vendredi 6 avril 2007 - par Bernard Dugué

Début d’esquisse d’une Figure dans la Net-sphère (II)

Dans une certaine mesure, on se demandera si le Net n’est pas à l’image de ces boîtes aux lettres encombrées de choses insignifiantes, avec ses millions de sites et autres blogs dont seulement une partie nous intéresse de près ou bien mérite d’être considérée comme riche en contenu. Heureusement, la possibilité de choisir les sites visités nous est offerte et la liste des favoris permet de mémoriser les lieux numériques méritant notre clic et notre visite. Ainsi se déroule un subtil jeu d’influence et de concurrence. Chacun tente de se rendre visible. Mais pour quelle finalité ? Diffuser un contenu ou se donner une contenance en se diffusant ?

 

 

Nous sommes récepteurs d’informations, de produits numériques composés d’images et de texte, mais aussi diffuseurs à travers les blogs et autres plates-formes d’édition. De ce fait, nous sommes une partie du système où agit la figure du connecteur. A la fois exprimant le contenu de notre pensée et relayant les expressions d’autres connecteurs. Ainsi se déploie la puissance des connecteurs comme en d’autres temps celle des travailleurs (Jünger) La comparaison s’impose parce que des machines sont « pilotées » par des humains. Mais le type de mobilisation est différent. Le monde des travailleurs est sous l’emprise des machines industrielles transformant le monde par la puissance mécanique, ainsi que la plasticité des matériaux, puissance chimique notamment. Le travailleur opère sur la matière, il est face à son œuvre, parfois ivre de se refléter dans tant de puissance. Le connecteur, bien qu’utilisant une interface matérielle (main, clavier, vue, écran) opère sur un sujet, influence des psychismes, agit sur le cerveau des gens. Et réciproquement.

 

 

Offensive, cible, combat, puissance, mobilisation, front, alliés... toute une terminologie guerrière que Jünger emploie pour camper la Figure du travailleur dans le monde industriel héritée du XIXe siècle et façonné après la rupture de 1914. L’activité du travailleur revêt un style martial. Et c’est dans cette manière d’œuvrer avec détermination que le travailleur s’émancipe, contrairement au bourgeois qui se réfugie dans le calcul économique et se protège en élaborant force transaction lui permettant de se défiler face à l’appel du destin de la puissance.

 

On se demandera alors si ces notions martiales ne s’appliquent pas à la sphère des connecteurs. Et si en fin de compte, l’idée de la force pronétarienne émise par Rosnay et Revelli ne renvoie pas directement à une conception martiale de l’activisme numérique alors que la puissance des « Blogchéviks » se comprend comme puissance intellective du collectif et que l’influence sur la société constitue un nouvel aspect du destin lancé aux connecteurs, ces travailleurs d’un nouveau genre, assis devant leur écran et livrant leur force mentale afin de créer de « bonnes influences », créatives et émancipatrices. Pas de nouveaux maîtres qui commandent aux travailleurs comme à l’époque de Jünger en 1930, pas de hiérarchie, tout le monde à égalité, bien que quelques-uns se soient proclamés sans le crier membres des influenceurs de première catégorie, mythe créé dans la Net-sphère et relayé par les médias conventionnels. Ils influencent qui et quoi ? Un nombre de visites ne prouve pas qu’on a exercé un impact sur les lecteurs. Au vu des contenus de certains blogs fréquentés, on est plus proche du message publicitaire que du livre initiatique.

 

 

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La mobilisation planétaire du travailleur n’a pas cessé. Elle s’est même amplifiée ; avec des formes différentes selon le lieu. En France, un record de vitesse sur rail vient d’être établi, sous les applaudissements des ingénieurs, des techniciens et des fans de puissance mécanique et médiatique. L’exploit. En arrière-fond, l’exploitation, ou l’arraisonnement ou l’emprise. Quelques paysans près de la ligne de chemin de fer ont snobé l’événement. Juste un train ordinaire, ont-il déclaré aux médias. Touche d’exotisme social ici mais drame au Bengale où se déroule un conflit pour l’appropriation des terrains par l’industrie et la classe des travailleurs face à celle des paysans.

 

 

A ces antiennes de la lutte des catégories sociales, se superpose la mobilisation planétaire du connecteur. Contrairement à ce que pressentait Jünger, le travailleur (investi des puissances élémentaires) n’a pas aboli le règne du bourgeois mais les hommes se sont transformés, mécanisés, accommodés à la technique, toutes catégories incluses. Les sociétés occidentales ont trouvé, malgré d’énormes tensions et crises, un équilibre, un partage, façonnant un biotope ajusté au mode d’existence des hommes de la technique. Chacun réagit et se dirige différemment face à la technique. Ce principe vaut encore plus pour les connecteurs, dont on pressent qu’ils se différencient de la Figure du travailleur et du nouveaubourgeois, mais il n’y a pas qu’une seule Figure du connecteur.

 

La technologie numérique semble jouer sur l’âme, le sujet, l’intellect. Il se pourrait même que le connecteur n’existe pas en tant que Figure mais comme fragment d’humain amalgamé à la machine, autrement dit, un cerveau naturel connecté à un écran et d’autres cerveaux. Un cerveau capable de traiter les textes et les images. Si on laisse de côté le volet économique, le connecteur se positionne en relais ou en source. S’il est source, il influence en diffusant un contenu qui lui est propre, enfin, disons personnel, servant des idées ou bien sa propre image. En général, les deux sont entremêlés et nul ne peut échapper au devenir-image que produit la Toile. Cette image étant essentiellement véhiculée par le texte. D’où parfois une hyperréactivité face à quelques écrits percutants pouvant entamer l’image des intéressés.

 

 

Et donc, à suivre...

 

 



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