On peut (mon n’veu)
Le mythe de la réussite pour tous, encore désigné par l’expression « à chacun sa chance », constitue en quelque sorte le socle de la société états-unienne depuis ses origines.

Bien sûr, profitant d’une page vierge, une fois les Indiens massacrés, des forbans à moitié incultes ont bâti des empires agricoles, industriels et financiers, des filles pas farouches ont grimpé en même temps qu’aux rideaux au firmament du 7e art et les plus douées ont même fini leur carrière dans un fauteuil de PDG, mais globalement, l’Américain standard n’échappe pas davantage au déterminisme social que n’importe quel autre être humain n‘importe où dans le monde.
Aux States comme ailleurs, quand tu nais pauvre, tu as toutes les chances de le rester, quand tu viens au monde avec une cuillère en argent dans le bec, tu as toutes les opportunités de la conserver ta vie entière.
Pour que le mythe perdure et avec lui la relative cohésion conservatrice d’une société obsédée par la réussite individuelle et la méfiance conditionnée à l’égard de tout collectivisme même empreint de religiosité, il faut que des individus vivants l’incarnent, ce mythe, et tout spécialement dans des domaines qui justifient d’un traitement spectaculaire.
Ainsi le cinéma, le sport et la chanson, toutes activités qui permettent parfois à des gens d’extraction modeste et dotés d’un potentiel intellectuel très moyen de gagner gros et de rassurer abusivement sur leurs propres possibilités les dizaines de millions de personnes qui leur ressemblent.
Abusivement, parce que le chas de l’aiguille de la réussite sociale est bien plus étroit que ne le supposent tous les chameaux épatés, de sorte qu’en réalité l’éboueur de Détroit et la serveuse de fast-food de Kansas City ont à peu près autant de chances de devenir champion de basket et star à Hollywood que de gagner au Bingo.
S’emparer d’un milieu plus inhabituel pour lui comme la politique présente un risque pour le mythe : l’échec d’un postulant à la gloire issu d’une minorité sociale, raciale ou sexuelle, ou encore s’il est une femme, signifiera qu’il existe bien « un plafond de verre » où se cognent les ambitions non conventionnelles dans un système où tout n’est possible qu’en apparence.
En revanche, en cas de réussite, le mythe s’en sort renforcé.
Avec Barack Obama, la preuve qu’un métis afro-américain avec de proches ascendants étrangers, marié à une Noire, et au départ de sa vie professionnelle simple travailleur social, puisse devenir gouverneur puis président des Etats-Unis démontre aux foules enthousiastes « qu’ici, si tout n’est pas permis, tout est possible ».
Possibilité infinie illustrée par un slogan de marketing « Yes, we can » repris sans grand effort d’imagination, mais avec une évidente pertinence d’une campagne publicitaire d’un célèbre fabricant d’appareils photos qui prétend qu’avec son matériel, tout ce que réalisent les meilleurs, « vous aussi, vous le pouvez ».
En fait, quitte à désespérer Margot, l’examen froid des virtualités de propagande en vue de leur passage à la réalité crue du monde tel qu’il va à force reconnaître que le gamin Noir de Chicago sera plus probablement chômeur que président et vous-même avec votre Canon plus sûrement un photographe du dimanche qu’Henri Cartier-Bresson.