vendredi 16 avril 2010 - par
Nick Clegg, le troisième homme, bouleverse les élections britanniques
En raison du système électoral en vigueur en Grande-Bretagne (scrutin majoritaire à un tour), les élections législatives se jouent toujours entre les deux partis dominants que sont les conservateurs (Tories) et les travaillistes (Labour). Mais, à 3 semaines du scrutin (prévu le 6 mai prochain), le premier débat télévisé jamais organisé entre les responsables des trois grands partis britanniques, qui comprend aussi les Libéraux-Démocrates, a changé la donne. Car c’est Nick Clegg, le jeune président des « LibDem » qui a crevé l’écran à la surprise générale et remporté haut la main ce débat, menaçant pour la première fois depuis 65 ans un monopole politique bien établi.
Organisé à l’initiative du leader conservateur David Cameron, généralement à l’aise dans les média, la chaine télévisée ITV1 organisait ainsi le 15 avril, soit exactement 3 semaines avant le scrutin, le premier d’une série de trois débats entre les chefs des trois principaux partis britanniques. La présence du leader des Libéraux Démocrates était une première, et en partie due au premier ministre travailliste Gordon Brown, en délicatesse dans les sondages. Ces derniers suggéraient en effet jusqu’ici la possibilité d’une absence de majorité absolue pour l’un ou l’autre des deux partis principaux, et donc l’éventualité d’une nécessaire coalition avec les Libéraux Démocrates pour que le Labour puisse demeurer au pouvoir.
Les Libéraux-Démocrates réussissent régulièrement des scores aux alentours de 20% aux élections britanniques, mais le mode de scrutin actuel qui permet au candidat arrivé en tête au premier tour d’emporter le siège leur a toujours été très défavorable, et ils n’ont jusqu’ici jamais réussi à s’imposer vis-à-vis des deux partis dominants (ils ont une cinquantaine de députés à la chambre des communes actuellement). Pro-européens, partisans d’adopter l’euro comme monnaie, plutôt libéraux au niveau économique mais aussi défenseur de plus de justice sociale (ils proposent par exemple des taxes supplémentaires sur les profits financiers et une exemption fiscale pour les plus bas revenus), les LibDem ont un positionnement politique proche de celui du MoDem, avec qui ils siègent d’ailleurs au sein du même groupe au parlement européen.
Consacré aux affaires intérieures britanniques, ce premier débat télévisé devait, pensait-on, permettre de déterminer si David Cameron, actuel favori des sondages, allait pouvoir prendre le large, ou si Gordon Brown, qui a plutôt bien géré la crise économique, allait pouvoir remonter son handicap. Mais à la surprise générale, c’est le quasi-inconnu Nick Clegg qui a emporté tous les suffrages des téléspectateurs, étant donné vainqueurs pour plus de 60% d’entre-eux. Très à l’aise à côté d’un Cameron plus emprunté et d’un Brown agressif, il a su constamment renvoyer dos à dos les leaders des deux grands partis à propos de leurs promesses dépourvues d’éléments concrets, tandis qu’il avançait ses propres propositions chiffrées. Et surtout, il a su faire passer, un peu à la manière de François Bayrou en 2007, un message qui a fait mouche : « Non, la seule option que les électeurs ont dans cette élection n’est pas de voter rouge ou bleu, oui il existe une autre voie possible, crédible et juste, et cette voie c’est celle des Libéraux Démocrates ».
Plus que les sondages sur le débat télévisé lui-même, c’est l’enquête sur les intentions de votes pour le scrutin du 6 mai qui a fait l’effet d’un tremblement de terre : les LibDem sont en hausse de 14 % (!), et à 34% d’intentions de vote, talonnent les conservateurs (36%), tandis que le Labour est en queue à 24% ! Pour la première fois, un leader Libéral Démocrate acquiert une crédibilité de candidat au poste de premier ministre.
Bien sûr, les machines électorales et les soutiens médiatiques des Tories et du Labour vont maintenant se mettre en marche pour écraser celui qui a eu l’impudence de contester leur domination sur le système politique britannique, et Nick Clegg aura fort à faire pour conserver une chance raisonnable de l’emporter. Mais il semble bien qu’en Grande-Bretagne comme en France, les électeurs soient las d’un système bloc contre bloc stérile où les belles paroles l’emportent sur les actions concrètes, et qu’ils aspirent à une gouvernance renouvelée.
Crédit image : Reuter