lundi 19 mai - par Olivier

Moyen-Orient : une balkanisation programmée ?

Alors que Gaza demeure l’épicentre d’une crise humanitaire majeure, les secousses de la guerre se propagent bien au-delà de ses frontières. Depuis octobre 2023, le Moyen-Orient s’enfonce dans une spirale de désintégration politique et sociale. Et au cœur de ce bouleversement, la stratégie du gouvernement israélien joue un rôle central. Loin de chercher une désescalade, Tel-Aviv mise sur la fragmentation de ses voisins pour sécuriser ses intérêts immédiats — au prix d’un désordre régional de plus en plus incontrôlable.

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En Syrie, la chute du régime Assad a laissé place à un vide de pouvoir exploité par Israël. Les frappes ciblées dans le sud du pays, l’instrumentalisation de la minorité druze et l’occupation rampante de zones stratégiques proches du Golan s’inscrivent dans une logique assumée de remodelage territorial. L'État hébreu s’appuie sur l'effondrement de l’autorité centrale syrienne pour installer une architecture sécuritaire basée sur la division communautaire, marginalisant ainsi toute perspective de reconstruction nationale. En encourageant — voire en facilitant — certaines dynamiques centrifuges, Israël veut transformer un effondrement syrien en opportunité stratégique.

Mais cette approche ne s’arrête pas à la Syrie. Au Liban, l’armée israélienne cible systématiquement les zones chiites du sud, bastions du Hezbollah, avec un objectif assumé : affaiblir militairement le mouvement et provoquer un réalignement politique du pays. Cette stratégie de « guerre sélective », qui prétend épargner certaines régions tout en écrasant d’autres, alimente les clivages communautaires et fragilise davantage l’État libanais. Elle prépare le terrain à un retour du confessionnalisme armé et à une potentielle guerre civile, attisée par les discours belliqueux de responsables israéliens appelant à « libérer le Liban du Hezbollah ».

La Jordanie, longtemps considérée comme un rempart de stabilité, n’échappe pas à cette recomposition sous influence. Le 23 avril 2025, les autorités jordaniennes ont interdit toute activité des Frères musulmans, accusés de menées subversives. Cette décision, lourde de conséquences pour la vie politique du royaume, fait suite à une campagne d’arrestations visant seize individus liés à la confrérie. Officiellement motivée par des accusations de complot, l’interdiction reflète aussi une convergence croissante entre la monarchie hachémite, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite — et Israël.

Cette offensive contre l’islam politique jordanien apparaît comme une concession offerte aux alliés occidentaux et israéliens, inquiets de la popularité croissante du Hamas — banni du royaume depuis 1999 — dans un pays où près de la moitié de la population est d’origine palestinienne. Le Front d’action islamique (FAI), bras politique des Frères musulmans et premier parti du Parlement depuis 2024, se retrouve désormais dans la ligne de mire. La stratégie israélienne vise ici à isoler le Hamas sur le plan régional, quitte à exporter l’instabilité en affaiblissant la légitimité des structures politiques voisines.

La responsabilité du gouvernement israélien dans cette dynamique régionale ne peut plus être éludée. En prétendant sécuriser ses frontières par la déstabilisation de ses voisins, Israël aggrave les vulnérabilités systémiques de pays déjà fragilisés. Il transforme des crises internes en confrontations géopolitiques, attisant les haines communautaires et sapant toute possibilité de compromis durable. Cette stratégie de court terme, axée sur la puissance militaire et l’opportunisme territorial, fait peser un lourd tribut sur les populations civiles : à Gaza, à Damas, à Tyr, à Amman.

Le silence ou la complicité de certaines puissances occidentales face à cette politique contribue à légitimer ce désordre organisé. Pendant que les États-Unis et leurs partenaires concentrent leur attention sur le front ukrainien, ils cautionnent ou tolèrent des politiques régionales israéliennes qui vont à l’encontre des principes de stabilité qu’ils prétendent défendre ailleurs. La Jordanie, la Syrie et le Liban deviennent ainsi les terrains d’application d’une stratégie de morcellement du Levant, dont les coûts humains et politiques risquent de se révéler durables.

Face à cette recomposition sous contrainte, il est impératif de rappeler que la paix régionale ne peut être fondée sur l’humiliation, la fragmentation et l’exclusion. Elle exige des structures politiques légitimes, des institutions solides, et des mécanismes de dialogue véritables. En multipliant les interventions militaires et les manœuvres de division, Israël ne sécurise pas sa frontière : il alimente les conditions mêmes de son instabilité future.

Ce n’est pas l’absence d’État chez ses voisins qui garantira la sécurité d’Israël, mais l’existence d’États viables et autonomes capables de négocier, de stabiliser et d’inclure. Continuer à affaiblir ces États, c’est perpétuer une guerre sans fin — dont les peuples, encore et toujours, seront les premières victimes.



7 réactions


  • Boaz Boaz 19 mai 16:30

    Je m’oppose à l’idée d’une déstabilisation inévitable. Je considère que certaines initiatives de Donald Trump favorisent la stabilité régionale.

    Accords d’Abraham : Ces accords de 2020 ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs pays arabes (Émirats, Bahreïn, Soudan, Maroc), promouvant coopération économique et diplomatique, et réduisant les tensions.

    Aide à la Syrie conditionnée : Lier l’aide à la Syrie à la reconnaissance d’Israël peut pousser à une normalisation des relations, réduisant les conflits à long terme.

    Pression sur l’Iran : Forcer l’Iran à abandonner son programme nucléaire limite les risques d’escalade militaire et de prolifération dans la région.

    Réduction des proxy wars : En affaiblissant l’Iran, les guerres par procuration (comme au Yémen ou en Syrie) vont diminuer, stabilisant ces zones.


    • Olivier Olivier 19 mai 20:15

      @Boaz J’admets bien volontiers qu’il y a des tentatives pour essayer de stabiliser la situation.
      Il faut aussi admettre que les USA ne peuvent pas tout et en particulier dans cette région.
      Les accords d’Abraham par exemple ne pourront donner leurs pleins effets que si l’Arabie Saoudite et le Qatar lâchent le Hamas. Or, ce serait très mal perçu par les peuples arabes que ce lâchage se fasse en plein milieu de l’offensive d’Israël sur Gaza.
      Ce qui me fait retourner sur un des points de cet article qui est de mettre en lumière la volonté irresponsable du gouvernement israélien de profiter de l’accentuation de la déstabilisation.


  • JPCiron JPCiron 19 mai 17:35

     le Moyen-Orient s’enfonce dans une spirale de désintégration politique et sociale >

    Le M-O continue de s’enfoncer, depuis un demi-siècle, méthodiquement.

    Car c’est l’application du Plan affiché par les USA & Israël :

    https://www.agoravox.fr/commentaire6654301

    Et ce ne sont pas nos’’politiques’’ qui vont agir pour défendre les Valeurs et Principes auxquels ils prétendent adhérer. A la place, ils causent.


  • njama njama 20 mai 12:01

    L’occupation de la Palestine était un projet colonial du début du XIX° siècle, anglais particulièrement, mais aussi français.

    « A land without a people for a people without a land » ... "and the Jews ...will probably return in yet greater numbers, and become once more the husbandmen of Judaea and Galilee." 
    (Une terre sans peuple pour un peuple sans terre... et les Juifs ... y retourneront probablement encore en grand nombre, et deviendront une fois de plus les fermiers de Judée et de Galilée !)

    Lord Shaftesbury’s « Memorandum to Protestant Monarchs of Europe for the restoration of the Jews to Palestine », published in the Colonial Times, in 1841*

    Le contexte historique régional, démantèlement progressif de l’empire ottoman. Empêcher que ne se reforme une alliance arabe dans le fil de la Nahda. Assujettissement de l’Égypte par la dette https://www.cadtm.org/La-dette-comme-instrument-de-la

    Création du Canal de Suez (1859-1869), la Nouvelle Route des Indes, dont les principaux bénéficiaires seront les puissances thalassocratiques anglaise et française pour dominer le commerce mondial.

    Les Juifs de l’Europe de l’est comme colonie de peuplement..., il en faut une pour coloniser, on ne colonise pas avec des indigènes.

    Israël est un produit du colonialisme de l’Occident...

    * https://www.agoravox.fr/commentaire5303531


  • njama njama 20 mai 12:13

    Henry Campbell-Bannerman, Chef du Parti libéral de 1899 à 1908, il fut Premier ministre sous Édouard VII du 5 décembre 1905 au 3 avril 1908.

    Relations internationales
    La mesure-phare du cabinet Campbell-Bannerman est sans doute constituée par l’Entente anglo-russe signée en 1907, qui consolide en Triple Entente l’entente cordiale signée avec la France quelques mois avant son accession au pouvoir (avril 1904). (...)

    Par ailleurs, à l’occasion de la Conférence impériale de 1907, qu’il présidait, et durant laquelle le statut de dominion fut entériné, Henry Campbell-Bannerman constitua une commission d’universitaires internationaux pour réfléchir à l’avenir de l’Empire. Seuls des extraits du rapport furent publiés. Celui-ci suggérait, entre autres, de diviser le monde arabe en de nombreux États et d’installer en leur sein, en Palestine, une colonie qui soit hostile aux intérêts arabes et participe de leur division permanente [14]. Enfin, il posa les bases de l’Union d’Afrique du Sud en accordant aux Etats boers le droit au self-government.
    [14] « The Arab Scene 100 years After Campbell-Bannerman » par Awni Farsakh, Al Khaleej (EAU), 11 mai 2007.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Campbell-Bannerman#


    • njama njama 20 mai 12:15

      suite chronologique :

      Les Accords Sykes-Picot accords secrets signés le 16 mai 1916, après négociations entre novembre 1915 et mars 1916, entre la France et le Royaume-Uni, prévoyant le découpage du Moyen-Orient, la Palestine mandataire britannique et française…

      L’histoire actuelle n’en est que le prolongement. Il suffit de voir le soutien indéfectible de l’occident à ce Dominion colonial pour comprendre les attaques récurrentes pour diviser le moyen-orient.

      Déclaration de Balfour 2 novembre 1917, un bout de papier dactylographié sans valeur juridique internationale


    • njama njama 20 mai 12:22

      La Conférence de San Remo le 24 avril 1920 entérine les Accords Sykes Picot, et attribue Mandats à l’Angleterre et à la France sur la Palestine et une partie de la Mésopotamie.

      La suite de l’histoire c’est l’occupation progressive en Palestine de factions sionistes dont les principaux chefs de file sont Vladimir Jabotinsky du mouvement révisionniste et fasciste, et David Ben Gourion sioniste de tendance socialiste...


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