jeudi 2 février 2012 - par Jonathan Moadab

L’impossibilité du compromis - La science au service d’intérêts privés : les entretiens sociologiques (5)

Les études de consommateurs s’inspirent très largement des savoirs des sciences humaines comme la sociologie, la sémiologie, la psychanalyse ou encore les neurosciences et les sciences cognitives. Ces savoirs, nés de la sphère universitaire et donc non empreints de but lucratifs, ont peu à peu imprégné le secteur privé, et furent mis au service du profit. Le grand pionnier de ces études et de la mise au point des focus groups n’est autre que Paul Lazarsfeld, l’auteur du « Two step flow of communications  ». En effet, le contexte des Trente glorieuses et de la montée de la société de communication était favorable au marketing, présent pour accompagner et guider cette consommation.

« Consommateur, je veux te comprendre pour mieux te satisfaire ! » se justifient ceux qui commandent ces études. Il n’en est rien. Cette posture hypocrite ne résiste pas un instant à une réflexion rationnelle sur qui bénéficie de quoi dans l’échange qui a lieu entre les parties. Si le sujet étudié n’est gratifié que d’un modeste chèque, le commanditaire récolte de précieuses informations qui influenceront peut être les décisions marketing stratégiques de grandes entreprises afin d’augmenter leurs profits dans des proportions sans commune mesure avec le dédommagement consenti pour l’étude.

Nous aborderons donc trois types d’études de consommateurs, l’une basée sur des entretiens sociologiques, une autre sur la sémiotique, et enfin une dernière concernant le neuromarketing. Bien que n’ayant pas été confronté à ce type d’étude, il me semble important d’en parler au vu des dangers pour le citoyen que réservent ces pratiques 

A) Les interviews de consommateurs

Objectifs :

La stratégie du client est d’augmenter ses profits en conquérant de nouveaux marchés. Pour l’agence, il s’agit d’investiguer sur les aspirations des cibles afin de comprendre quels leviers utiliser, ainsi que de tester les différentes hypothèses. Le fruit de ce travail servira de note stratégique pour l’entreprise.

Méthodologie :

Entre sociologie, psychanalyse et statistiques, les interviews sont menées au prisme d’une multitude de sciences. Les exercices peuvent être très variés. Ils visent à stimuler la mémoire, l’imagination, et la perception du sujet, afin qu’il n’ait plus aucun secret pour nous.

Le screener :

Toute bonne étude doit être précédée de l’établissement d’un bon screener.  Ce document qui servira à sélectionner les sujets au prisme des objectifs de l’étude, établira les cibles les plus pertinentes pour y répondre afin d’affirmer, ou d’infirmer, les hypothèses formulées avant enquête. Pour constituer l’échantillon, de nombreux critères peuvent entrer en jeu, des plus classiques (âge, sexe, enfant, profession…) aux plus pointus (habitudes de consommation, lieux d’achat, capacité d’expression…).

Si le screener est établit en concertation entre l’institut d’études et le client, la constitution des échantillons est sous-traitée par un cabinet. Les recrutements étaient effectués à partir de fichiers de volontaires contactés par téléphone. Cela induit quelques limites : les individus peuvent mentir (afin de correspondre aux critères de l’étude et être rémunérés, certains sont prêts à répondre à peu près n’importe quoi), ou peuvent mécomprendre certaines questions et ainsi ne pas correspondre aux critères attendus.

D’autres biais sont induis par le manque de professionnalisme de certains cabinets, qui, loin de toujours respecter leurs engagements (envoyer les fichiers 48h ouvrés à l’avance) empêche le bon déroulement de la vérification des screeners, et amène parfois à avoir des profils inadéquats. Il est nécessaire d’avoir une marge de manœuvre suffisamment large pour permettre de gérer des situations de crise (mauvaise formulation des items, erreur dans le profilage…) de façon sereine.

Le guide d’entretien

Documenté élaboré conjointement par le chargé d’étude, le senior et le client, le guide d’entretien rythmera et guidera les relations avec l’interviewé. La trame et les exercices proposés ont pour but d’éclairer les pratiques et les perceptions des sujets sur les problématiques étudiées. Ce document a surtout une valeur indicative, l’essentiel étant d’obtenir les informations fondamentales de l’étude. Ainsi, la formulation, l’ordre des questions ainsi que la nature des exercices peuvent être modifiées selon les réactions de l’interviewé et le déroulé de l’entretien.

En voici les principales parties :

- Présentation du sujet de l’interview  : âge, passions, ses goûts concernant le sujet traité (exemple : en alimentaire, ce qu’il adore/déteste), ses passions. Cela a pour but d’établir un premier contact et de mettre en confiance son interlocuteur.

- La chauffe  : on aborde de façon plus générale le sujet, on stimule l’imagination.

Exemple :
Si je vous dit Fantasy, cela vous fait penser à…

On attend des ressentis, des adjectifs, qui permettront de saisir les associations et les images produites spontanément par l’esprit du consommateur. Une bonne chauffe est indispensable pour obtenir le meilleur de la part de son interlocuteur. Cela permet d’aborder le sujet de façon progressive. Cette phase indiquera aussi les capacités du sujet à intellectualiser son ressenti. 

- Perception spontanée du produit testé  : Ici, on travaille autour du produit (sans le visualiser). On cherche à comprendre comment celui-ci est perçu, consommé, utilisé, acheté, partagé, dans quelles circonstances etc.

Présentation du produit  : On cherche à comprendre le ressenti, la différence entre l’image perçue et l’image vécue. On effectue aussi une exploration prospective de l’objet pour anticiper des comportements de consommation.

Test des différentes hypothèses  : Ici, on cherche à voir si les hypothèses se vérifient bien avec les différentes cibles, et si une hypothèse (ou insight) se détache du lot.

La réaction au prix  : S’il s’agit d’un bien de consommation, ce point est crucial. En effet, le but de la publicité est de faire accepter un prix élevé en échange d’une garantie de « qualité ». Avec une mauvaise image, une grande marque qui vend des produits de qualité moyenne n’arriverait jamais à vendre autant de produits. Ainsi, il est nécessaire de s’implanter suffisamment dans le subconscient du consommateur pour que l’univers imaginaire de la marque supplante la rationalité de la cible et le mène à acheter le produit. Le manque de choix et d’alternatives donne le monopole de l’image aux grandes enseignes, qui ont les moyens de séduire la population, sans pour autant avoir des produits exceptionnels. 

De l’attitude en entretien  :

L’interviewer doit se comporter en scientifique et être le plus rigoureux et objectif possible. Ne rien suggérer, ne rien laisser transparaître, si ce n’est une cordialité et une attention particulière aux dires du sujet. En effet, chaque fois que l’interviewer sort de son rôle, il met en péril la scientificité de l’étude.

Analyses et conclusions  :

La mise en commun du savoir et des interprétations des différents chargés d’études est la phase finale de l’étude, où l’on analyse les profils dans leur ensemble. Il ne s’agit alors même plus de consommateurs, mais de simples cibles ou caractéristiques qu’il faut classer, répertorier, analyser… C’est ici que l’on répond aux hypothèses de départ, avant d’en faire part au client dans un rapport détaillé et sourcé.

Dans le prochain épisode, nous nous intéresserons à la manière dont les codes publicitaires sont exploités... 

Bien à vous,

Jonathan Moadab
La Gazette d'un Humaniste



4 réactions


  • Jonathan Moadab L’Incorruptible 2 février 2012 12:12

    Si ceux qui votent « non » peuvent expliquer... Je vais peut être retravailler cette série d’article pour en faire un petit bouquin. 


  • non667 2 février 2012 22:32

    à l’incorruptible
    3- sur 9
    3 qui croient que c’est vrai parce qu’ils l’ont vu à la télé ! dans la pub ! smiley smiley smiley
    ne faites pas un livre pour eux  ! essayez des B.D. !


  • Aldous Aldous 3 février 2012 10:00

    @ l’incorruptible.

    Je viens de voter non pour pouvoir vous répondre et vous l’expliquer.

    Ca vous va comme explication ? smiley

    C’est pour rendre service.


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