Une commission d’enquête sur les massacres de l’été 1988 en Iran
Alors que les arrestations arbitraires, les tortures et les exécutions perdurent encore en Iran, à la suite des manifestations récentes et du soulèvement du peuple contre le régime en place, un tribunal citoyen était organisé à Genève le mois dernier pour juger du massacre de l’été 1988 en Iran. Certes plus symbolique que strictement juridique, le tribunal citoyen a toutefois permis d’aborder la question sous les yeux de quatre ONG ayant un statut consultatif à l’ONU et en présence active de Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
Témoignages poignants
Les auditeurs ont pu assister aux témoignages d’une dizaine de témoins directs de ces massacres ou de proches des victimes. C’est le cas de Mostafa Naderi, emprisonné pendant 11 ans entre 1981 et 1992, dont 5 années en isolement. Lui a miraculeusement survécu à l’exécution des prisonniers. Mais il se souvient encore du sentiment de vide alors qu’il retournait en cellule après un séjour à l’infirmerie. Sur 12 000 prisonniers opposants ou soupçonnés de l’être, seuls 250 sortiront vivants.
Pour Sima Mirza’i, les choses ont été plus compliquées. Pas moins de 14 de ses proches ont disparu ou ont été tués pendant cet épisode d’une haine extrême. Cinq de ses frères et sœurs, âgés de 16 à 26 ans à l’époque des faits, ont été exécutés. Encore aujourd’hui, elle réclame justice pour les membres de sa famille et se pose de légitimes questions : « Ces exécutions d’innocents est véritablement un crime contre l’humanité. Les membres de la ‘’commission de la mort’’ doivent être traduits en justice. Une seule et simple question doit leur être posée : pourquoi ? Pourquoi vous avez tué tant de prisonniers ? Pourquoi ne pas révéler l’adresse des fosses communes ? »
L’origine du crime contre l’humanité
Au sortir de la guerre contre l’Irak et à la veille de sa mort, le fondateur de la république islamique d’Iran, Rouhollah Khomeyni lance une fatwa contre tous les « ennemis de Dieu ». Le texte est sans appel : « Puisque ces traîtres de Monafeghine (Hypocrites, terme péjoratif utilisé par le régime pour désigner les membres de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran, le principal mouvement d’opposition) ne croient pas en l'islam, que ce qu'ils disent est mensonge et hypocrisie, que leurs dirigeants ont admis être des renégats, qu'ils sont en guerre contre Dieu ... il est décrété que ceux qui sont incarcérés dans le pays et qui maintiennent fermement leur soutien aux Monafeghine sont en guerre contre Dieu et sont condamnés à être exécutés. Anéantissez immédiatement les ennemis de l'islam. »
Une « commission de la mort » est formée. Ses trois membres principaux organisent la logistique qui permettra l’exécution de près de 33 000 personnes. Hommes, femmes, jeunes ou vieillards, opposants au régime et prisonniers politiques. Depuis, il est toujours impossible de connaître l’emplacement des fosses communes. Pire, les principaux responsables de ces massacres tiennent encore le pouvoir en Iran aujourd’hui. L’un d’entre, Ebrahim Raïssi, était même le choix assumé du guide suprême lors des dernières élections présidentielles de mai 2017. Un autre, Mostapha Pourmohammadi, fut ministre de la justice lors du premier mandat d’Hassan Rohani. Interrogés sur la question, les deux hommes et leurs confrères tortionnaires ont tous revendiqué ces actes, et l’ont même affiché avec fierté. Que des hommes tels que ceux-ci puissent encore jouir d’un poste à haute responsabilité au sein de la république islamique en dit long sur le sentiment d’impunité qui anime les dirigeants politiques du régime des mollahs.
La résonnance du soulèvement actuel en Iran
Le procès citoyen a eu lieu alors que nombre de manifestants actuels sont encore arrêtés, torturés et exécutés. Ces hommes et ces femmes savent pertinemment que la seule réponse à leur désobéissance et à leurs appels au changement de régime sera la torture et sans doute la mort. Mais ils continuent, comme leurs parents avant eux, comme leurs grands-parents encore plus tôt. De fait, depuis 1953 et la destitution de Mohamed Mossadegh, la lutte contre la dictature et l’oppression n’a jamais cessé. Elle est ancrée, enracinée, génération après génération.
En 1988, Ali Montazeri, alors N°2 du gouvernement et appelé à succéder à Khomeyni, réprouvait totalement ces exactions. « Vous êtes en train de commettre le plus grand des crimes sous la République islamique et pour lequel l'histoire nous condamnera. À l'avenir, vos noms seront gravés dans les annales de l'histoire en tant que criminels, » avait-il alors osé. Il précisait même que la résistance était une idée, et que l’on ne tue pas une idée. Au contraire, plus on meurt pour une idée, plus elle fait d’adeptes, plus elle se propage. Pourtant, les mollahs ne changent pas de méthodes. Depuis le 20 juin 1981 à Téhéran, lorsqu’ils décidaient de tirer en masse sur la foule pacifiste de 500 000 personnes jusqu’aux répressions de janvier 2018 suite aux manifestions dans toutes les principales villes d’Iran, ce sont près de 120 000 personnes qui ont disparu. Aujourd’hui encore, on compte plus de 8 000 arrestations, 12 exécutés, des dizaines de torturés et une quarantaine de tués par balles.
Il est temps que cela cesse
Tour à tour, différents spécialistes et témoins se sont succédés à la barre. Et tous demandent à ce qu’une enquête internationale sur le massacre de 1988 soit diligentée par l’ONU. Eric Sottas, ancien directeur de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a déclaré : « le massacre de 1988 est un crime contre l'humanité imprescriptible, et là nous avons un point d'ancrage solide sur le plan du droit pour exiger que justice soit faite. Il y a quand même une documentation aujourd'hui solide, grâce aux Rapporteurs et aux autres instances existant. Ce qu'on doit regretter c’est que ce ne soit pas allé plus loin. Au niveau des Nations unies, cette commission d’enquête est essentielle. »
Jean Ziegler, quant à lui, au sein d’un discours bref et concis s’est fait l’apôtre de la constitution d’un tribunal spécial, tel que l’avait pensé Koffi Annan, lorsqu’il avait décidé l'instauration sur décision du Conseil de sécurité, de tribunaux spéciaux. « (…) C'est le Conseil des droits de l'homme qui devrait instaurer une commission d'enquête sur les massacres de 88 et les massacres après. Il nous faut un tribunal spécial pour mettre fin à cette impunité qui est une honte pour l'humanité. »