France 2, la campagne et l’Europe
Les médias continuent insidieusement de marteler leur discours déligitimant le « non » de la France et des Pays-Bas au projet de constitution européenne. Analyse d’un JT.

Mardi 20 mars, le JT présenté par David Pujadas donne la parole à deux candidats à la présidentielle.
- 20 h 09 : Gérard Schivardi et 20 h 11 : Philippe de Villiers ; à la suite l’un de l’autre (ce point est important). Schivardi soutient que "cette Europe-là" condamne des viticulteurs -devenus suicidaires dans son exemple- puis l’autre candidat argue que si la France a perdu de sa superbe auprès des conseils européens depuis le référendum du 29 mai 2005, c’est "la preuve que l’Europe est totalitaire dans son fonctionnement".
Or, juste à la suite de ces deux exemples, dont chacun aura bien remarqué qu’ils représentaient la voix de l’extrême, gauche pour Schivardi et droite pour de Villiers, France 2 tirait de sa botte un magnifique reportage en forme de liqueur pour faire passer le plat de résistance. 20 h 13, une jolie jeune femme d’origine sicilienne, Antonella, francophone, habite la Belgique avec ses deux petits frères néerlandophones, traverse en voiture une frontière invisible pour suivre ses cours (devinez où ?) à Sciences Po Lille, revenant d’une année de stage à Dublin où elle a fait des progrès en anglais. Symbolique et bienveillant, mais peu probant.
Alors on se disait : "Ah ! c’est certainement grâce à l’Union européenne et à son programme Erasmus. D’ailleurs le pauvre Erasme lui-même n’a jamais pu voyager à travers les universités d’Europe, à son époque, les frontières devaient être fermées, n’est-ce pas ? On devait vivre dans un monde clos... Heureusement maintenant , y’a l’Europe" (disent en choeur les salariés d’Airbus).
Tiens, l’Université de Montpellier, dès le XIIIe siècle, ne formait pas ses docteurs venus de toute l’Europe, et Bologne avec elle ? Et notre bon Rabelais vivait donc dans un monde clos, pour parler le latin ? "Se sentir européen", comme disait une jeune étudiante allemande, signifie-t-il acquiescer du chef à la construction et à l’orientation actuelle de l’Europe ?
Ainsi, les téléspectateurs l’auront bien compris : l’ordre des sujets a son importance. Auriez-vous imaginé un JT monté dans l’ordre inverse : les étudiants européens béats, puis Schivardi, et enfin de Villiers ? Certainement pas.
Faudrait-il suggérer à France 2, s’il fallait utiliser des ficelles pour invalider le discours eurocritique qui a pris force de loi en France et aux Pays-Bas par la voix de ses peuples, qu’il faudrait donc le faire plus astucieusement ? Certes, rien dans le reportage ne dénonçait le non français, mais c’est dans l’organisation même du journal qu’il y a un message quasi subliminal, qui ne nous a pas échappé. Je trouve choquant qu’une chaîne de service public, dont les ressources proviennent de la taxation de la majorité des Français, ne fasse pas au moins semblant de respecter la vox populi.
D’ailleurs, ce n’est pas nouveau. Cette chaîne -du service public- nous a habitués à faire la part belle à ceux qui n’ont pas la légitimité démocratique, comme je l’exprimais le 30 mai 2005 sur mon blog car de source proche et sûre, les porteurs d’un non de progrès et de propositions comme le président d’ATTAC Jacques Nikonoff, Georges Sarre du Mouvement républicain et citoyen, Patrick Braouezec du Parti communiste, invités par France 2 sur le plateau d’Arlette Chabot (directrice du service politique de la rédaction) n’y ont jamais paru, confinés jusqu’à 23 h 30 dans le couloir de la chaîne, pendant que ceux qui avaient appelé à voter oui s’échinaient à culpabiliser les Français. Leurs uniques représentants ce soir-là, une fois n’est pas coutume, étaient Laguiller et de Villiers.
On l’a vu ce soir encore, la même technique est à l’oeuvre. Amalgamer les extrêmes, et donner le dernier mot à ceux qui auraient voulu une Europe telle que décrite dans le projet constitutionnalisant. La technique est rôdée. Leur plus belle incarnation qui cache la forêt, les jeunes, les étudiants, symboles de futur et de liberté.
Voilà, à travers ce JT du 20 mars 2007, comment des journaux télévisés de service public, reprenant à leur compte les plus vieilles méthodes de la propagande soviétique, tentent de délégitimer peu à peu la décision des Pays-Bas et de la France de continuer à avancer avec cette Europe-là faite de fiascos industriels, d’aréopages d’experts dogmatiques arc-boutés sur leur modèle économique, de lobbies financiers, de députés bâillonnés ne disposant que d’une minute de temps de parole.
France 2, et nombre de médias français, de radio, de presse écrite, nous montrent comment ils sont à la botte du pouvoir, en ignorant les questions qui dérangent, en utilisant la culpabilité même, pour ne pas prendre acte du formidable débat d’opinions qui a surgi en France et qui a éclairé nombre de ses citoyens sur les fonctionnements a-démocratiques de l’Europe, rêvée par un certain M. Monnet.
De quoi donner raison aux arguments... des extrêmes, précisément.