jeudi 15 mars 2007 - par Michel Monette

Pour vaincre la faim, il ne suffit pas de donner à manger

Face au problème de la faim dans un pays où la production agricole est déficiente, le réflexe premier est d’acheminer de la nourriture. Cette générosité est essentielle lors d’une catastrophe humanitaire. Elle ne règle rien lorsqu’elle devient chronique, au contraire, tant que l’aide au développement agricole continue d’être aussi faible que présentement.

C’est une des conclusions du rapport 2006 sur l’agriculture et l’alimentation de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : L’État de l’insécurité alimentaire dans le monde.

Rappelons qu’en 1996, le Sommet mondial sur l’alimentation s’était conclu par un engagement solennel des chefs d’État alors réunis : réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées avant 2015.

Le rapport 2006 de la FAO fait le bilan de cet engagement, dix ans plus tard, alors que s’amplifie la controverse autour d’une aide alimentaire accusée de nuire au développement agricole.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’aide alimentaire est critiquée. Déjà en 1960, T.W. Shultz (prix Nobel 1979 de l’économie) se demandait si celle-ci ne compromettait pas le développement agricole des pays qui la recevaient, en faisant baisser les prix des produits agricoles sur leurs marchés intérieurs. Cette critique a été reprise depuis lors par plusieurs spécialistes du développement.

La route menant vers le cul-de-sac que constitue l’aide alimentaire part en fait de l’endroit même d’où elle provient. Celle-ci est d’abord et avant tout le résultat de l’échec de l’aide internationale consacrée au développement de l’agriculture.

Déjà en 1994, Lowell S. Hardin soulevait un fait qui pouvait expliquer l’échec des pays qui sont, encore aujourd’hui, incapables de nourrir leurs populations : l’aide à l’innovation agricole avait été réduite de façon importante par rapport aux années 1980 (Whence international agricultural research ?).

Hardin va plus loin et met le doigt là où ça fait mal : l’aide à la recherche en vue d’améliorer la production agricole avait diminué alors que les producteurs agricoles des pays riches commençaient à craindre la concurrence des produits agricoles provenant des pays en voie de développement.

Certaines multinationales qui veulent contrôler le marché des intrants agricoles n’ont pas non plus intérêt à ce que l’aide publique à la recherche agricole soit augmentée.

Heureusement, l’Inde, la Chine et plusieurs États de l’Asie et de l’Amérique latine avaient profité de l’aide à la recherche pour faire leur révolution verte. Tant pis pour l’Afrique subsaharienne qui s’est présentée trop tard au guichet.

Qu’en est-il depuis 1994 ?

Le rapport 2006 de la FAO fait un constat déprimant : L’aide externe à l’agriculture et au développement rural a reculé par rapport aux niveaux des années 80 (page 29 du rapport). Pire encore, la FAO ajoute qu’en plus d’avoir diminué, elle ne cible pas assez les pays où la sous-alimentation est la plus élevée.

En plus, les pays ayant des surplus agricoles inondent les marchés des pays qui n’arrivent pas à améliorer les rendements de leur agriculture. Pas d’aide, pas de marchés : il n’est pas difficile d’imaginer la suite.

Certes, écrit sur son site le Conseil international des céréales (CIC), plus de 80% de l’aide alimentaire l’est sous forme de dons consacrés à l’achat de céréales. Mais le CIC ajoute du même souffle que les pays donateurs sont instamment priés de consacrer leurs contributions en espèces à des "transactions triangulaires" (c.à.d. l’achat de produits alimentaires auprès d’un pays en développement pour fourniture à un pays bénéficiaire) ou à des "achats locaux".

En clair, ce sont les surplus céréaliers des pays riches producteurs qui dominent dans l’aide alimentaire.

La FAO, bien timidement cependant, soulève dans son rapport 2006 un autre grave problème de l’aide alimentaire. L’état de santé des populations qui la reçoivent est un élément essentiel à l’absorption des nutriments. Or les systèmes de santé des pays où l’aide est distribuée sont dans un état déplorable.

L’aide alimentaire doit être accompagnée d’une aide pour renforcer la santé de ceux qui la reçoivent. C’est là une déficience du système international d’aide dont on ne parle pour ainsi dire pas.

Tout comme on passe sous silence le fait que l’aide alimentaire est d’abord et avant tout un marché qui nourrit ceux qui donnent à manger.



8 réactions


  • troll (---.---.82.128) 15 mars 2007 15:05

    oui l’aide alimentaire n’est pas une solution... c’est une reponse a l’urgence...

    apres il faut voir les causes de ces famines : si c’est parce qu’il y a 3 millions de personnes sur 5 kilometres carres, il ne faut pas etre etonne...

    C’est sur que grace aux OGMs de Monsanto on pourrait vivre a 3 millions de personnes sur 5 kilometres carres... alors merci Monsanto ?....


    • ade (---.---.225.25) 15 mars 2007 15:35

      J’avais lu (je ne sais plus trop où) que la terre était capable d’héberger jusqu’à 10-15 milliards d’êtres humains... à condition de revoir radicalement notre mode de vie !

      La surpopulation n’est pas (encore) le noeud du problème. Elle en fait un peu partie, certes, mais il faut trouver des solutions intelligentes (des plantes qui nécessitent peu d’eau (pas comme le maïs), des énergies renouvelables, des méthodes d’irrigation efficaces (goutte à goutte), etc.). Dans certains pays africains, largement inondés de soleil, le FMI finance (paraît-il, je n’ai pas été vérifier) des centrales classiques (thermiques), conçues par des occidentaux, alors même qu’un développement à base de technologies solaires (photovoltaïques/thermiques) serait largement plus approprié IMHO.

      Je crois qu’ici comme dans de nombreux pays, la R&D et le développement de normes environnementales / alimentaires (ça va souvent ensemble) draconiennes serait non pas un frein à la croissance mais au contraire un extraordinaire gisement d’emploi et de développement. Mais on entre dans un autre débat !

      Pour revenir sur la bouffe : qu’on commence déjà par supprimer nos subventions à l’exportation (que l’on subventionne notre autosuffisance, OK, mais que l’on casse les prix à l’étranger est assez dégueulasse !). Espérons que notre prochain président sera plus sage que Chirac là-dessus...

      M’enfin...


    • Michel Monette 15 mars 2007 16:34

      Il n’est pas nécessaire de passer par Monsento. Lisez L’agriculture durable dope la production que je publiais sur Agoravox en janvier 2006.


  • gem gem 15 mars 2007 19:29

    C’est un constat millénaire et proverbial. Fallait vraiment faire un article pour rappeller ce genre d’évidence ?

    Remarquez, ça n’est pas spécifique à la question de la faim.

    « Tout comme on passe sous silence le fait que l’aide alimentairesociale est d’abord et avant tout un marché qui nourrit ceux qui donnent à manger. »


  • jltisserand (---.---.166.169) 17 mars 2007 07:56

    les producteurs (forcement petits) des pays subsahariens patissent economiquement de « l’aide europeenne » qui nous permet de resoudre les surplus de la filiere viande. Mais aussi les sotcks de fringues que nous donnons a Emmaus sont revendus sur les marches Africains tuant du meme coup toute une filiere de petits artisans qui pouvaient vivre de leur boulot ..... Maintenant la Chne arrive sur le marche et propose un veritable artisanat Africain, peinture, sculpture etc... que nous acheterons a Dakar, Naroibi, Lome ou Cotonou en provenance directe de Shangai a des prix Insoutenables par les artisans locaux. Qu’en sera-t-il des artisans du bronze de Ouagadougou (Burkina), des batiks de Kpalime (Togo) ?

    Alors .....

    le « Charity Business » ..... Arretons car l’Afrique creve aussi de « ca ».


  • vincent (---.---.166.104) 5 avril 2007 02:04

    Bonjour.

    Tout d’ abord il faut savoir que de débouler en Afrique avec des C-130 pleins de boites de cassoulet ne rend pas service aux Africains. Cela est une solution a court terme.

    Par contre il serait bon de les aider a avoir les memes droits commerciaux que les pays dévelopés.

    Pourquoi les éleveurs et agriculteurs des pays européens et des USA sont subventionés, alors que les producteurs Africains ne le sont pas ? Cela est déja une injustice commerciale internationale qui porte un grave préjudice économique aux pays sous dévelopé ou en voie de dévelopement.

    Pourquoi les USA vendent leurs productions de coton en dollars, alors que l’ on paye le coton des Africains en monnaie de singe ?

    pouquoi depuis l’ époque des colonies on pille les richesses des pays d’ Afrique ? Mine d’ or, de cuivre, de diamants, etc .... Et le pire est qu’ en ce début du vingt et unième siècle se pillage continu !

    Le résultat c’ est que ses gens crèvent de faim chez eux, et de ce fait arrivent en masse chez nous. tant que l’ O.M.C ( organisation mondiale du commerce )se comportera comme une ( oragnisation mondiale de la connerie,)et continura d’ escroquer les pays sous dévelopés ou en voie de dévelopement, nous aurons toujour un afflux de plus en plus important d’ immigrés, don nous ne saurons que faire chez nous, et qui seront chez nous des assistés, RMI, ainsi que divreses aides....

    Si nous volons assister, ou tout au moins aider ses populations, nous devons les aidés, mais aidons-les CHEZ EUX.

    Il ne faut pas oublier que si les Africains et autres.... viennent immigrés en europe ou aux USA, ce n’ est pas forcément que ça leur plaisent, car ils n’ ont pas plus envie de venir chez nous que nous de les accueillirs, mais ils viennent surtout par ce qu’ ils crèvent de faim chez eux.

    Je suis contre la mondialisation comme veulent le faire les pays dévelopés, car la mondialisation serait une bonne chose si cela consistait a étaler les richesses entre les pays dévelopés et les pays sous dévelopés ou en voie de dévelopement, mais c’ est tout le contraire qui se produit, donc la mondialisation n’ est qu’ une grosse enc*lerie internationale servant qu’ a creuser un peu plus le fossé déja existant entre les pays riche et les pays pauvre, et je deteste l’ hypocrisie don font preuve les pays « des droits du sous-homme » en ce domaine.

    Je n’ en veux pas aux immigrés de venir chez nous, mais j’ en veux a l’ OMC, L’ ONU, ainsi que tous les gouvernements des pays dévelopés, qui de part leurs comportements d’ irresponsables et d’ égoistes, OBLIGENT ses gens a venir chez nous.

    Et je suis très remonté contre ses injustices économique et commerciale !

    Cordialement.

    VINCENT.


    • Michel Monette 5 avril 2007 03:26

      Une des toutes premières mesures positives serait de sortir la Banque mondiale et le FMI de l’Afrique. Ces institutions voient bien que leur modèle de développement basé sur les théories économiques dites néolibérales ne fonctionne pas, mais elles s’acharnent à dire que c’est la faute aux Africains.


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