mardi 21 août 2007 - par Michel Monette

Pour un internet africain ouvert à tous

Dans l’introduction du rapport annuel de l’Association pour le progrès des communications (APC), la directrice Anriette Esterhuysen fait un constat navrant : très peu d’initiatives internationales en matière de TIC en Afrique portent systématiquement sur le manque d’infrastructure de communication. Puis elle ajoute que « dans les secteurs du développement et du financement du développement, on reste sceptique quant à la valeur des TIC pour le développement. » Voilà qui a de quoi étonner ! Les télécommunications sont une composante essentielle, que dis-je incontournable, du développement. L’Inde, la Chine et les autres pays émergents l’ont compris. Pourquoi alors ce scepticisme en ce qui concerne l’Afrique ? Mystère.

Par la voix de sa directrice, le rapport de l’APC tente visiblement de convaincre les donateurs et les prêteurs du contraire, en expliquant en quoi il est si fondamental de consacrer des ressources financières à doter l’Afrique des infrastructures de télécommunication qui lui font cruellement défaut. Le point de vue développé est intéressant.

Anriette Esterhuysen voit plusieurs niveaux d’importance des infrastructures :

  • physique (par exemple la dorsale internet, le spectre radio, les ordinateurs) ;
  • protocoles ou logique (par exemple des normes ouvertes pour que tous les secteurs de l’internet puissent se « parler ») ;
  • contenu et applications.
Ce sont des niveaux qui touchent à la technologie comme telle. Tous ces niveaux, sans lesquels nous n’imaginons plus nos propres communications dans notre monde dit développé, sont déficients en Afrique.

Il y a aussi un autre niveau, tout aussi essentiel, concerné par le manque d’infrastructure : celui des processus sociaux, un niveau « interactionnel » ou « relationnel ». C’est à ce niveau que se situent « la mondialisation, la diversité, l’inclusion et l’exclusion. »

Certes il y a l’internet commercial, celui qui offre de nouveaux services presque quotidiennement, pourvu que l’on ait une carte de crédit et un compte bancaire. Mais il y a aussi l’autre internet, où « les gens, individuellement et collectivement, s’approprient l’infrastructure et revendiquent l’espace pour protester, s’exprimer, partager et apprendre. » Là se situent les blogs, la baladodiffusion, les réseaux sociaux, le partage de photos, de vidéos, le journalisme citoyen, bref tout ce qui permet aux groupes et individus d’accéder à l’information, d’échanger, de s’organiser.

« Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas d’accès ? », se demande l’APC. Est-ce qu’on ne devrait pas considérer l’infrastructure mondiale des communications comme un bien public accessible à tous ?

Pour Esterhuysen, la réponse va de soi :

Ceux qui vivent dans la pauvreté, qui sont marginalisés socialement, économiquement et politiquement, devraient pouvoir accéder aux moyens qui leur permettent de parler, de se faire entendre, d’utiliser les services en ligne et de participer aux décisions qui touchent leur vie.
Mais il y a en plus toute la dimension de la participation publique, de la justice sociale pouvant favoriser la transparence et la responsabilisation, des politiques dont la mise en oeuvre se fait dans la participation citoyenne, la possibilité de mobilisation, se solidarité, de capacité de faire entendre sa voix.

Certes cette dimension ne dépend pas d’internet, mais du fait que « les gens, les communautés et les organisations utilisent internet pour organiser et/ou obtenir l’information dont ils ont besoin pour améliorer leur vie. »

Pour que cela soit possible, il faut d’abord une infrastructure qui le permette. Après viendront les applications, les contenus, les usages, notamment la participation au processus décisionnel public auxquels les citoyens et les communautés africaines ont droit.

Or il y a un danger, avertit la directrice d’APC : « à moins que les défenseurs d’un meilleur accès en soient conscients, les initiatives commerciales de développement de l’infrastructure pourraient prendre la forme d’offres globales intégrant des limites à l’ouverture. »

C’est une possibilité qui ne concerne pas que l’Afrique, comme l’avait si magistralement exposé Bill Moyers, lors de la National Conference for Media Reform 2007.

Dernier rapport annuel d’APC : 2006 - L’accès pour tous.



6 réactions


  • Théophile Kouamouo Théophile Kouamouo 21 août 2007 16:38

    Complètement d’accord avec vous, Michel !


  • tal 21 août 2007 17:47

    @ l’auteur

    ** Ceux qui vivent dans la pauvreté, qui sont marginalisés socialement, économiquement et politiquement, devraient pouvoir accéder aux moyens qui leur permettent de parler, de se faire entendre, d’utiliser les services en ligne et de participer aux décisions qui touchent leur vie. **

    Parler de quoi ?... smiley

    De leur extrême pauvreté et de leur dénuement total, ne ferait qu’ajouter à la morosité , augmenterait notre déprime en entrainerait un rejet par effet de saturation, car ils viendraient nous foutre une juste mauvaise conscience smiley

    Se faire entendre sur quel sujet ? smiley

    Tous les sujets sur lesquels ils pourraient se faire entendre, son archi-connus.Nous ne pourrions pas les entendre davantage, vu que nous sommes devenus sourds. Il s’agit d’une affection congénitale pour laquele nous ne pouvons être tenus responsables... smiley

    Participer à quelles décisions ? smiley smiley

    Sur ce troisieme point vous faites vraiment fort, entendu que nous dans les pays riches et développés, notre participation aux décisions qui nous concernent reste très... très... très...Restreinte ! Elle est pour ainsi dire la plupart du temps quasiment nulle, car nous nous en remettons -souvent pour notre plus grand malheur-, à nos hommes politiques.

    Quoi qu’il en soit, merci pour ce très bon article au sujet duquel la rareté des interventions, vous fait sans doute prendre la mesure de l’Humain


  • Tony Pirard 22 août 2007 00:01

    Assez intéressant l’article Michel !Vous avez touché dans un point que nous pouvons dire être réellement un Mystère. Au moins,quelques gouvernement africain ont infrastructure pour donner conditions d’avoir une Internet.Il serait un moyens de développer e améliorer intellectuelement une bonne part de cet région africain. L’interrogation restera:pourquoi personnne prends une position ? quelqu’un intérêt major que nous ne savons ? mystère sans explication... !!


    • Michel Monette 22 août 2007 00:25

      La directrice de l’APC évoque une combinaison de causes : la lourdeur bureaucratique quand ce sont des investissements publics, et le manque d’enthousiasme secteurs du développement et du financement du développement quant à la valeur des TIC pour le développement. Du côté des investissements privés, elle ajoute ceci : « Dans certains cas, ce sont les gouvernements qui contrôlent l’accès au contenu, mais bien plus souvent ce sont les entreprises qui tentent de refermer le fonds commun et de façonner l’internet de manière à finalement en limiter l’ouverture. » Je ne connais pas les intérêts privés en question, mais leur attitude est plutôt curieuse. L’ouverture est poutant toujours l’attitude la plus payante, dans tous les sens du terme.


  • Act 25 août 2007 16:43

    Bel article. On aurait souhaité plus d’information sur les acteurs, l’économie ou les usages. Internet est un phénoménal accélérateur d’activités et de croissance. Encore faut-il être producteur de biens et de services. Avant il faudrait se former puis s’informer, ce qu’il permet aussi de manière radicale. Mais encore plus en amont se doter de l’infrastructure et des machines qui vont avec.

    Et là, vu l’inanité des gouvernants africains c’est pas gagné. Pourtant le long de la côte africaine existe un cable optique d’une bande passante suffisante pour un débit conséquent. Ensuite les relais sans fil et les hotspots peuvent faire l’affaire en un rien de temps pour des coûts dérisoires même pour ces pays.

    Pour les privés ce serait presque aussi rentable à court terme que le téléphone mobile qui connaît un succès phénoménal en Afrique.

    Alors qu’est ce qui coince ?


    • Michel Monette 26 août 2007 03:53

      L’Afrique doit payer la bande passante la plus chère du monde et l’argent donné en devises fortes pour ce service quitte le continent. C’est ce qu’on peut lire aux pages 18 et suivantes du rapport (lien à la fin de l’article). En résumé, il y a présentement une situation monopolistique à laquelle les gouvernements africains concernés doivent mettre fin.


Réagir