Mort pour mort
« Paix et soulagement ». Ce sont les propos de la mère du policier tué il y a 20 ans, rapportés par la presse. C’est ce qu’elle attendait de l’exécution de Troy Davis. Elle a obtenu satisfaction : Monsieur Davis est mort dans une prison de Géorgie par injection létale. Mort pour mort. La loi du sang.

Troy Davis, possiblement innocent
Dans cette mort il y a deux aspects. D’une part le cas particulier de Troy Davis. Il a été exécuté malgré de nombreux recours. Toutes les voies légales ont été utilisées, en vain. On pourrait se dire : la chose a été jugée lors d’un procès normal, il a été condamné à l’unanimité des 12 jurés, les juges qui ont examiné ses recours n’ont pas vu matière à modifier la sentence. Il n’y a donc pas lieu de refaire le procès dans la rue, pas plus par exemple que pour Dominique Strauss-Kahn.
Cependant il y a dans cette affaire des éléments troublants. Pour mémoire, Monsieur Davis a été condamné uniquement sur des témoignages. Or, selon les informations dont nous disposons, sept des neufs témoins se sont rétractés par la suite et ont reconnu avoir menti, entre autres sous les pressions de la police. D’autres témoins ont par la suite désigné unanimement un autre homme comme responsable du meurtre. Des éléments ne corroborent pas la culpabilité de Troy Davis. Ayant pris connaissance de ces éléments trois jurés ont affirmé qu’ils n’auraient pas voté sa culpabilité dans ces conditions.
Le doute sur cette culpabilité aurait-il dû conduire à une révision du procès ? Les juges qui ont examiné les recours ne l’ont pas voulu. Le système judiciaire américain est pourtant un bon système. Mais comme partout, quand la justice a pris un chemin, il est presque impossible de l’en dévier ou de la faire revenir en arrière.
Imaginer que la justice condamne et exécute un possible innocent est insupportable. Il faut bien sûr admettre que cette justice n’est pas infaillible, parce qu’elle est administrée par des humains. Elle doit en conséquence se donner tous les garde-fous nécessaires pour éviter l’erreur judiciaire. Car si le crime est une rupture de confiance entre les citoyens, dont certains abusent ou disposent indûment d’autres, l’erreur judiciaire introduit l’absurdité dans la société. Elle n’est pas assimilable et conduit à une autre rupture entre les citoyens et les institutions.
La question de l’innocence de Troy Davis n’est pas résolue puisqu’elle n’a pas été réexaminée. Deux versions s’opposent ici. Il y a celle de la justice, et jusqu’à la Cour Suprême, qui confirme la sanction. On peut ne pas reconnaître cette décision et estimer que toutes les instances n’ont eu d’autre intention que de charger un possible innocent. Et il y a la version des soutiens à Monsieur Davis et de la presse, dont les éléments n’ont pas été entendus par un tribunal et sur lesquels nous ne pouvons nous prononcer sans faire un procès de rue. Nous ne disposons pas des décisions écrites et des motivations des différentes instances d'appel. Ce serait pourtant utile.
Si Troy Davis était innocent c’est terrible. S’il ne l’était pas, la question de la peine de mort reste posée.
Mort pour mort
La peine de mort est toujours l’objet de débats. Si elle est encore prévue dans les lois d’une cinquantaine de pays, seul 21 d’entre eux l’ont appliquée en 2010. La peine de mort est la seule sanction irréversible. Elle ne s’applique en principe qu’à des crimes d’une extrême gravité. On ne peut s’opposer à la peine de mort uniquement par sentimentalisme ou par défense des Droits de l’Homme. Si des individus bafouent sans conscience ces Droits, ils s’en excluent d’une certaine manière. Il n’y a pas de raison qu’on leur applique une protection qu’ils ont déniée à leurs victimes.
La peine de mort est cependant une pratique qui n’honore pas la société. Faire la même chose que celui qui est condamné ? Alors la société n’a rien de mieux à proposer. La radicalité de cette sanction n’est même pas dissuasive.
Pourrait-on invoquer une forme de légitime défense de la société contre ceux qui méprisent de manière extrême ses règles élémentaires ? Pas dans le cadre de la justice, qui organise les relations humaines à long terme selon des valeurs. Donner la mort n’est envisageable que dans une agression où l’on doit sauver sa propre vie. Elle l’est également en cas de guerre, ou de lutte contre des groupes qui eux-même n’hésitent pas à semer la mort. Tuer dix personnes pour empêcher la mort de cent autres est une forme de protection de la société et des vivants qui la composent. On peut d’ailleurs être opposé à la guerre parce que même dans cette perspective de protection on n’accepte pas de faire couler le sang d’autres humains. Mais c’est un autre débat.
La peine de mort n’est pas de cet ordre. Elle est une forme de vengeance. En ce sens, elle est inacceptable. L'instauration d'une justice institutionnelle a pour fonction, outre de donner des valeurs ciômmunes à un groupe humain, d'éviter que des individus fassent la justice eux-même, animés par le sentiment de vengeance qui ne garantit pas l'objectivité des jugements.
« Paix et soulagement », disait la mère du policier tué. Vraiment ? S’il faut la mort, s’il faut tuer pour être en paix, cela questionne sur ce qu’est la paix intérieure et la paix sociale, et sur les valeurs de cette personne et de la société.
Cette même nuit au Texas un membre du Ku Klux Klan, Lawrence Brewer, 44 ans, reconnu coupable de crime raciste a été exécuté. La remise en question de la peine de mort s’applique également dans son cas, quel que soit son crime.