mardi 21 septembre 2010 - par Bruno de Larivière

Turbulences en mer de Chine

Loin des côtes européennes, une affaire au départ anodine a failli tourner à l’affrontement ouvert. Tokyo et Pékin en font une interprétation différente. Pour les uns, des pêcheurs ont pénétré dans leurs eaux territoriales. Pour les autres, l’équipage a été arrêté indûment... Les risques d’emballement ne sont pas à négliger.

 «  Le ministère chinois des Affaires étrangères a fait le 19 septembre une demande solennelle auprès du Japon suite à sa décision de prolonger la détention du capitaine d’un chalutier chinois. La Chine va prendre des contre-mesures fortes si le Japon ne libère pas immédiatement et sans conditions le capitaine chinois. Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères Wang Guangya a exprimé son indignation et ses vives protestations auprès de l’ambassadeur du Japon en Chine, Uichiro Niwa. Le ministre Wang a souligné par la même occasion que l’affaire provoquée par le Japon a déjà affecté gravement les relations sino-japonaises. L’évolution de la situation dépend totalement des choix faits par la partie japonaise, a affirmé Wang Guangya.  » [source].

C’est par ces quelques mots que le site de Radio Chine Internationale relate les derniers rebondissements de l’affaire du chalutier, à l’origine d’une crise diplomatique entre la Chine et le Japon. Le média officiel insiste sur le caractère institutionnel de la protestation chinoise, tandis que les journaux occidentaux montrent les défilés dans la rue, ou retranscrivent les commentaires d’internautes prêts à déterrer la hache de guerre. Pierre Haski s’en émeut sur Rue89. Euronews diffuse une vidéo dans laquelle des Chinois brûlent un drapeau dans un fût métallique, sans préciser qu’il s’agit du symbole du Japon impérial, et non du drapeau japonais actuel. Avant la capitulation d’août 1945, le point rouge figurait un soleil diffusant des rayons de la même couleur sur un fond blanc : le monde sous domination japonaise.

Que s’est-il passé au départ ? Un chalutier a pénétré dans les eaux territoriales japonaises. Un garde-côte, après avoir vainement tenté de le dérouter a pris le contrôle de l’équipage. Entre-temps, le bateau de pêche chinois a percuté le navire japonais. Jusque là, l’incident ressemble à bien d’autres qui se déroulent ailleurs, en limite des eaux territoriales et des eaux internationales. La presse mélange à ce sujet cette dernière notion avec celle de Zone Economique Exclusive. Un pays, en l’occurrence le Japon, peut interdire à un intrus de pénétrer dans ses eaux, celles-ci s’étendant jusqu’à 12 miles de son trait de côte (c’est-à-dire une vingtaine de kilomètres environ). Au-delà commencent les eaux internationales, par définition libres à la circulation maritime. La convention des nations unies sur les droits de la mer [source] a néanmoins fixé les termes d’une exploitation des ressources. Un pays détient tous les droits sans partage sur la mer ou l’océan qui baignent ses côtes, et ce dans la limite des deux cents miles nautiques, avec un droit de regard sur le plateau continental étendu au-delà. Cette ZEE prête évidemment à discussion, parce que deux zones peuvent se recouper. Dans le cas des îles japonaises, il y a clairement conflit d’intérêt : entre les îlots Senkaku (toponyme japonais) et le littoral de Chine continentale (région de Fuzhou), il y a trois cents kilomètres. Au passage, Taïwan est encore plus proche, dont la pointe septentrionale (région de Taipei) se situe à moins de deux cents kilomètres au sud-ouest [source].

En résumé, Tokyo ne pourra que négocier la future exploitation de champs gaziers off-shore, annoncés comme très prometteurs. Les blocages éventuels de la partie japonaise seraient aussi malvenus que contreproductifs. Mais Zhan Qixiong, le commandant du chalutier chinois arraisonné dans les eaux territoriales japonaises inverse les rôles, et place son pays d’origine dans une situation juridique plus difficile à défendre. D’autres que moi, plus armés en droit international se pencheront sur cette affaire. Brice Pedroletti et Philippe Mesmer, dans Le Monde daté du 21 septembre 2010, rappellent que les deux pays ont signé un accord de pêche il y a une vingtaine d’années. La thèse de l’incursion accidentelle paraît difficile à croire. Le chercheur du CNRS Jean-Pierre Cabestan sollicité par les deux journalistes parle d’une politique de la corde raide menée par Pékin. « Les Chinois se comportent en maître d’école. Ils disent aux Japonais qu’ils font erreur après erreur alors que jusque-là, le statu quo était bâti sur le fait que les îles Senkaku sont sous administration japonaise. Les Chinois le savent bien. »

Une certaine confusion règne, qui dépasse la notion maritime. La presse occidentale témoigne d’un souci compréhensible de défendre l’argument de la nation lésée par l’histoire. Ressortent à cette occasion tous les grandes dates de l’agression japonaise en Mandchourie en 1931, le massacre de Nankin et les autres points de passage obligés de la Seconde guerre mondiale. Libération met en avant une pancarte tenue par un manifestant, ponctué d’un slogan éculé «  A bas l’impérialisme japonais  ». Il faut remonter aux années 2005 - 2006 pour retrouver pareil pataquès diplomatique : des livres d’histoire présentant sous un jour favorable la colonisation japonaise ou la visite d’un premier ministre au mémorial des officiers morts pendant la guerre ont alors suscité de vives réactions en Chine. Si l’on s’intéresse à l’histoire maritime, la présence japonaise à des centaines de kilomètres de l’archipel nippon étonne moins. Il n’y a en la matière aucun hasard. Si la Chine se trouve aujourd’hui privée d’espace vital - terme sulfureux s’il en est - vers le Pacifique, c’est le résultat de l’histoire. Les empereurs de la dynastie mandchoue ont en effet choisi de refermer le pays sur l’extérieur, en isolant le littoral et en limitant étroitement le nombre des Chinois au contact des étrangers. Cela étant, la marine britannique ne laissait guère d’alternatives [source].

En face, le Japon a évolué différemment, surtout après 1868 et l’intronisation de l’empereur Mutsuhito (Ere Meiji) Le fait de sortir de l’île centrale d’Honshu et de coloniser des territoires proches coïncide pour les Japonais avec l’ouverture à l’Occident. Au nord, c’est Hokkaido, au sud Okinawa. Peu importe que l’une connaisse un climat continental et l’autre un climat tropical humide. En 1895, Formose tombe dans l’escarcelle japonaise [source]. Toute condamnation de l’impérialisme (ici japonais) n’est pas mauvaise en soi. Mais dans la partie continentale, la Chine communiste a elle-même repoussé ses frontières au-delà de celles prévalant au XIXème siècle. Nulle puissance n’est exempte de reproche sur ce sujet, surtout en Europe. Cela étant, la logique qui prévaut est souvent celle de la force.

En terme de revendication de droits maritimes, Pékin prend cependant le risque de voir les nations situées plus au sud se ranger du côté japonais plutôt que du côté chinois. Car en mer de Chine méridionale, la présente affaire connaît non pas des équivalents, mais des exemples plus contestables encore. En 1974, les anciennes îles Paracels ont été occupées de force par l’armée chinoise. Hanoï continue de réclamer en vain réparation pour la captation de Hoang Sa [source]. Inhabités, ces atolls autrefois administrés par les Français depuis l’Indochine sont cependant plus proches d’Hainan que du Vietnam. On peut même arguer une continuité du plateau continental à la faveur de la Chine [carte]. Mais dans le cas des îles Spratley (voir carte), à deux cents kilomètres de l’île philippine de Palawan, Pékin fait preuve d’entière mauvaise foi. L’archipel sort largement du cadre de la ZEE. Il surgit au milieu d’une fosse océanique très visible sur l’image satellite.

Compte tenu du poids des investisseurs japonais dans l’appareil industriel chinois (même en léger recul / source) mais aussi, en sens inverse, de l’achat par la Chine de titres de la dette nippons [source], aucun des deux gouvernements ne devrait s’aventurer dans un conflit territorial. Au printemps 2009, c’est un navire américain qui a failli se faire prendre en chasse [source]. Et j’ai laissé de côté, la question taïwanaise.

La mer de Chine, mère de toutes les turbulences

Voir aussi cette synthèse, et le dernier article du Figaro.

PS./ Geographedumonde sur la Chine [Après l’ail, ouille !], le Japon [Aider les vieux, ou armer le bras du crime !], les Philippines [Les Philippines, malgré les typhons et malgré le Mayon] et le Vietnam [Damoclès sur le Mékong].

Incrustation : carte marine de l’archipel d’Okinawa & Senkaku



9 réactions


  • ALBIE Alain 21 septembre 2010 11:59

    Ce genre d’incidents est mensuel et ne vaut d’être médiatisé que parce que les médias n’avaient rien à dire sur la région depuis un moment.

    Ce chapelet d’île est un nid d’embrouilles et si un jour l’ONU a le temps, il serait bon qu’elle s’en occupe. A moins que ce ne soit laissé dans l’état pour créer des conflits au moment voulu.

    « Et j’ai laissé de côté, la question taïwanaise »

    Justement, c’était l’occasion d’en parler puisqu’aucun document officiel ne restituant Taiwan à la Chine, l’ïle est toujours la propriété du Japon.

    Il est bien évident que les japonais ne mettront jamais en avant cette propriété, mais elle est pourtant bien réelle.


  • alberto alberto 21 septembre 2010 13:17

    Bien passionnant !

    Je me souviens d’articles de journaux locaux, du temps (85/90) où je résidais en Malaisie, qui justifiaient pour quelles raisons le gouvernement malaisien avait droit de revendiquer une part de souveraineté sur ces îles Spratley...Qui déjà avaient un léger parfum de pétrole !

    Mais ça, c’est quand la politique met les pieds dans la Géographie et l’Histoire...

    Au fait : pour Guernesey on fait quoi ?

    Bien à vous.


  • non666 non666 21 septembre 2010 14:06

    @alberto :
    Guernesey , jersey et sarq sont françaises.
    Les anglais ont interpreté dans un sens particulièrement hypocrite le traité de liberalisation des territoires français occupés en pretendant que ces iles ’n’etaient pas des terrres et n’entraient donc pas dans les territioires a restituer aux français.

    De gaulle a été le seul a essayé de les reprendre mais il a fait confiance a un tribunal « international »situé en Hollande...
    or la reine des pays bas est membre fondatrice de Bilderberg car Shell est d’abord et surtout la carte pétrolière de la couronne des pays bas et un des outils pour imposer le dollar comme monnaie mondiale commune...via le pétrole.
    Les anglais n’ont pas aimé cette action de DeGaulle et le « vive le quebec libre » a été la goutte d’eau qui leur a fait validé mai 1968 pour faire tomber degaulle.


    • Massaliote 22 septembre 2010 16:06

      Ca confirme ce que je pensais. La plus grande erreur de Napoléon a été de ne pas réduire l’Angleterre en priorité absolue. Nos « bons amis » anglo-saxons...


  • alberto alberto 21 septembre 2010 22:48

    non666 : oui, ton commentaire est exact, mais l’affaire est plus ancienne, à l’origine il s’agirait d’un traité de fin de guerre ( de 7 ans ?) où par connerie, les plénipotentiaires français avaient « oublié » d’inclure les îles anglo-normandes dans la rédaction du dit-traité . Je n’ai plus les références à cette heure tardive (je rentre d’un gueuleton un peu arrosé...) j’essaierai de les retrouver quand une nnuit réparatrice m’aura permis d’y voir un peu plus clair...

    bIEN à toi


    • non666 non666 21 septembre 2010 23:30

      C’est bien de cette guerre la dont je parlais....

      Les allemands ont recuperé les iles « pour nous »


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