mardi 1er février 2011 - par Michaux Jérémi

Tunisie : le terreau d’une révolution

Face au caractère inédit d’une révolution en pays arabe, aucun observateur n’a été capable de prédire l’issue du soulèvement qui a eu lieu en Tunisie. Pourtant les facteurs favorables à sa réalisation et sa réussite étaient bien là.

Une flamme, pour s’allumer et brûler à besoin de tous les éléments du « triangle du feu », une révolution pour se faire nécessite plusieurs éléments combinés. Dans le cas de la Tunisie, son combustible aura été la souffrance d’un peuple, son comburant l’aveuglement de ses dirigeants corrompu et son énergie d’activation comme souvent dans les grands bouleversements de l’histoire, la mort tragique d’un Homme. Des situations similaires à celle qui ont abouti à ce souffle d’espoir ont pourtant souvent échoué à renverser un dictateur haï. Le soulèvement contre Ahmadhinedjab en Iran et celui des « chemises rouges » en Thaïlande pour ne citer que les plus récents évènements ont connu des issues tragiques. Le peuple tunisien a réussi à chasser du pouvoir un despote qui paraissait vouloir s’y maintenir à vie. La première cause de ce succès est la farouche volonté d’en finir avec un régime qui les étouffait mais ce n’est pas la seule. La révolution tunisienne a « bénéficié » de circonstances propice à sa réalisation. Le pays ne ressemble à aucun de ses voisins.

Si le président doit obligatoirement être de confession musulmane, les islamistes y ont sont férocement combattus par le pouvoir. La Tunisie est un pays violemment laïc par la volonté de Bourguiba l’ancien président à vie. Ce dernier avait appelé à ne plus respecter le jeune du ramadan pour mieux « combattre le sous développement » dans son pays. Il s’était même fait photographier buvant un jus d’orange lors de cette période symbolique pour les musulmans. Ben Ali lui a sévèrement réprimé les mouvements religieux dès son début de prise de pouvoir.

 Les femmes y ont des droits très important, le droit de vote leurs sera accordé un an après l’indépendance de 1956 et l’avortement sera légalisé dès 1959 soit 16 ans avant qu’il ne le soit en France. Même si de plus en plus de femmes décident de porter le voile, c’est davantage un fait de mode culturel que religieux. Les deux tiers qui ne le portent pas sont farouchement pour l’égalité des sexes. De nombreuses jeunes femmes ont participé aux manifestations, elles étaient même souvent en tête des cortèges.

41% de la population à moins de 25 ans, l’âge où l’on a envie de changer les choses. Ce sont encore des très jeunes que l’on a vu dans Envoyé Spécial  démolir le parloir d’une prison où avaient été enfermés leurs camarades. Face à un chômage des jeunes qui représente 72% du chiffre total des chômeurs, leur désespoir à trouver un travail aura donc été le ciment de leur révolte.

La Tunisie est aussi un pays très éduqué dans lequel entre 1971 et 2007, le nombre d’étudiants a été multiplié par… trente sans que le marché de l’emploi ne suivent. Une politique d’éducation massive a été entamée sous les dernières années du « règne » de Bourguiba et poursuivi par celui qui le renversa, Ben Ali. Il est moins facile de manipuler ces nombreux diplômés très instruit et informés sur le monde.

Le manque de démocratie qui permet qu’un président le reste à vie, depuis 1975 et l’amendement de la constitution sous Bourguiba. Ce président élu et adoré par le peuple en 1957 renforcera le control de l’état sur les libertés publiques en vieillissant. L’opposition politique à été muselée que ce soit sous Bourguiba puis sous Ben Ali. L’absence d’autre parti que celui de Ben Ali est symbolisée par l’élection de 1994 lorsque ce-dernier obtient 99% des voix à la présidentielle.

L’armée était du côté des manifestants. Sa neutralité du début puis sa protection vers la fin du régime ont joué un rôle déterminant. Il se dit même que c’est le chef d’état-major de l’armée qui aurait poussé Ben Ali à quitter le pays alors que celui-ci avait été limogé la veille par l’ex-président quand il refusa de faire tirer sur la foule. Il faut néanmoins relativiser ses actes car il n’est pas certain qu’un ordre de tirer sur la foule aurait été suivi. La grande majorité des militaires étant des appelés.

Dernier facteur infime à rentrer en ligne de compte pour faire pencher la balance, dans le sens d’une réussite de la révolution, la mobilisation internationale. Si l’on excepte les déclarations malheureuses d’Alliot-Marie et prévisibles de Kadhafi, la neutralité des pays attendant de voir dans quel sens le vent allait tourner et les timides déclarations des Etats-Unis contrastèrent avec l’élan des réactions populaires. Les réseaux sociaux furent le théâtre d’un important soutien des expatriés et sympathisants envers les manifestants. Alors que les télévisions ne parlait que des pilleurs mettant à sac le pays, les sites et les blogs connaissait une grande affluence et dispensaient une information plus complète. Beaucoup de mots d’ordres pour de nouvelles manifestations ont ainsi été relayés sur la toile.  

Cette liste non exhaustive de causes à l’embrasement et à la réalisation de la révolution Tunisienne ne prend en compte que les critères matériels ou chiffrables. Les tunisiens les ont transformés en énergie salvatrice. Face à la corruption endémique du régime, ils ne pouvaient pas se contenter d’un simple soulèvement. Il fallait tout remettre à plat. Malgré la distance déjà parcourue par les acteurs de cette révolution, le chemin pour que le pays devienne une véritable démocratie est encore long. Mais les tunisiens sont sur la bonne voie.




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