mardi 8 septembre 2009 - par Christian Aubry

La “refonte” de Libé : un rituel primitif sans intérêt

Ce matin, j’ai été interpellé par un gazouilli que Jeff Mignon venait de publier sur Twitter et sur Facebook : “Quel journal redesigné (seulement) a vu ses revenus augmenter ? C’est bien que Libé ait de l’argent pour faire de la déco.” Je venais tout juste de lire mes courriels. La newsletter quotidienne de Libération pointait en effet vers un document PDF de deux pages au lieu de la traditionnelle page Web attendue.

Ce choix de format, lourd et inutile dans le contexte de cette nouvelle, n’est pas anodin. En parcourant le dépliant auto-publicitaire, j’ai été sidéré. Voici, pour mémoire, les commentaires que j’ai renvoyés à Jeff par l’entremise de son profil Facebook :

Nuba - body painting by Rita Willaert - Licence Creative Commons BY/NC/SA

  1. C’est complètement ridicule. Je n’en reviens pas que la refonte Internet n’occupe qu’1/12e de page dans leur autopub PDF.
  2. On ne parle que de redesign graphique et éditorial. On introduit des abonnements payants qui ne donneront qu’une valeur ajoutée cosmétique aux abonnés — voir les articles au moment où ils sont envoyés à l’imprimerie, quelle belle affaire !
  3. Il n’y a là aucune vison de la valeur ajoutée d’Internet, de l’hypertexte, de la profondeur de l’info et des sources, enfin, qui restent encore inaccessibles, inviolées.

Au final, je crois qu’il ne faut pas chercher à comprendre cette nouvelle de façon rationnelle. Il faut au contraire l’interpréter de façon anthropologique, en intégrant la dimension irrationnelle qui justifie, même de nos jours, bien des prises de décisions humaines aux conséquences catastrophiques.

Plutôt que d’introduire dans sa refonte les concepts novateurs requis par le passage inévitable d’une économie matérielle à une économie immatérielle ; plutôt que de se concentrer sur la valeur tangible de son produit, la valeur ajoutée offerte à ses clients et la logique profonde d’Internet et des médias sociaux, qui reconfigurent inexorablement nos besoins et nos habitudes de consommation de l’information, la direction de Libération a choisi de faire du bruit… avec rien. Elle a choisi le cosmétique, le rituel magique, l’incantation religieuse.

Quand le ciel leur tombe sur la tête, les humains primitifs revêtent des masques à plume, se dessinent des signes magiques sur le corps et exécutent des rituels destinées à chasser les mauvais esprits et à conjurer le mauvais sort. Le nouveau design éditorial de Libé n’apporte à peu près rien de neuf à part des mots creux et des concepts éculés. Il est du même ordre et aura fatalement le même résultat : aucun.

Pire. L’introduction de contenus payant sans réelle valeur ajoutée (voir plus haut) créera un réflexe de méfiance dans le lectorat, qui ne tardera pas à se sentir floué par la minceur des privilèges payants qu’on lui accorde. Or, au contraire, toute offre de contenu payante devrait puiser dans les fabuleux trésors encore inexploités par les entreprises de presse et ouvrir enfin l’accès à des contenus actuellement inaccessibles — ou très peu accessibles :

  • des sources textuelles, audio et vidéo brutes, mais validées, structurées, référencées, en consultation simple ou exportables aux fins d’exploitation par des éditeurs tiers (en mode “remix“), qu’il s’agisse d’autres médias, de blogueurs, d’entreprises ou d’organisations — bref, ce que j’appelle des « open sources ».
  • des dossiers thématiques exhaustifs, incluant une profondeur inégalée grâce, non seulement aux archives propriétaires du journal, mais également aux liens externes menant vers les pages Wikipédia, articles de blogues, autres sites de médias voire d’entreprises de ce monde qui, tous, constituent des sources auxquelles s’abreuvent les journalistes et auxquelles leurs lecteurs trouveraient probablement enrichissant de pouvoir également s’abreuver.

Cette future architecture de l’information « open sources » nécessite de grands investissements en formation. Les journalistes en place ne veulent pas, aujourd’hui, s’embarrasser avec la production de sources multimédia (audio et vidéo) en temps réel ou quasi réel. Heureusement, la génération qui arrive derrière n’a pas de scrupule à cet égard, d’abord parce que c’est devenu très simple avec les outils dont nous disposons aujourd’hui, mais aussi parce qu’elle a intégré cette dimension dans sa culture. Or, c’est le seul moyen dont la presse “écrite” dispose pour damer le pion aux médias électroniques (radio/TV) et aux médias sociaux sur lesquels l’information circule désormais en temps réel.

Cette future architecture de l’information « open sources » nécessite également le développement de systèmes informatiques complexes permettant de structurer, indexer, présenter, rendre digestes et accessibles ces masses d’informations spécialisées à haute valeur ajoutée. Au lieu de concentrer ses forces humaines et financières sur cet objectif stratégique aux plans économique, technologique et social, Libération investit son temps et son argent dans un rituel de cosmétique journalistique qui n’a aucune chance de fonctionner. C’est bien dommage.


Publication originale : http://aubry.org/2469

PS : Si vous êtes à Montréal (Québec) le week-end du 19-20 septembre, venez discuter du modèle d’affaires du journalisme « open sources » à Podcamp Montréal. Plus nous serons de fous à refaire le monde des médias et plus rira bien qui rira le dernier ; 



11 réactions


  • Serpico Serpico 8 septembre 2009 17:19

    Bien dommage ?

    Ce journal est une imposture. C’est un journal qui glapit. C’est un journal tellement oblique qu’il en a perdu la notion de verticalité.
    Un journal de « gauche » qui joue pour Bush ne mérite que des crachats.


  • Deneb Deneb 8 septembre 2009 18:56

    Libé, c’est bien le journal à Rotschild ? A la solde des banquiers, donc. Propageant la pensée mercantile. Allez, du balai !


  • Christian Aubry Christian Aubry 8 septembre 2009 21:01

    @Serpico : Vos propos n’ont rien à voir avec les miens et je m’en dissocie pour plusieurs raisons.

    1) Quels éléments de preuve apportez-vous à vos affirmations d’imposture (?), de glapissement et de soutien du régime Bush ? Si vous n’étayez pas ces affirmations gratuites, elles ne valent même pas les électrons qui les affichent à mon écran.
    2) Rien ni personne ne mérite des crachats. Pas même vous qui semblez, à première vue, avoir l’opprobre et la haine vissée au ventre. Rassurez-moi si ce n’est pas le cas !

    @Deneb : Même chose. Qu’est-ce que Rotschild a à voir avec Libé ? Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que ce journal diffuse une pensée unique, et non pas un échantillon à tout le moins honnête, s’il peut difficilement être impartial, de la pluralité des voix qui s’expriment dans la société française ?

    Mon propos est différent. Il concerne l’avenir de la « presse » (un mot dépassé par les événements, j’en conviens) en général et non pas celui de Libé en particulier, qui n’a ici que valeur d’exemple. Je ne juge ni le contenu ni le bien fondé de cette publication, mais plutôt son modèle d’affaires et, en l’occurrence, son manque apparent de vision en ce qui concerne l’impact d’Internet sur sa production.

    Tant que j’y suis, j’ai lu après avoir publié cette analyse un article de 01net qui indique qu’« une application payante très innovante permettra d’accéder à d’autres services, dont on ne connaît pas encore la teneur ». Libération n’a peut-être pas encore abattu toutes ses cartes et j’espère sincèrement qu’ils me feront mentir en allant de l’avant avec des produits beaucoup plus novateurs.


    • Serpico Serpico 8 septembre 2009 22:05

      Aubry : "Quels éléments de preuve apportez-vous à vos affirmations d’imposture (?), de glapissement et de soutien du régime Bush ? Si vous n’étayez pas ces affirmations gratuites, elles ne valent même pas les électrons qui les affichent à mon écran.« 

      ****************

      Des éléments de preuve ? c’est dans ce torchon même.

      1. La désinformation à propos de Chavez : son soi-disant antisémitisme. Même la diaspora juive en a été offusquée et même après que leurs »révélations« se soient révélées compltement bidon, ils n’ont pas daigné rectifié

      2. Leur alignement systématique sur Bush en ce qui concerne précisément le Venezuela : Libération a crié avec les loups de la manière la plus honteuse. Libération s’est ainsi rendu complice des patrons de presse venezueliens en MENTANT sur les raisons de la suspension de la chaîne de télé privée

      3. C’est libération qui a exhumé le sujet super nul de la fille soi disant répudiée pour absence de virginité deux ans après l’affaire avec une mauvaise foi en granit. Chercher aussi désespérément les sujets qui excitent les plus bas instincts racistes et l’intolérance, c’est du niveau de Minute

      et puis je n’ai pas assez de patience pour citer toutes les saloperies de ce journal soi disant »de gauche" qui est manifestement dans la ligne du grand capital.

      Et Deneb a raison, Rotschild a à voir. Vous n’allez tout de même pas prétendre que la présence d’une grosse fortune n’a aucune incidence ? Ou alors vous êtes dans le journal ?


    • abdelkader17 8 septembre 2009 22:18

      @Christian
      « libération de Sartre à Rothschild » Pierre Rimbert
      http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1080
      Libé n’est devenu qu’un torchon sans sève accompagnant les choix idéologiques et économiques de la caste dirigeante.


  • moebius 8 septembre 2009 21:56

    il est trés bien Libé, lui au moins il évolue comme l’ensemble de la gauche


    • Serpico Serpico 8 septembre 2009 22:43

      Moebius : « il est trés bien Libé, lui au moins il évolue comme l’ensemble de la gauche »

      *****************

      Si on peut parler d’évolution quand on a percuté le mur...

       :)


  • Serpico Serpico 8 septembre 2009 22:55

    Et pour rappel : Libération a fait campagne pour le oui au référendum et tout en tirant en rafales sur Hugo Chavez, il a sorti ses plus belles fleurs pour le Chili de Pinochet « Finances publiques saines, inflation faible, commerce extérieur au beau fixe, croissance forte... En Amérique latine, le Chili fait figure d’exception. » Grâce à qui ? « Grâce surtout aux Chicago boys, et leurs disciples chiliens [...] qui ne jurent que par un maître,Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976 [1] » (Libération, 17.1.06)

    Pinochet, oui monsieur : PINOCHET qui a renversé Allende, qui a fait disparaître des milliers de personnes, qui a parqué des milliers de chiliens dans un stade, qui a torturé des militants de gauche....

    Libération est une ordure.


  • abdelkader17 8 septembre 2009 23:04

    @serpico
    Tout ce qui est dans la sphère d’influence de l’oncle sam est désormais casher,les croisé du marché peuvent compter sur leur nombreux soutiens.
    Le bienfaiteur Rothschild sera récompenser son personnel ,la servitude qui frise la soumission
     Cette année le prix du journalisme de révérence revient à Laurent Mouchard Joffrin un habitué du top 3.


  • Cotcodec 9 septembre 2009 01:11


    A l’occasion de cette refonte, je propose de renommer « Libération » en « Sujétion ». Ce journal usurpe chaque jour l’image de la Résistance en trahissant le pacte du CNR !!!

    Ce journal est définitivement devenu un torchon depuis que Serge July a insulté les tenants du non au lendemain du référendum de 2005. Quant à Joffrin il me fait vraiment pitié...

    cotcodec


  • Christian Aubry Christian Aubry 11 septembre 2009 08:15

    Merci à abdelkader17 et Serpico pour les deux liens qui me mettent quelque peu au parfum. Et non, je ne suis pas « dans le journal ». Pour tout vous dire, j’ai quitté la France en 1988 pour ne plus y remettre les pieds qu’une fois tous les deux ou trois ans lors de simples visites familiales.

    Ne m’intéressant plus à la politique française et à ses potins médiatiques depuis 20 ans, je ne savais même pas que Libé était tombé dans l’escarcelle de la Banque Rotschild. De ce ce point de vue-là, je suis vraiment à côté de la plaque — autant que vous qui ne savez probablement pas à qui appartient Le Soleil de Québec.

    Ce premier billet que je publie sur Agoravox n’était pas vraiment favorable à Libération, dont il critiquait l’apparence de « refonte » annoncée récemment. Ce journal n’est ici qu’un prétexte pour exposer une vision qui m’est chère — celle du « journalisme open sources », un écosystème où l’intelligence collective, la profondeur et l’objectivité des sources l’emporterait sur l’intelligence d’une petite élite et la manipulation de sources invérifiables car, la plupart du temps, soigneusement occultées. Je ne parle pas de ce que je ne connais pas — la ligne politique du journal — mais de ce sur quoi je crois avoir quelque chose d’intéressant à dire — sa stratégie éditoriale et son plan d’affaires à l’ère d’Internet et de la dématérialisation souhaitable de notre économie.

    Malheureusement, ce sujet n’a pas suscité l’ombre d’un début d’enthousiasme ni de réelle conversation entre nous. Vous n’avez pas *lu* ce que j’ai écrit, juste réagi au mot Libération comme le taureau réagi à la couleur rouge. Vous êtes partis au quart de tour dans le registre de l’anathème et du mépris caustique. Vos réactions sont tellement méprisantes — quasi barbares, même, comme un Ben Laden peut l’être dans sa condamnation de l’Occident — que je me suis moi-même senti insulté.

    Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’ai quitté la France il y a 20 ans. Certaines sont d’ordre personnel, d’autres plus universelles. Je n’étais pas heureux dans un pays hyper compétitif et socialement violent. J’étais affecté par le racisme au quotidien, les agressions verbales, le mépris à fleur de peau, les extrémismes prétendant tous détenir la Vérité et la hiérarchie érigée en Tables de la Loi. Je n’avais pas envie de passer ma vie à me défendre ou à attaquer en permanence afin d’exister. J’aspirais à une paix relative que j’ai heureusement trouvée à Montréal, Québec, Canada.

    Auparavant, j’ai été un jeune journaliste et il se trouve que j’ai publié deux articles pleine page dans Libération en 1987 et 1988. La seconde fois, j’ai remis ma copie avec une heure de retard. Cela m’a valu une copieuse engueulade en pleine salle de rédaction. Ce savon était tellement disproportionné par rapport à ma faute, les mots employés étaient tellement durs, calibrés pour blesser le plus possible, et que cela m’a totalement écœuré.

    Je n’ai plus jamais remis les pieds à Libé. J’ai préféré quitter la France et changer de métier. Jamais je ne l’ai regretté.

    Au fond, ce n’est pas une très bonne idée que je revienne en terrain médiatique français, fut-il 2.0, alors que je n’ai plus l’expérience sociale nécessaire pour comprendre ce qui se passe dans ce pays. Pardon de mon ignorance et de mon déviationnisme.

    Deux liens en guise d’au revoir, si le cœur vous en dit :
    Pourquoi je n’ai pas voté Sarkozy
    Que seront devenus l’Europe et l’Amérique dans 20 ans ?

    Ami calmant,

    C.A.


Réagir