lundi 30 novembre 2020 - par C’est Nabum

La nécrologie spectacle

Une société morbide.

Un personnage célèbre vient de mourir et il est impossible d’échapper alors au torrent d’hommages, de témoignages et de commentaires qui vampirisent totalement l’espace public. Même sur les réseaux sociaux, chacun y va de son commentaire ajoutant à la profusion, donnant la nausée à ceux qui cherchent à comprendre ce qui attire ainsi nos contemporains dans l’exposition du lacrymal pour des individus qui ne nous sont pas des proches.

Est-ce justement pour compenser notre terrible défaillance dans l’accompagnement d’un intime quand celui-ci vient à disparaître ? Je constate que le rituel de départ dans notre cercle restreint est de plus en plus galvaudé, abandonné même, quand une crémation est expédiée parce qu’une autre attend ou bien simplement délégué à un diacre ou dans le meilleur des cas à un prêtre qui ne connaît rien de la vie du défunt.

Nous avons perdu le sens non pas du sacré mais du solennel quand il s’agit des proches. Le chagrin demeure sans que pour autant notre société ait trouvé manière de témoigner, de rendre hommage, d’accompagner le dernier voyage d’une personne ordinaire. C’est alors une cérémonie au lance pierre, quelques mots parfois et souvent des propos lénifiants sur Dieu et la grande espérance que fait naître l’idée de résurrection.

Tout au contraire, le théâtre médiatique s’emballe véritablement jusqu’à la plus totale déraison pour encenser, raconter, élever au rang d’idole sacrée, la vedette ou le notable qui quitte la scène. Tout l’arsenal du rouleau compresseur se met en branle pour que personne n’échappe à sa petite larme. Il appartient alors d’exprimer de la compassion, de la tristesse, des souvenirs pour une personnalité lointaine, évanescente même quand nous sommes incapables de le faire publiquement pour un proche.

C’est à croire qu’il n’y a de deuil que pour ceux qui tirent les ficelles de la gloire. L’individu ordinaire est évacué de cette perspective, renvoyé au néant sans ménagement tandis que la grande pompe est réservée aux puissants, aux importants, aux célèbres. Le Président se fend d’un message grandiloquent, les amis viennent verser une larme sur les plateaux de télévision pour nous faire entrer dans cette injonction à une peine planétaire.

Des millions de gens meurent dans l’indifférence générale mais un seul sort de la piste sous les larmoyants commentaires de nos semblables qui désormais ne vivent plus que par procuration. C’est morbide certes mais plus encore c’est révélateur d’une société entièrement vouée à un spectacle universel qui a aboli tous les spectateurs de second rôle que nous sommes devenus.

Il me semble que ce phénomène en dit long de notre faillite morale, de la terrible dégradation de notre conception du monde et de l’existence. Nous, les moins que rien, les anonymes, les gueux, la plèbe, nous sommes gommés, effacés d’une simple rubrique nécrologique dans le journal local tandis que d’autres, font la une, tirent le linceul à eux et font couler des torrents de propos dégoulinant de bonne conscience.

Je ne suis pas à même d’expliquer les ressorts d’un tel basculement si ce n’est qu’à dire mon inquiétude devant ce phénomène qui ne cesse de s’amplifier de défunt notoire en dépouille illustre avec même ces merveilleux suppléments au programme que constituent les dates anniversaires constituées de multiples de dix.

Tout ceci contribue naturellement à notre abrutissement, notre asservissement à un système qui fait de nous de simples pions assignés à l’admiration dévote et obligatoire de quelques pièces maîtresses. Nous survivons par délégation puis nous mourrons dans l'indifférence la plus totale.

Nécrologiquement vôtre.



20 réactions


  • juluch juluch 30 novembre 2020 12:26

    Vous ne parlez de Dominici là...

    Mais de la main de dieu.....effectivement à croire qu’il a sauvé le mode.


  • McGurk McGurk 30 novembre 2020 12:52

    Des millions de gens meurent dans l’indifférence générale mais un seul sort de la piste sous les larmoyants commentaires de nos semblables qui désormais ne vivent plus que par procuration.

    C’est parfaitement exact.

    Le même cirque s’est produit avec Johnny et, pendant six mois, on a eu des déluges d’articles, d’hommages, de chansons, manifestations et émissions télé.

    Impossible d’y échapper, de pouvoir faire taire ce cortège de voix pour ceux ne lui vouant pas un culte. A tel point que la presse créait de toute pièce des articles afin d’occuper ses journées : Johnny pourquoi son cercueil est-il blanc, Johnny que va devenir son chien, etc et je n’exagère même pas leur titre...

    On retrouve la même chose avec ce maudit virus : on se préoccupe du nombre de morts et on s’en apitoie alors que des centaines de personnes meurent chaque année de maladies diverses, les personnes âgées sont maintenant au centre des choses bien qu’avant tout le monde s’en moquait.

    Mais votre exemple n’est qu’un parmi tant d’autres. Effectivement, beaucoup de Français préfèrent s’abrutir avec les matchs de foot et le fanatisme qui va avec plutôt que de réfléchir, s’informer correctement et participer à la création d’un meilleur avenir car ils ont, par flemme, délégué ça au monde politique.

    Je ne suis pas à même d’expliquer les ressorts d’un tel basculement si ce n’est qu’à dire mon inquiétude devant ce phénomène qui ne cesse de s’amplifier

    Plusieurs permettent de très bien le faire.

    Une société qui n’a plus de repères ni de garde-fous (l’Etat entre autres), la propagande gouvernementale de la peur, l’absence d’avenir, etc.

    Les causes sont nombreuses mais celle régnant en ce moment est bien la peur viscérale du virus entretenue par les fausses statistiques, les messages alarmants et bien d’autres choses encore.

    C’est le cerveau primitif (appelé « reptilien ») qui domine car l’individu est en mode survie, ce qui signifie que la pensée rationnelle est court-circuitée pour laisser place à une action basique. La même chose se produit lorsqu’on a un réflexe (ex : lorsqu’on va tomber).

    Nous survivons par délégation puis nous mourrons dans l’indifférence la plus totale.

    Pour la majorité d’entre nous, l’avenir n’existe plus et seul le plaisir immédiat reste. En l’absence de perspective (à tout niveau) n’incite personne à réagir et, comme le monde politique et économique est corrompu, il est impossible de changer la donne ou de demander des comptes.


    • C'est Nabum C’est Nabum 30 novembre 2020 15:26

      @McGurk

      Dans ces cas là, il n’est rien à faire ni rien à dire

      Tout est bien dans le pire des mondes 


    • McGurk McGurk 1er décembre 2020 11:46

      @C’est Nabum

      Si justement, tout reste à faire.

      Retour à la démocratie et rééquilibrage social, retour au fragile équilibre entreprises/salariés, remettre le système des retraites et de sécurité sociale, etc.

      Sans parler de la reconstruction du monde politique, des idéologies principales (à assainir pour certaines) à l’exclusion du libéralisme (à la base de tous nos maux), de l’instauration d’un comité citoyen de surveillance avec la capacité d’invalider leurs décisions et sanctionner sévèrement politiques et partis.


  • Adèle Coupechoux 30 novembre 2020 15:13

    Belle analyse que je partage entièrement ! Cela ne concerne pas que la mort, la vie aussi.


  • mosel 30 novembre 2020 18:08

    bien vu aucun commentaire sur les mort(es) au rivotril dans les ephad


  • ETTORE ETTORE 30 novembre 2020 19:08

    Bonsoir Nabum

    C’est une politique de super marché

    On mets en tête de gondole certains articles, une forme de promotion appuyée.

    Les autres sont toujours suspendus dans leurs rayons, mais moins chatouillées des mains et du regard.....

    C’est vrai c’est devenu la façon lamentable, de faire avec le vivant et avec les morts.

    « UN » au pinacle, est devenu synonyme de normalité, c’est comme ça, et si vous le réfutez, vous devenez ....insignifiant .

    VOTRE VIE, n’est plus celle qui vous appartient. Un trucage inédit l’a fait disparaitre des aspirations privées, pour la rendre tributaire d’un modèle unique.

    Une mélasse dont on voit bien la consistance, un genre de « blob » qui avance avec les mêmes pancartes, avec les mêmes stimuli....Mais sans cerveau.


  • bestof32 bestof32 1er décembre 2020 10:21

    « Il est toujours joli, le temps passé
    Un’ fois qu’ils ont cassé leur pipe
    On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
    Les morts sont tous des braves types »

    Georges Brassens


  • zygzornifle zygzornifle 1er décembre 2020 11:06

    Un mort par jour sur les chantiers de BTP et un accident tout les 5 mn, on s’en tape c’est des ouvriers .....


  • zygzornifle zygzornifle 1er décembre 2020 11:09

    Un personnage célèbre vient de mourir et il est impossible d’échapper alors au torrent d’hommages .

    C’est comme le procès Daval on a eut droit a un tsunami merdiatique, tout les journalopes y allaient de leurs commentaires tous aussi débiles les un que les autres, c’est pire qu’un acharnement thérapeutique, a en gerber ..... 


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