Victoire du Hamas : et maintenant, on fait quoi ?
L’élection du Hamas vient nous rappeler que la fin de l’état de guerre dans la région n’est pas pour demain. Cependant, la percée du Hamas a le mérite de briser le statu quo, et s’inscrit dans le cadre des bouleversements qui ont lieu au Proche-Orient depuis le 11 septembre.
Au niveau régional, ces résultats vont encourager la Syrie et l’Iran à persister dans leurs politiques de déstabilisation. Les conséquences vont être particulièrement lourdes sur les pays comme le Liban et l’Irak qui tentent de développer leurs fragiles démocraties. Au Liban, les tentatives du gouvernement visant à désarmer les milices palestiniennes vont être renvoyées aux calendes grecques. A moyen terme, la victoire du Hamas éloigne de manière durable toute perspective de règlement du conflit israélo-arabe.
Un vote stérile
Au niveau palestinien, la percée du Hamas confirme la perte de vitesse du Fatah sur la scène politique palestinienne. Il n’est pas clair, à ce stade, d’établir si le Fatah peut être sauvé ou pas. L’essoufflement des idéologies nationalistes dans le monde arabe et la montée en puissance de l’islamisme est une tendance de fond qui a des racines profondes. La corruption, l’autoritarisme et les fiascos économiques ont eu raison des partis dits nationalistes. Que ce soit en Syrie, en Irak, en Algérie ou en Egypte, les idéologies nationalistes issues de la décolonisation sont en train d’agoniser. L’opinion palestinienne vient donc de se mettre en phase avec celle des pays arabes, avec vingt ans de retard.
Le vote des Palestiniens est un défi lancé à Israël, mais aussi au Fatah, dont la corruption et l’incompétence ont fortement contribué à la poussée des islamistes. Le prestige d’Arafat auprès des Palestiniens avait permis de masquer le pourrissement du Fatah pendant un certain temps. Arafat mort, le Fatah implose sous le poids de sa propre corruption. La seule chance pour le Fatah de survivre est de se lancer dans une opération de nettoyage interne, mais il n’est pas certain que le mouvement ait la volonté nécessaire pour purger le parti de ses éléments les plus corrompus.
Le Fatah n’est pas le seul responsable de ce fiasco, Israël a commis une grave erreur en se retirant de Gaza avant les élections. Je ne suis pas opposé au principe des retraits unilatéraux, bien au contraire. Mais le timing et la façon dont Israël s’est retiré ont permis au Hamas de s’approprier cette "victoire". La meilleure décision aurait été de se retirer juste après les élections, en gage de bonne volonté, et de lier le retrait de Gaza au résultat des élections, en application du principe : « la terre contre la paix ».
Il reste que les résultats de cette élection n’arrangent personne, et le Hamas encore moins que les autres. Le Hamas a toujours fait partie de l’opposition, et sa popularité provient du fait qu’il n’a jamais eu à souffrir de l’usure du pouvoir. Lorsqu’on est dans l’opposition, les tentations de céder à la corruption sont rares. La non-participation des islamistes au processus politique lui a permis construire sa popularité sur des promesses creuses et démagogiques, puisque la parole du Hamas n’avait pas à passer l’épreuve de la réalité.
Le problème du Hamas est qu’il doit maintenant se montrer à la hauteur de ses promesses, sous peine de subir le sort du Fatah à plus long terme. Le Hamas est embarrassé par sa propre victoire, car ce parti ne sera pas en mesure de tenir ses propres promesses. Ils ont vendu du vent, ils vont donc récolter la tempête. Comment le Hamas pourrait-il tenir ses engagements électoraux, lorsque :
-Le Hamas ne reconnaît pas Israël et appelle à sa destruction. Il est peu probable que le Hamas change sa position sur cette question. Mais on voit mal comment le Hamas va être en mesure de gérer Gaza et la Cisjordanie sans se mettre en contact avec Israël, dans la mesure où rien ne peut se faire sans l’accord d’Israël. De plus, Olmert a déjà annoncé que son gouvernement ne coopérerait pas avec le Hamas.
-Le Hamas ne dispose pas des compétences nécessaires à l’exercice du pouvoir. C’est un parti de religieux et de jihadistes. C’est peut-être utile pour mener une guerre, mais c’est beaucoup moins pratique quand il s’agit de gérer un peuple.
-Une partie importante du budget de l’AP provient des bailleurs de fonds internationaux (notamment l’UE et les USA, qui considèrent tout deux le Hamas comme une organisation terroriste). Le reste de l’argent provient de taxes reversées par Israël à l’AP.
Les électeurs palestiniens ont donc fait un choix stérile. Le financement de l’AP va être sérieusement affecté par cette élection. Le fait que le Hamas ne puisse pas répondre aux attentes de ses électeurs, que ce soit au niveau politique ou au niveau économique, est sans doute la seule bonne nouvelle de ces élections. Avec le temps, il est donc possible que le Hamas perde une partie de son crédit auprès de l’opinion palestinienne.
Vu les circonstances, il est clair que le Hamas ne pourra pas répondre aux attentes de ses électeurs, que ce soit en matière économique, au sujet des énormes problèmes sociaux ou dans le domaine des infrastructures. Il est possible que le Hamas essaie de fuir ses responsabilités en confiant au Fatah le soin de constituer un gouvernement. A supposer que le Fatah accepte, ce nouveau gouvernement serait de toute façon trop faible et trop illégitime pour peser sur la situation.
La fin de l’internationalisation de la cause palestinienne ?
Les Palestiniens ont toujours considéré que leur principal atout face à Israël était la lutte armée, y compris à travers des actions terroristes. En réalité, leur principal atout était la sympathie qu’il attirait dans la communauté internationale. Pendant des années, la cause palestinienne a été utilisée par diverses organisations politiques de par le monde. Des non-alignés à l’extrême gauche, des nationalistes arabes à José Bové, les Palestiniens n’ont jamais manqué de porte-drapeau. L’élection du Hamas, un parti considéré comme terroriste par la plupart des pays, va fortement entamer ce "capital sympathie". Et ceci au moment où une nouvelle génération de politiciens israéliens est en train de marquer des points dans l’opinion internationale. La marge de manœuvre israélienne est en train de s’élargir, alors que celle des Palestiniens est en train de se dégrader.
J’ai aussi une pensée pour les chrétiens palestiniens. Le Hamas, qui n’avait probablement pas prévu sa victoire, s’était engagé, entre autres, à rétablir la jizya, l’impôt islamique sur les minorités religieuses. En raison de l’émigration massive des chrétiens de Gaza et de Cisjordanie, la question ne touchera pas grand monde. Mais d’un point de vue moral, l’application d’une telle mesure serait catastrophique. Les Palestiniens ont toujours dénoncé leur situation en comparant Israël à l’apartheid d’Afrique du sud, et voilà qu’ils parlent de créer un apartheid religieux à l’encontre de leurs propres compatriotes. Le Hamas va devoir trancher entre appliquer son programme -et être mettre mis au ban de la communauté internationale, ou renoncer à appliquer son programme -et apparaître comme un parti politicien aux promesses creuses.
Conclusion
Pour conclure, je voudrais reprendre un parallèle que Martin Kramer a effectué entre le Hezbollah et le Hamas. Ce sont deux milices religieuses dotées d’une aile politique, qui se sont fait une spécialité de saper des institutions légitimes mais faibles pour leur substituer un Etat parallèle. Ces organisations sont passées expertes dans l’art d’utiliser la démagogie et de dénoncer les abus des systèmes en place. Le problème est qu’on ne peut pas être dans l’opposition et dans le gouvernement, à la fois.
Au Liban, le Hezbollah s’est révélé incapable d’abandonner sa rhétorique révolutionnaire et d’intégrer le système politique. On peut donc espérer qu’il en sera de même pour le Hamas, et que ce parti ne parviendra pas à assumer ses responsabilités. Ces partis ont été conçus pour jouer à la révolution permanente, et non pas pour apporter des solutions réelles à leurs peuples.