kabyle pour prévenir une insurrection armée qui n’existe que dans sa
tête. Malgré cette présence massive de militaires sur notre territoire,
le ministre de l’Intérieur vient d’annoncer qu’il va y déployer des
renforts de gendarmes auxquels il promet une caserne dans chaque
commune de la Kabylie. A-t-on une intention génocidaire contre le
peuple kabyle au sommet de l’État algérien ? Nous sommes forcés de le
croire dès lors que l’insécurité est savamment entretenue dans cette
partie du pays où les terroristes islamistes qui y sont des étrangers
se promènent en toute impunité depuis 15 ans. Les kidnappings
d’entrepreneurs y sont devenus une industrie très lucrative, plus d’une
vingtaine en trois ans. Les faux-barrages routiers, souvent dressés à
quelques centaines de mètres de ceux, officiels, tenus par des forces
conjointes de la gendarmerie et de l’armée, rackettent de pauvres
citoyens dans les voitures quand ils ne donnent pas lieu à des
assassinats de jeunes appelés sous les drapeaux.
Le sabotage économique
Les autorités algériennes sabotent l’économie de la
Kabylie pour en affamer le peuple et le réduire à la mendicité. Cela en
faciliterait la soumission et l’aliénation, la dépersonnalisation. Ce
sabotage se réalise à travers plusieurs pratiques :
* Obstruction à l’investissement public et privé par
le refus d’agrément aux projets de création d’entreprises et
d’industries viables.
* Refus d’assiette de terrain devant servir à l’implantation de l’usine ou de l’entreprise de services
* Refus d’accès à des devises pour l’importation de machines-outils
* Pression fiscale inégalée ailleurs et par laquelle,
d’une part le pouvoir écume la plus value dégagée afin d’éviter son
réinvestissement, et d’autre part pour pousser les industriels qui y
sont implantés à quitter la région pour d’autres cieux plus cléments.
Même l’agriculture a été prise pour cible. C’est à
coups d’incendies allumés par des gendarmes et des militaires que les
autorités ont anéanti en l’espace de deux ans (2007-2008) plus d’un
million cinq cent mille oliviers, ces arbres mythiques dont l’espèce
est endémique, remontant à des millénaires et qui font l’économie, la
santé et la fierté de la Kabylie.
Ses forêts (environ 200 000 ha) sont soumises à des
incendies criminels depuis plus de vingt ans sans que les autorités ne
s’en inquiètent ou tentent de les éteindre. Bien au contraire, y
compris lorsque les flammes lèchent les maisons, les militaires
interdisent à leurs propriétaires de les éteindre. Les seules années où
nos forêts n’ont pas brûlé, ce sont celles durant lesquelles la Kabylie
avait chassé les gendarmes de son territoire, pendant les « événements
du printemps noir 2001-2003.
La démagogie de l’Algérie à l’ONU
Démagogique, l’Algérie a souscrit à toutes les
déclarations de l’ONU sur les droits humains et a même voté celle du 13
septembre 2007 sur les Droits des Peuples autochtones. Sur le terrain,
elle en viole l’ensemble des dispositions.
Avec l’appui de la communauté internationale et des
organes des Nations Unies chargés du respect des pactes internationaux
relatifs aux droits sociaux économiques et culturels, nous espérons
faire ensemble pression sur le pouvoir algérien pour que le peuple
kabyle puisse jouir de l’ensemble de ses droits que seule une autonomie
régionale qu’il revendique à travers le MAK, lui donnera. La marche
qu’il a organisée à cet effet le 20 avril dernier à Tizi-Wezzu et qui a
drainé plus de 20 000 manifestants en est une preuve édifiante.
J’en appelle personnellement à toutes les consciences
éclairées de par le monde pour aider ce peuple de 10 millions d’âmes
qui, même en état de légitime défense, préfère une solution politique,
l’autonomie régionale, à une solution militaire.
La solution de l’autonomie est celle qui pourrait
régler bien des conflits dans le monde dont celui de l’Afghanistan, du
Kenya, de l’Irak, de la Côte d’Ivoire, de la Somalie ou, plus proche de
nous, celui opposant l’Algérie à travers le Polisario au Maroc qui,
depuis quelques années, propose avec sagesse une autonomie régionale
pour la bande du Sahara anciennement colonie espagnole.
Après avoir été à l’avant-garde de l’Algérie dans sa
lutte de libération nationale, la Kabylie assume avec fierté le même
rôle pour nombre de peuples du monde en bute à des problèmes de déni
d’existence et d’oppression identitaire et culturelle.
New York, Palais des Nations Unies, le 26/05/2009
Ferhat Mehenni
Président du Mouvement pour l’autonomie e la Kabylie