jeudi 29 septembre 2022 - par Sylvain Rakotoarison

La boulimie Jean-Pierre Elkabbach

« Quand je m'enfermais pour téléphoner à ma femme, on croyait que j'appelais Giscard ! » (février 1982).

Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach fête son 85e anniversaire ce jeudi 29 septembre 2022. Pied noir (il est né à Oran), Jean-Pierre Elkabbach fait partie de ces journalistes très connus qu'on pourrait qualifier d'insubmersibles, au moins doublement pour lui, d'un point de vue politique car il a traversé toute la Cinquième République et d'un point de vue de la santé, puisqu'il a toujours refusé de prendre sa retraite.

Beaucoup l'ont critiqué pour ses allégeances avec le pouvoir politique en place et c'est d'ailleurs très étonnant puisque, effectivement, très typé "giscardien" en 1981 (il était le directeur de l'information d'Antenne 2), il représentait, lors de la victoire de François Mitterrand, le symbole d'un audiovisuel renversé. Et pourtant, il a su rebondir très rapidement jusqu'au point de devenir l'un des confidents de François Mitterrand et celui qui l'a interviewé lors du pire moment du double septennat du leader socialiste, quand il était presque à l'agonie de sa maladie, fustigé par son passé et ses amitiés sous Vichy, et déconsidéré par la révélation d'une double vie familiale.

Cette interview présidentielle diffusée en direct sur France 2 le soir du 12 septembre 1994 a été sans doute l'un des sommets du professionnalisme de Jean-Pierre Elkabbach : « la conversation la plus douloureuse et la plus bouleversante de ma vie ! » (8 mai 2022, sur LCP). Car oui, on peut dire effectivement que ce journaliste a toujours été du côté du pouvoir, giscardien sous Valéry Giscard d'Estaing, balladurien sous Édouard Balladur (il a publié avec le Premier Ministre d'alors un livre interview), sarkozyste sous Nicolas Sarkozy (entre autres), mais il n'aurait pas autant "réussi" sa carrière s'il n'avait été que "cela".





Présentateur du journal télévisé sur TF1 puis Antenne 2 entre 1970 et 1974, Jean-Pierre Elkabbach est d'abord un professionnel du journalisme, et son professionnalisme a largement montré ses qualités, en particulier, d'intervieweur, un peu à la mode socratique, comme s'il cherchait à faire accoucher ses invités. S'il a conquis la télévision et la radio, c'est aussi grâce à sa voix très distincte, une diction, un ton très agréable (et nécessaire à la radio, il n'y a que la voix comme mode de transmission).

Alors, on peut citer effectivement les très nombreuses interviews qu'il a menées depuis le début de sa carrière, du moins les émissions les plus célèbres. La plus célèbre est "Cartes sur table", l'émission politique d'Antenne 2 entre 1977 et 1981, en collaboration avec Alain Duhamel, cette émission fut très importante pour la vie politique et a pris sa part de célébrité grâce à Thierry Le Luron qui faisait dire à Georges Marchais : Taisez-vous Elkabbach !





Une autre émission très intéressante était l'émission "Découvertes" diffusée en direct sur la radio Europe 1 tous les jours à 18 heures, entre 1981 et 1987 (son rebondissement après son bannissement bref de l'audiovisuel public). Il disposait d'une heure pas pour parler d'actualité mais pour parler de son invité, de ses motivations, de sa trajectoire, et une heure, c'était beaucoup, cela permettait d'aller au fond des choses, l'invité pouvait s'expliquait pleinement, dans sa complexité, hors de tout slogan (évidemment, il y avait beaucoup d'invités politiques).



Pendant très longtemps, Jean-Pierre Elkabbach a assuré également l'interview quotidien de la matinale sur Europe 1, également animé l'émission politique dominicale (le "Club de la Presse" puis le "Rendez-vous"). Il a aussi assuré pendant quelques années l'interview politique de CNews.

Autre émission très importante de Jean-Pierre Elkabbach, "Bibliothèque Médicis" diffusée de 2001 à 2017 sur Public Sénat, enregistrée dans le cadre très culturel de la très historique bibliothèque du Sénat. Le journaliste invitait alors quatre personnalités qui avaient publié un ouvrage récemment et les faisait débattre sur un thème particulier, pas forcément politique. Si on pouvait s'agacer que Jean-Pierre Elkabbach coupait la parole souvent alors que ses interlocuteurs disaient quelque chose d'intéressant, le choix des invités, le thème choisi, très en dehors des modes et de l'air du temps, permettaient de connaître de nouveaux écrivains, de nouveaux sujets, plus confidentiels ; bref, on apprenait en culture avec cette émission même si le journaliste, trop imbu de lui-même, prenait un peu trop de place et ne s'effaçait pas assez derrière ses honorables invités.

L'émission a d'ailleurs cessé à partir du moment où, toujours boulimique de travail, Jean-Pierre Elkabbach commençait son interview sur CNews, entre 2017 et 2019, en concurrence avec la matinale de la chaîne parlementaire !

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Et la boulimie ne s'est jamais arrêtée là : car en dehors du journaliste professionnel, Jean-Pierre Elkabbach a aussi poursuivi une véritable carrière de manager de l'information, de patron de médias, ce que n'a jamais voulu par exemple son compère Alain Duhamel. Ainsi, il a été rédacteur en chef de France Inter en 1975, très influent directeur de l'information d'Antenne 2 entre 1977 et 1981, directeur général adjoint d'Europe 1 en 1988, conseiller auprès du patron de la nouvelle chaîne La Cinq en 1990, et la consécration fut sans doute d'avoir été élu président de France Télévisions en décembre 1993. Il a néanmoins dû démissionner en 1996 après un rejet des journalistes, plombé qu'il était par l'affaire dite des productions qui coûtaient beaucoup trop cher au contribuable français : les émissions de Jean-Luc Delarue, Naguy et Arthur furent dans le collimateur, les animateurs étant également les producteurs.

Qu'importe, il a rebondi justement à Public Sénat dont il est devenu président de 1999 à 2009, parallèlement à ses responsabilités sur Europe 1 dont il est devenu directeur général de l'antenne puis président de 2005 à 2008, également rattrapé par une contestation de la rédaction sur ses méthodes. Journaliste du groupe Lagardère, Jean-Pierre Elkabbach a donc eu à la fois la liberté du journaliste (faire ses émissions, concept, animation, durablement) et le pouvoir, mais ce côté-ci de sa carrière ne semble pas avoir été probant, avec cette question habituelle : un journaliste peut-il être un bon patron de médias ? La question se pose pour tous les cœurs de métier (comme : les médecins sont-ils les meilleurs patrons d'hôpitaux ?).

Le fait de vouloir être partout à la fois a pu agacer plus d'un confrère et, par exemple, Michèle Cotta, de retour de la Présidence de la Haute Autorité de l'audiovisuel en 1986 (et ancienne patronne de Radio France) a raconté à quel point elle avait été très mal accueillie par Jean-Pierre Elkabbach quand elle a été recrutée par Europe 1 pour reprendre sa vie de journaliste politique, au point d'avoir été humiliée avec un contrat qui imposait trois mois de période d'essai, elle, la journaliste confirmée, ce qui généralement ne se faisait jamais dans ce milieu.

Homme de l'audiovisuel, Jean-Pierre Elkabbach n'a publié que deux ouvrages, et encore, en collaboration avec son épouse, l'écrivaine Nicole Avril. On peut donc s'étonner qu'il n'ait pas sorti plus d'essais, soit sur la politique en général (cinquante ans de vie politique), soit sur ses responsabilités à la tête de chaînes de télévision ou de radio, soit encore sur certains sujets issus de ses très intéressantes discussions de "Bibliothèque Médicis". Mais effectivement, on ne peut pas tout faire dans une seule vie...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2022)

http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean-Pierre Elkabbach.
Patrick Poivre d’Arvor.
Nicolas Hulot.

Ci-gît la redevance à la papa.
Daria Douguina.
Michel Drucker.
Michèle Cotta.
Ivan Levaï.
Jacqueline Baudrier.
La déplorable attention du journalisme à sa grande dame.
Aider les chrétiens d’Orient.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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9 réactions


  • adeline 29 septembre 2022 17:58

    Donc il a mourrut ?


    • Clocel Clocel 29 septembre 2022 18:07

      @adeline

      Hélas, non...


    • adeline 29 septembre 2022 18:20

      @Clocel
      Hélas, bientôt bernard geta ?


    • Clocel Clocel 29 septembre 2022 18:47

      @adeline

      Aphatie ? On se prend à rêver... Parfois...


    • adeline 29 septembre 2022 18:57

      @Clocel
      oui ou Alain Delon ? ou Line Renaut ?


    • Fanny 2 octobre 2022 14:04

      @voxa
      Mesquin, fourbe, lèche-cul, menteur, profiteur, lâche, veule ... Les mots me manquent.

      Il faut en effet cultiver toutes ces qualités pour faire un journaliste mainstream durable.

      Mais il en faut bien d’autres pour faire un journaliste exceptionnel comme Elkabbach : compétence, finesse d’esprit, passion du métier. Avec Duhamel, leur longévité n’est pas due au hasard. Je placerais ELK un peu au dessus de DUH.

      Une autre raison de leur longévité : les jeunes sont un peu cons, ils ne savent plus naviguer entre les gouttes, faire du journalisme malgré la lourde contrainte de la doxa qui pèse sur la langue. L’époque il est vrai est plus dure, pour survivre faut être un bovin, sinon vous êtes éjecté sans préavis.

      Dans un contexte de montée d’un « totalitarisme néo-libéral » en France, le modèle d’un jeune journaliste devrait être Ehrenbourg, célèbre journaliste soviétique au parcours extraordinaire (l’époque était extraordinaire) : il a survécu à Staline tout en gardant une certaine indépendance.

      Malheureusement, le modèle est aujourd’hui Apathie, misère de misère, emblématique de l’état de notre pays.


  • chat maigre chat maigre 30 septembre 2022 08:26

    Rako aime les sucettes

    les sucettes à l’anu  smiley


  • georges94 30 septembre 2022 19:10

    Je me souviens que Georges Marchais l’avait suurnommé Elkabot


  • https://twitter.com/Actu43_fr/status/1576027798556262400

    Police des Tº pour les 19°c Max : Vidéo de Me Di Vizio : on y apprend selon ses dires que le décret original date du 30 juin 2021 donc bien avant la guerre en Ukraine (1500 euros d’amende et 3000 si récidive)

    vidéo ici (30 mn) : https://youtu.be/2HxSAFP7rlQ


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