jeudi 8 novembre 2012 - par Louis Maréchal

« Obamania », ou le triomphe du vide politique

À peine Obama vient-il d’être réélu que déjà, je vois fleurir autour de moi nombre de « Yes we can » et autres approbations bien pensantes de la part de ceux qui se disent progressistes... Les citoyens belges, français et européens se prennent subitement de passion pour les élections américaines et plus particulièrement pour le président sortant. Ils ont certainement oublié la ferveur et l’espoir qui accompagnaient sa première élection en 2008, contrastant avec le bilan que l’on peut en dresser aujourd’hui. Comme nous le verrons dans cet article, à bien des égards, celle-ci n’a pas marqué la rupture avec Bush tant attendue... Dès lors, on est en droit de se demander : d’où vient cette Obamania européenne ? Qu’est ce que cette élection va changer pour nous ? Mitt Romney aurait-il mené une politique fondamentalement différente ? Voici quelques éléments de réponse...

Remontons dans le temps. En 2008, l’un des arguments majeurs avancés par les Obamaniaques était qu’un noir entrait à la maison blanche. A les entendre, une véritable révolution était en marche ; un pays qui avait connu pendant des années la ségrégation allait peut-être devenir enfin le défenseur du peuple noir, du Tiers-Monde, et qui sait, peut-être même de la paix mondiale ! Analyse qui aurait pu être crédible si les États-Unis n’avaient pas été depuis des siècles la matérialisation de l’impérialisme... Au-delà du symbole, qui continue d’en émouvoir certains au point de leur faire oublier les actes bien peu progressistes du président ces quatre dernières années, voir en Obama un défenseur de l’opprimé, c’est faire preuve de naïveté : en effet, on est assez loin d’un Malcolm X !

Mais, sous cette vision quelque peu idéalisante de Barack Obama, se profile un comportement sous-jacent bien plus inquiétant : on soutient désormais un politicien pour sa couleur de peau, et non plus pour son programme ou ses idées ! Ceci relève d’un vide intégral de conscience politique chez un nombre grandissant de citoyens. Il faudrait en effet que l’on m’explique en quoi la couleur de peau légitime un président... Si le symbole est certes fort, il faut dépasser la conception tribale simpliste : un Noir peut ne pas avoir des actes qui servent les Noirs dans leur ensemble. Ainsi, de la même manière que les « nègres d’intérieur » collaboraient activement à l’esclavage, il est culotté de penser que le président des États-Unis d’Amérique va subitement devenir le défenseur des minorités partout dans le monde ! Cette utilisation du symbole de la couleur de peau me semble relever de l’antiracisme qui court à la rescousse du Capital...

Car si Obama représente quelque chose, c’est bel et bien le Capital ! Et, en se cachant derrière des valeurs morales inattaquables (démocratie, droits de l’homme, programmes sociaux etc), il le fait d’une manière éminemment plus subtile et intelligente que son adversaire Mitt Romney... Cependant, le programme de fond reste le même et le choix des Américains semblent ainsi se résumer à un choix entre bonnet blanc ou blanc bonnet... Ou en l’occurrence, noir bonnet !

Pour comprendre cette impuissance politique totale du président américain (qu’il soit républicain ou démocrate), il faut mettre en avant le rôle trop souvent oublié des lobbies (qu’ils soient financier, pétrolier, militaire, sioniste etc), de la Chambre et du Sénat dans la politique intérieure et extérieure des USA. Prenons par exemple la position des USA par rapport à la Palestine, et citons le discours du Caire du 4 juin 2009, dans lequel Obama déclara que : « L’Amérique soutiendra les aspirations des Palestiniens à la dignité et également les aspirations des Palestiniens à avoir leur propre État. » (1) Deux ans plus tard, lorsque Mahmoud Abbas (président de l’Autorité Palestinienne) annonce sa volonté de demander une adhésion de la Palestine à l’ONU, les États-Unis annoncent qu’ils y mettront leur veto... L’AIPAC (2), principale institution du lobby pro-israélien américain, était certainement passée par là...

Cette impuissance explique que lors de son précédent mandat, Obama se soit inscrit dans une certaine continuité de la politique bushiste, bien qu’il (se) fut présenté comme opposé à celle-ci. Cela fut notamment évident en matière de politique étrangère : impérialisme avec la guerre en Libye, diabolisation de l'Iran et maintien des sanctions contre celui-ci, pas de fermeture de Guantanamo, soutien aux pires régimes archaïques (de type Arabie Saoudite) et à Israël, antiterrorisme forcené avec la mort de Ben Laden (on pourrait d'ailleurs se demander par quel tour de magie Obama peut être allié de l'Arabie Saoudite et en même temps combattre le terrorisme...)... A cela vient s'ajouter un budget de la défense colossal (bien que constant) : selon le SIPRI, on était à 4,6% du PIB en 2007 sous Bush. Sous Obama, en 2011, on est à 4,7%.

En matière de politique intérieure, le bilan n’est guère plus réjouissant. Par exemple, l’impôt sur les sociétés est en constante baisse et la pauvreté en constante hausse. La dette publique, quant à elle, passe de 300 milliards de dollars sous Bush à 1400 milliards sous Obama. (3) Rappelons également que ce dernier accorda 250 milliards (c’est certes moins que Bush) pour le sauvetage des banques en 2009. La toute-puissance de Wall Street semble donc dépasser les clivages politiques ! Reste également à prendre en compte qu’Obama n’étant désormais plus ré-électible, il est possible qu’il s’ encombre moins de l’opinion publique. Il pourrait ainsi aisément faire passer des mesures sociales ou militaires (notamment une attaque contre l’Iran) impopulaires ...

En résumé, mis à part quelques divergences sur des sujets sociétaux tels que l’avortement ou les droits des homosexuels, Romney, Bush et Obama semblent tous partager un consensus tacite sur des questions politiques cruciales telles que la dette, la doctrine économique libérale, la politique étrangère ou encore l’armement. Comme de nombreux observateurs l’affirment, leur différence tenait plus au style. Ainsi, lors de ces élections, les Américains ont eu le choix entre deux programmes politiques différents sur la forme mais assez similaires sur le fond, et il semble qu’ils y aient accordé beaucoup de crédit, puisque d’après les premiers échos dont nous disposons, le taux de participation aurait été exceptionnellement élevé. (4) Cela équivaut donc à dire que le système « démocratique » américain a laissé le soin à sa population de choisir entre celui des deux qui emballerait le mieux un projet identique. Or, quand en démocratie, on a seulement son mot à dire sur l’emballage mais pas sur le contenu, il y a de quoi se poser des questions sur l’efficacité du système...

Reste pour terminer à traiter d’une problématique : quid de l’Europe dans tout cela ? Lorsque l’on regarde la scène politique ces dernières années, il semble que nous allions, comme les américains, vers un choix binaire, qui constitue en fait une sorte de façade cachant une dictature de fond. Le spectre politique de ceux que nous élisons se réduit en effet considérablement, et on ne prend désormais plus la peine de consulter le peuple sur des sujets pourtant cruciaux (imposition de l’austérité, emprunt de l’État auprès de marchés privés etc). Cette alternance entre des partis extrêmement peu différents devient la norme dans de nombreux pays européens, et notamment en France où UMP et PS se succèdent sans qu’au fond cela ne change grand chose aux politiques menées.

Le modèle électoral américain, qui ressemble à une sorte de grand match de catch sur-médiatisé (sans doute pour faire croire encore à un jeu démocratique de plus en plus bafoué) témoigne d’un véritable vide de conscience politique parmi les citoyens. Ceux-ci s’intéressent à ce grand show dans lequel deux politiciens se disputent sur des choses assez futiles afin de masquer un nombre effrayant d’idées communes. Cependant, le citoyen lambda n’a plus l’intelligence politique de constater que de nombreux problèmes primordiaux ne sont même pas abordés... Et à en croire l’engouement des nombreux Obamaniaques européens et mondiaux (cela vaut également pour les partisans de Romney), il semble que ce système de pseudo-alternance bien peu démocratique compte encore de beaux jours devant lui...

Louis Maréchal

  1. http://www.youtube.com/watch?v=B_889oBKkNU

  1. American Israel Public Affairs Commitee

  2. http://www.weeklystandard.com/blogs/painful-cost-obama_629745.html

  3. http://french.ruvr.ru/2012_11_07/93720799/



19 réactions


  • Louis Maréchal Louis Maréchal 8 novembre 2012 08:02

    Petite rectification, le taux de participation a en fait été assez faible : http://www.presstv.ir/detail/2012/11/07/270958/voter-turnout-in-2012-us-presidential-elections-9-lower-than-2008/


    • lionel 8 novembre 2012 18:04

      Merci pour cette précision Louis. En effet, il y a bien longtemps que de nombreux habitants étazuniens ont compris qu’ils n’étaient pas des citoyens en participant à la farce électorale de l’oligarchie. Moins de 50% de votant sur les inscrits... sachant que depuis les années 90, les évangélistes sionistes ont appelés leurs ouailles à voter pour amener le royaume de leur jésus guerrier sur terre et qu’ils composent une partie importante des votants... Les Pakistanais vont encore voir des drones assassiner des innocents...


  • Gabriel Gabriel 8 novembre 2012 08:12

    Comme de partout dans ces démocraties biaisées ou le choix des candidats et des politiques sont triés au départ à grand renfort d’argent par l’élite financière, les citoyens votent par défaut. Ici ils n’ont pas choisi l’idéal mais le moins pire. Les républicains sont des va ‘en guerre et avec l’élection de Romney serait été donner quitus pour le conflit israélo iranien. 


  • mac 8 novembre 2012 09:38

    Je ne comprends pas les gens qui votent négativement pour cet article.
    Il suffit, en effet de regarder un peu plus loin que le bout de son nez ou de son JT et regarder un peu les personnes qu’ Obama à nommées autour de lui et ainsi se rendre compte qu’il est fort probablement un pantin de plus de la finance.
    Il existe a peu près la même différence entre les républicains et les démocrates américains qu’entre Sarkozy et Hollande. Des propos peut-être moins brut de décoffrage mais le résultat est le même et c’est toujours la finance et l’économie virtuelle que l’on favorise aux dépends de l’économie réelle. La fuite en avant...


  • bernard29 bernard29 8 novembre 2012 10:54

    Bon vous êtes déçu . Les républicains ne sont pas passés. Votre aigreur est logique car en effet OBAMA est trop fort pour la médiocrité des républicains. Et en plus vous n’êtes pas prêts de gagner les présidentielles aux USA car la structure et la diversité de la démographie de ce pays ne joueront plus en votre faveur à l’avenir. 

    « le meilleur est a venir » avec OBAMA.


    • Louis Maréchal Louis Maréchal 8 novembre 2012 10:59

      Ce n’est certainement pas un article pro-Romney ! Il dénonce simplement le vide du programme politique des DEUX candidats, et le fait que leur opposition de façade (montée en grand show médiatique) cache au fond les mêmes intérêts : ceux des lobbies et de l’oligarchie... Et force est de constater, vu la popularité ultra-basse de Romney en Europe, que ce sont les Obamaniaques qui incarnent le plus cette crédulité quant au fait que les élections américaines puissent changer en profondeur la politique des USA...


    • flesh flesh 8 novembre 2012 11:50

      Ce bernard29 n’a manifestement lu que le titre de votre article.. ou vit les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, au choix. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que son commentaire est complètement à coté de la plaque... c’est même la règle chez lui. 


      J’en profite cher Louis pour vous remercier de cet excellent article qui m’a fait du bien après mon passage sur Facebook... Heureusement, nous sommes de plus en plus nombreux à flairer l’arnaque, mais malheureusement encore incroyablement minoritaire. La conscience politique de mon entourage c’est ZERO... les boules !

    • bernard29 bernard29 8 novembre 2012 16:04

      Mais si j’ai lu . la preuve c’est qu’il y a une grosse erreur.

      « La dette publique, quant à elle, passe de 300 milliards de dollars sous Bush à 1400 milliards sous Obama. (3)  »

      elle est passée de 10 000 milliards à 16 000 milliards.

      Mais l’auteur n’a rien compris aux élections américaines. C’est un véritable tour de force d’Obama dans cette élection. Non seulement Barack Obama a été triomphalement réélu, contrairement à ses collègues occidentaux victimes de la crise ; non seulement, il a déjoué la malédiction des chiffres du chômage ( pente descendante), mais les démocrates ont consolidé leur position de manière inespérée au Sénat.
       
      Obama incarne une nouvelle amérique ; il est porté par 60 % des jeu_nes de moins de 30 ans, 55 % des femmes, 93 % des nopirs, 73 % des hispaniques,
      tandis que ROMNEY est porté par 52 % des plus de 45 % et 56 % des plus de 65 ans, par 52 % des hommes et 59 % des blancs ( voir le Monde d’aujourd’hui).

      Obama non seulement a donné de l’espoir aux américains en 2008, mais il a été capable de leur montrer que l’espoir demande de la patience, ou même de renouveler l’espoir, et que le meilleur est à venir. C’est une personnalité assez exceptionnelle quand on compare avec les autres présidents sortants de la crise mondiale..

      Maintenant gloser sur le fait qu’un politicien n’est pas un pigeon de l’année, que les programmes électoraux sont nuls, qu’il faut des soutiens pour gagner une élection, et de l’argent, il n’y a pas besoin d’être sorti de Saint Cyr.


    • Louis Maréchal Louis Maréchal 8 novembre 2012 17:03

      Effectivement, mea culpa, c’est le déficit budgétaire et non pas la dette publique qui est passé de 300 milliards à 1400 milliards.


    • mac 8 novembre 2012 17:07

      Pente descendente du chômage, c’est certain que lorsqu’on a décidé de ne plus comptabiliser tous les sans-emploi, le taux de chômage baisse.
      Un pays où il n’y a jamais eu autant de gens se nourrissant grâce aux bons alimentaires et où la population totale augmente mais où dans le même temps la population active diminue ça ne vous interpelle pas ?


    • jako jako 8 novembre 2012 11:27

      Extrèmement interessant ce lien JL merci , et surtout inquiétant...


    • Luc le Raz Luc le Raz 8 novembre 2012 13:36

      Qu’espéraient ils ? Que le caleçon magique des mormons allait rendre Romney invincible ?


    • bernard29 bernard29 8 novembre 2012 16:18

      trés bien ce lien. merci pour l’info. 

      .Obama fait perdre de l’argent à ces multinationales françaises prédatrices. Bientôt Mélenchon ne saura plus où donner de la tête, Il va devenir OBAMANIAQUE. Il est vrai que déjà Chavez soutient OBAMA.


  • alinea Alinea 8 novembre 2012 16:00

    On peut dire tout de même que le Président des États-Unis est muselé par le Congrès !
    Que sa marge de manoeuvre est faible : le pouvoir là-bas comme ici est bien aux mains des libéraux !
    Le hochet que l’on tend aux peuples, à coups de millions de dollars ou d’euros, est un attrape-mouches !
    Jusqu’à quand ?
    Bush là-bas, Sarkozy ici ont servi de repoussoir : tout ce qui n’est pas eux semble « mieux ».
    Cela aussi est un leurre... mais nous n’avons rien d’autre à nous mettre sous la dent !


  • Vipère Vipère 8 novembre 2012 18:22

    Bonjour à tous

    Obama réélu et Sarkozy renvoyé à ses pénates !!!

    Que l’on soit pour ou contre, le bilan d’OBAMA est moins catastrophique que celui du Gouvernement précédant !!!

    Pour certains ultra libéraux, OBAMA passerait même pour un communiste !


    • alinea Alinea 8 novembre 2012 19:04

      Non Wotan : je crois que les gens aiment - se laissent abuser plutôt- par les beaux mecs qui parlent bien !!


  • Jean-Louis CHARPAL 8 novembre 2012 22:23

    D’accord avec cet article.

    Obama ne s’attaquera pas à un partage des richesses délirant car il est l’otage de ses conseillers-banquiers-donateurs.

    Le lobbying n’est rien d’autre que de la corruption, pure et simple.

    Toutes les démocraties (sauf certaines en Amérique Latine et l’Islande), sont devenues des coquilles vides suite au triomphe de la sauvagerie économique ultra libérale, mais les USA sont sans doute en tête de peloton ! 


  • Mycroft 9 novembre 2012 17:05

    Mouais, même si l’aspect économique a son importance (mais la donne à ce niveau étant nécessairement international, liée à des accords gravés dans le marbre, il n’est pas simple de changer ça au niveau d’un pays, sauf à être prêt à jeter un pavé dans la mare, ce qu’un modéré comme Obama n’est certainement pas prêt à faire), rejeter les différences entre les candidats concernant les points sociétaux dans le sac des détails, c’est faire preuve d’un manque de clairvoyance assez marqué.

    On peut regretté, en effet, que les états unis n’ai le chois qu’entre un semi-conservateur mou, opposé, par principe, aux lourds changements dont l’occident à besoin ( notamment la fusion des nations, la mise sous tutelle des possédants, la nationalisation sans contrepartie des grandes entreprises et l’annulation des dette étatiques) et un mormon psychorigide pour qui le droit des femme est sans intérêt, pour qui la contraception est un problème, pour qui l’homosexualité est anormale, bref, un ultra-conservateur dur. 

    Le second, ça reste tous les inconvénient du premier, avec en prime d’autre inconvénients qui n’ont rien de léger ! Oui, se réjouir de la victoire d’Obama, c’est peut être un peu excessif. C’est comme se réjouir de la victoire de Hollande. Mais se réjouir de la défaite de Romney (ou de Sarko), ça, c’est tout à fait logique.

     


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