vendredi 7 novembre 2008 - par Mathias Delfe

On peut (mon n’veu)

Le mythe de la réussite pour tous, encore désigné par l’expression « à chacun sa chance », constitue en quelque sorte le socle de la société états-unienne depuis ses origines.

Bien sûr, profitant d’une page vierge, une fois les Indiens massacrés, des forbans à moitié incultes ont bâti des empires agricoles, industriels et financiers, des filles pas farouches ont grimpé en même temps qu’aux rideaux au firmament du 7e art et les plus douées ont même fini leur carrière dans un fauteuil de PDG, mais globalement, l’Américain standard n’échappe pas davantage au déterminisme social que n’importe quel autre être humain n‘importe où dans le monde.

Aux States comme ailleurs, quand tu nais pauvre, tu as toutes les chances de le rester, quand tu viens au monde avec une cuillère en argent dans le bec, tu as toutes les opportunités de la conserver ta vie entière.

Pour que le mythe perdure
et avec lui la relative cohésion conservatrice d’une société obsédée par la réussite individuelle et la méfiance conditionnée à l’égard de tout collectivisme même empreint de religiosité, il faut que des individus vivants l’incarnent, ce mythe, et tout spécialement dans des domaines qui justifient d’un traitement spectaculaire.

Ainsi le cinéma, le sport et la chanson, toutes activités qui permettent parfois à des gens d’extraction modeste et dotés d’un potentiel intellectuel très moyen de gagner gros et de rassurer abusivement sur leurs propres possibilités les dizaines de millions de personnes qui leur ressemblent.


Abusivement
, parce que le chas de l’aiguille de la réussite sociale est bien plus étroit que ne le supposent tous les chameaux épatés, de sorte qu’en réalité l’éboueur de Détroit et la serveuse de fast-food de Kansas City ont à peu près autant de chances de devenir champion de basket et star à Hollywood que de gagner au Bingo.

S’emparer d’un milieu plus inhabituel
pour lui comme la politique présente un risque pour le mythe : l’échec d’un postulant à la gloire issu d’une minorité sociale, raciale ou sexuelle, ou encore s’il est une femme, signifiera qu’il existe bien « un plafond de verre » où se cognent les ambitions non conventionnelles dans un système où tout n’est possible qu’en apparence.

En revanche, en cas de réussite, le mythe s’en sort renforcé.

Avec Barack Obama, la preuve qu’un métis afro-américain avec de proches ascendants étrangers, marié à une Noire, et au départ de sa vie professionnelle simple travailleur social, puisse devenir gouverneur puis président des Etats-Unis démontre aux foules enthousiastes « qu’ici, si tout n’est pas permis, tout est possible ».


Possibilité infinie
illustrée par un slogan de marketing « Yes, we can » repris sans grand effort d’imagination, mais avec une évidente pertinence d’une campagne publicitaire d’un célèbre fabricant d’appareils photos qui prétend qu’avec son matériel, tout ce que réalisent les meilleurs, « vous aussi, vous le pouvez ».

En fait, quitte à désespérer Margot, l’examen froid des virtualités de propagande en vue de leur passage à la réalité crue du monde tel qu’il va à force reconnaître que le gamin Noir de Chicago sera plus probablement chômeur que président et vous-même avec votre Canon plus sûrement un photographe du dimanche qu’Henri Cartier-Bresson.

 



13 réactions


  • Sandro Ferretti SANDRO 7 novembre 2008 11:06

    @ Mathias,
    Definetly yes.
    Bon rappel au réglement de la loterie.


  • Annie 7 novembre 2008 15:14

    Le fait que les gens pensent que c’est possible, même si cela ne l’est pas, doit quand même augmenter la probabilité d’une réussite par rapport à ceux qui ne pensent pas que c’est possible. Humm..


    • Sandro Ferretti SANDRO 7 novembre 2008 18:01

      @ Annie,

      Mouais. Vous me rappelez mon prof de philo en khagne, mi marxiste mi positiviste, qui nous disait, dans un cours sur la vérité :
      "Peu importe qu’une idée soit vraie ou fausse. Le simple fait qu’une idée fausse soit vécue par des gens sur le mode de la vérité produit des effets, et donc une vérité".

      Pas faux. Pas vrai non plus. Juste "border line", comme on dirait aujourd’hui.


    • Annie 7 novembre 2008 18:46

      Rien n’est insignifiant.
      Peut-être avons-nous eu le même prof ?


    • Fergus fergus 7 novembre 2008 18:51

      Oui, Sandro, et il en va de même pour la "qualité" dans les services. La seule qui compte n’est pas celle qui est "mesurée" par le patron d’un boite, mais celle qui est "perçue" par ses clients.st "mesurée" par le patron d’un boite, mais celle qui est "perçue" par ses clients.


    • Fergus fergus 7 novembre 2008 18:54

      Tout à fait d’accord avec cet article : le mythe de l’"american dream" n’est pas près de disparaître car il constitue le fonds de commerce des partis états-uniens. Une superbe escroquerie intellectuelle ! 


  • La Taverne des Poètes 7 novembre 2008 15:52

    "On peut, mon noeud veut", c’est une citation de DSK ?


  • Jean-paul 7 novembre 2008 17:56

    @ la taverne des poetes

    Yes we can.
    Par contre vous avez dit qu en France il n’y a de la place que pour les rentiers ,les heritiers et ceux qui couchent .
    Votre ambition ???? Juste ecrire des jeux de mots sur Agoravox .......................


  • Mathias Delfe Mathias Delfe 7 novembre 2008 19:16
    Ma chère Annie, mon cher Sandro,
     
    Comme vous le savez la fonction du mythe est de produire du sens, dont je ne me hasarderais pas à prétendre qu’il se confond avec la vérité (que nul n’a vraiment envie de connaître, y compris les philosophes qui assurent la chercher).
    Annie, vous pensez que la méthode Coué, ça peut marcher, du genre « j’ai un cancer au stade terminal mais en positivant je m’en sortirai » et vous, Sandro, vous me direz le nom de votre prof, qui devrait savoir qu’une idée fausse vécue sur le mode de la vérité n’a pas pour effet de produire une vérité mais un mensonge pris pour une vérité (ce qui est la fonction même du mensonge).
     
    Bon, j’arrête de poser et je vous libère pour le week-end smiley.

    • Sandro Ferretti SANDRO 8 novembre 2008 11:09

      Paix à la mémoire de M. JJ. K, secrétaire -disciple d’Althusser, et brillant comédien autant que philosophe.
      Pour ce qui est du sujet qui nous occuppe (4 heures, sans document) et pour le dire autrement , je renvoie à Desproges qui, dans un de ses livres, racontait l’histoire de Gestapistes venus interpeller un opposant ou un résistant.
      Le concierge s’interpose et leur dit :
      "Vous vous méprenez, Messieurs, ce n’est pas le locataire du 3 eme qui est anti-fascite, c’est le faschisme qui est anti-locataire du 3eme".
      Vu ?


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