samedi 3 mars 2018 - par Mazdak Teherani

Une commission d’enquête sur les massacres de l’été 1988 en Iran

Alors que les arrestations arbitraires, les tortures et les exécutions perdurent encore en Iran, à la suite des manifestations récentes et du soulèvement du peuple contre le régime en place, un tribunal citoyen était organisé à Genève le mois dernier pour juger du massacre de l’été 1988 en Iran. Certes plus symbolique que strictement juridique, le tribunal citoyen a toutefois permis d’aborder la question sous les yeux de quatre ONG ayant un statut consultatif à l’ONU et en présence active de Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

Le procès citoyen a eu lieu alors que nombre de manifestants actuels sont encore arrêtés, torturés et exécutés en Iran

Témoignages poignants

Les auditeurs ont pu assister aux témoignages d’une dizaine de témoins directs de ces massacres ou de proches des victimes. C’est le cas de Mostafa Naderi, emprisonné pendant 11 ans entre 1981 et 1992, dont 5 années en isolement. Lui a miraculeusement survécu à l’exécution des prisonniers. Mais il se souvient encore du sentiment de vide alors qu’il retournait en cellule après un séjour à l’infirmerie. Sur 12 000 prisonniers opposants ou soupçonnés de l’être, seuls 250 sortiront vivants.

Pour Sima Mirza’i, les choses ont été plus compliquées. Pas moins de 14 de ses proches ont disparu ou ont été tués pendant cet épisode d’une haine extrême. Cinq de ses frères et sœurs, âgés de 16 à 26 ans à l’époque des faits, ont été exécutés. Encore aujourd’hui, elle réclame justice pour les membres de sa famille et se pose de légitimes questions : « Ces exécutions d’innocents est véritablement un crime contre l’humanité. Les membres de la ‘’commission de la mort’’ doivent être traduits en justice. Une seule et simple question doit leur être posée : pourquoi ? Pourquoi vous avez tué tant de prisonniers ? Pourquoi ne pas révéler l’adresse des fosses communes ? »

L’origine du crime contre l’humanité

Au sortir de la guerre contre l’Irak et à la veille de sa mort, le fondateur de la république islamique d’Iran, Rouhollah Khomeyni lance une fatwa contre tous les « ennemis de Dieu ». Le texte est sans appel : « Puisque ces traîtres de Monafeghine (Hypocrites, terme péjoratif utilisé par le régime pour désigner les membres de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran, le principal mouvement d’opposition) ne croient pas en l'islam, que ce qu'ils disent est mensonge et hypocrisie, que leurs dirigeants ont admis être des renégats, qu'ils sont en guerre contre Dieu ... il est décrété que ceux qui sont incarcérés dans le pays et qui maintiennent fermement leur soutien aux Monafeghine sont en guerre contre Dieu et sont condamnés à être exécutés. Anéantissez immédiatement les ennemis de l'islam. »

Une « commission de la mort » est formée. Ses trois membres principaux organisent la logistique qui permettra l’exécution de près de 33 000 personnes. Hommes, femmes, jeunes ou vieillards, opposants au régime et prisonniers politiques. Depuis, il est toujours impossible de connaître l’emplacement des fosses communes. Pire, les principaux responsables de ces massacres tiennent encore le pouvoir en Iran aujourd’hui. L’un d’entre, Ebrahim Raïssi, était même le choix assumé du guide suprême lors des dernières élections présidentielles de mai 2017. Un autre, Mostapha Pourmohammadi, fut ministre de la justice lors du premier mandat d’Hassan Rohani. Interrogés sur la question, les deux hommes et leurs confrères tortionnaires ont tous revendiqué ces actes, et l’ont même affiché avec fierté. Que des hommes tels que ceux-ci puissent encore jouir d’un poste à haute responsabilité au sein de la république islamique en dit long sur le sentiment d’impunité qui anime les dirigeants politiques du régime des mollahs.

La résonnance du soulèvement actuel en Iran

Le procès citoyen a eu lieu alors que nombre de manifestants actuels sont encore arrêtés, torturés et exécutés. Ces hommes et ces femmes savent pertinemment que la seule réponse à leur désobéissance et à leurs appels au changement de régime sera la torture et sans doute la mort. Mais ils continuent, comme leurs parents avant eux, comme leurs grands-parents encore plus tôt. De fait, depuis 1953 et la destitution de Mohamed Mossadegh, la lutte contre la dictature et l’oppression n’a jamais cessé. Elle est ancrée, enracinée, génération après génération.

En 1988, Ali Montazeri, alors N°2 du gouvernement et appelé à succéder à Khomeyni, réprouvait totalement ces exactions. « Vous êtes en train de commettre le plus grand des crimes sous la République islamique et pour lequel l'histoire nous condamnera. À l'avenir, vos noms seront gravés dans les annales de l'histoire en tant que criminels, » avait-il alors osé. Il précisait même que la résistance était une idée, et que l’on ne tue pas une idée. Au contraire, plus on meurt pour une idée, plus elle fait d’adeptes, plus elle se propage. Pourtant, les mollahs ne changent pas de méthodes. Depuis le 20 juin 1981 à Téhéran, lorsqu’ils décidaient de tirer en masse sur la foule pacifiste de 500 000 personnes jusqu’aux répressions de janvier 2018 suite aux manifestions dans toutes les principales villes d’Iran, ce sont près de 120 000 personnes qui ont disparu. Aujourd’hui encore, on compte plus de 8 000 arrestations, 12 exécutés, des dizaines de torturés et une quarantaine de tués par balles.

Il est temps que cela cesse

Tour à tour, différents spécialistes et témoins se sont succédés à la barre. Et tous demandent à ce qu’une enquête internationale sur le massacre de 1988 soit diligentée par l’ONU. Eric Sottas, ancien directeur de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a déclaré : « le massacre de 1988 est un crime contre l'humanité imprescriptible, et là nous avons un point d'ancrage solide sur le plan du droit pour exiger que justice soit faite. Il y a quand même une documentation aujourd'hui solide, grâce aux Rapporteurs et aux autres instances existant. Ce qu'on doit regretter c’est que ce ne soit pas allé plus loin. Au niveau des Nations unies, cette commission d’enquête est essentielle. »

Jean Ziegler, quant à lui, au sein d’un discours bref et concis s’est fait l’apôtre de la constitution d’un tribunal spécial, tel que l’avait pensé Koffi Annan, lorsqu’il avait décidé l'instauration sur décision du Conseil de sécurité, de tribunaux spéciaux. « (…) C'est le Conseil des droits de l'homme qui devrait instaurer une commission d'enquête sur les massacres de 88 et les massacres après. Il nous faut un tribunal spécial pour mettre fin à cette impunité qui est une honte pour l'humanité.  »



22 réactions


  • Clocel Clocel 3 mars 2018 13:40

    Et, pour la bataille de Little Bighorn ? Rien ?


  • Ben Schott 3 mars 2018 13:48

     

    Labrune a déjà posé sa candidature pour faire partie du jury.
     
    « J’assisterai personnellement à l’exécution des coupables islamo-nazis » a-t-il déclaré en substance.
     


    • Ben Schott 3 mars 2018 17:51

      @OMAR
       

      Non, Massada, c’est le troufion qui filtre l’entrée du tribunal...
       
      L’autre, il amène les cafés...
       


    • popov 4 mars 2018 15:34

      @OMAR

       
      Le jury a aussi fait appel à deux imminents personnalités connues pour leur neutralité, équité et respect des peuples arabo-musulmans
       
      Depuis quand les Iraniens sont-ils un « peuple arabo-musulman » ?

    • popov 4 mars 2018 17:19

      @OMAR 

       
      Arabo-musulman signifie qu’il est soit arabe, soit musulman, soit les deux

       Arabo-musulman renvoie à la population islamique du monde arabe. Il signifie donc Arabe ET mahométan. C’est la définition la plus courante. Elle sous entend qu’il y a des Arabes qui ne sont pas mahométans et des mahométans qui ne sont pas arabes. 
       
      Certains utilisent ce terme de façon plus floue, un peu comme vous, pour inclure des populations islamiques non arabes, mais personne n’est d’accord sur les pays non arabes à inclure dans cette catégorie. 
       
      Mais est-ce que tu piges quelque chose à la théorie des ensembles

      Posez-moi un donc problème que l’on peut résoudre avec cette théorie. Si je peux le résoudre, ce sera à mon tour de vous en poser un.

    • popov 6 mars 2018 02:36

      @OMAR

       
      Alors, Omar, la théorie des ensembles, on se défile ?

  • Ben Schott 3 mars 2018 13:50

     

    @l’auteur
     
    Attention, l’expression « crime contre l’humanité ® » est une marque déposée !
     


  • sls0 sls0 3 mars 2018 19:49

    La priorité est au nombre de victimes.

    Il y a pas mal d’américains style Bush qui sont prioritaire.
    Il y a aussi la priorité historique, Khomeini parlait de 60.000 morts, un autre parle de 18.000 morts dus à la SAVAK.
    Ca n’enlève rien à la faute du gouvernement iranien de l’époque, ça le relativise. Les opposants on discute avec eux, l’homicide et la preuve que l’on a tord. Donc en 88 le gouvernement avait tord comme à l’époque de la Savak.

  • phan 4 mars 2018 08:39

    C’est bizarre, vous n’exigez pas une commission d’enquête internationale sur les massacres en été 1953 en Iran ?
    19 août 1953, 11 septembre 1973 : 2 exemples parmi d’autres crimes contre la démocratie sans commission d’enquête de ce machin !
    Action d’ Eric Sottas contre les tortures à Abou Graïb, Guantanamo : aucune !
    Action de Jean Ziegler, ami du tiers monde : aucune !


  • popov 4 mars 2018 15:01

    @Mazdak Teherani

     
    J’espère qu’un jour le peuple iranien se rendra compte qu’il s’est fait arabaiser, coraniquer et sourater, que ce qu’ils appellent leur dieu n’est que l’abominable idole d’une tribu de chauffeurs de chameaux.

  • Christian Labrune Christian Labrune 4 mars 2018 21:54

    @Mazdak Teherani

    J’ai lu hier votre article. Ce que vous écrivez à propos du régime des mollahs et des crimes contre l’humanité qu’il accumule depuis près de quarante ans ne me surprend évidemment pas. Il faut porter les lunettes roses des gouvernements européens qui ont signé les accords sur le nucléaire pour continuer, lâchement, à faire semblant de ne rien savoir de toutes ces choses et je me demande comment nos concitoyens voyant désormais un Iran qui a pour ainsi dire annexé le Liban, la Syrie, l’ Irak, Gaza, et demain peut-être le Yémen, peuvent ne pas comprendre ce qui est en train de se passer dans un Moyen-Orient qui est pourtant si proche de l’Europe.

    je n’ai pas le temps, ce soir, de développer. L’article, je l’ai dit, ne me surprend pas, mais ce qui me consterne, c’est la suite des commentaires, mis à part celui de Popov que je peux lire juste au dessus. Sur une autre page où les joyeux bouchers d’AgoraVox qui chassent en meute s’entendaient à faire l’éloge des entreprises de l’Iran et des Russes dans la Ghouta orientale, je viens d’écrire ceci :

    Il faudrait, si j’en ai le temps que j’écrive un commentaire au bas d’un article d’un Iranien qui faisait le point, ces derniers jours, sur les crimes contre l’humanité perpétrés par le régime des mollahs iraniens. J’observais hier que cet article n’avait recueilli que des insultes crapuleuses. C’est à peu près comme si des collabos, dans les années 40, s’étaient ligués pour cracher sur un texte qui aurait dénoncé les horreurs du régime nazi.


    • Mazdak Teherani Mazdak Teherani 4 mars 2018 23:29

      @Christian Labrune
      Merci pour votre commentaire. Je partage tout à fait votre point de vue.


    • pipiou 5 mars 2018 00:04

      @Christian Labrune

      Vu que Monsieur nous sort un point Godwin à chaque commentaire, il va falloir inventer une autre unité rien que pour lui.

      ça pourrait être le « Labrune ». 1 Labrune = 10 points Godwin


    • Ben Schott 5 mars 2018 06:59

      @Christian Labrune
       

      « C’est à peu près comme si des collabos, dans les années 40, s’étaient ligués pour cracher sur un texte qui aurait dénoncé les horreurs du régime nazi »
       
      Toi, tu es celui qui, n’écoutant que son courage, a pris le maquis d’Agoravox.
       

       


    • Christian Labrune Christian Labrune 5 mars 2018 11:07

      @Ben Schott

      C’est qu’Il est toujours là, mon petit chien : il me suit à la trace. C’est bien.
      Allez, un petit nonos pour Ben Schott. Cours ! Va chercher, vite !


    • Ben Schott 5 mars 2018 11:16

      @Christian Labrune
       

      Je fais de mon mieux pour faire monter ta tension !
       


    • phan 5 mars 2018 17:56

      Maître plus que gentil : il a pris une prune sur la bisse, vieux sionard !


  • phan 5 mars 2018 18:01

    Général Wesley Clark dévoilait le plan des U$ionistes : Ils vont commencer par l’Irak, et puis ils iront en Syrie, au Liban, en Libye, Somalie, au Soudan et en Iran » « 7 pays en 5 ans ! » Pendant 16 ans, tous les résistants à l’Empire ont mis en échec ce plan démoniaque avec le concours de l’Iran.
    L’Iran : une menace qui n’a jamais existé. « Tout ce qui se raconte au sujet de l’Iran est faux. »,
    voir le livre « Manufactured Crisis : the Untold Story of the Iran Nuclear Scare » (Une crise fabriquée de toute pièce / L’histoire jamais racontée de la menace nucléaire iranienne) de Gareth Porter.


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