mardi 16 octobre 2007 - par Guillaume Narvic

Le nouveau Libé tente une alliance entre web et papier

La nouvelle formule du quotidien Libération, parue ce lundi 15 octobre 2007, se révèle plus qu’un simple « relookage » de la maquette et une réorganisation du « déroulé » des pages. Le journal s’avance plus loin que ne l’ont fait les autres quotidiens français jusqu’à maintenant dans la recherche d’une complémentarité entre l’édition papier et le site web du journal, en tissant tout un réseau d’allers-retours entre l’un et l’autre.

[Avertissement : cet article ne traite en aucune manière des prises de position politique éventuelles de la rédaction du journal Libération, et encore moins de sa manière de traiter de tel ou tel événement particulier, ou même du journal Libération en général. Il traite uniquement de certains aspects techniques de la nouvelle formule du journal parue aujourd’hui, et de la manière d’organiser les relations entre l’édition papier et l’édition web d’un journal. Que les commentateurs veuillent bien en tenir compte, SVP.]

La nouvelle formule du quotidien Libération vient de paraître et elle fait déjà beaucoup parler d’elle sur le net (les sites qui en parlent, sur wikio). Curieusement, à mon avis, seul Philippe Couve, sur Samsa News met le doigt sur la nouveauté la plus intéressante, dans un billet datant de la semaine dernière, après la publication de maquettes en avant-première par Le Nouvel Obs .

Philippe Couve remarquait déjà, à la vue de ces maquettes, que «  Libération (papier) intègre la participation des lecteurs/internautes ». Maintenant que nous avons le nouveau journal en main, on peut constater que Libération va bien plus loin que cela dans la recherche des synergies (ou plus simplement, de complémentarités) entre son édition papier et son site web. C’est assez nouveau et original dans le paysage médiatique français pour mériter d’être étudié un peu plus dans le détail.

Relookage graphique

Les commentateurs ont surtout mis en évidence le « relookage » graphique de la maquette (plus aérée, avec plus de « blanc » dans la page), le passage à la couleur dans toutes les pages (pour les habitants de Paris et Nancy uniquement, pour le moment), la refonte du « déroulé » du journal (avec les dix premières pages consacrées aux « choix éditoriaux de la rédaction » : l’événement, histoire du jour, le Contrejournal, Instantané).

La nouvelle rubrique « Le Contrejournal » (en porte-folio ci dessous) retient surtout l’attention. Elle laisse la place à « l’actualité vue par les lecteurs et les libénautes », et propose un regard original, « Le Making-of », qui se penche sur « les coulisses de libé ». Aujourd’hui, Didier Pourquery, directeur délégué de la rédaction, raconte le débat interne au journal sur la question de savoir s’il faut publier ou pas les rumeurs de divorce au sein du couple Sarkozy.

Un dialogue entre lecteurs et journal

Ce Contrejournal n’est pas sans rappeler « Le journal des lecteurs » de Marianne, pour ce qui est de la parole donnée aux lecteurs, et n’est donc pas fondamentalement nouveau dans son principe.

La nouveauté est dans un choix « éditorialisé » de ces commentaires de lecteurs. L’un d’entre eux est placé sous la rubrique « Coup de gueule » (aujourd’hui sur les OGM). Deux commentaires opposés sont mis en scène sous une rubrique « D’accord pas d’accord » (aujourd’hui sur l’embargo contre la Birmanie). Enfin, un véritable débat entre lecteurs est proposé sur le thème « Sans-papiers : rafle, ou pas rafle ? » Ces commentaires sont issus du nouveau blog du Contrejournal.

Le journaliste, animateur du débat

Ces contributions ont été sélectionnées par un journaliste de la rédaction, qui assume ce choix. Il le présente dans une petite introduction et il le signe : « propos recueillis par Karl Laske ». Il est assez nouveau en France de voir un journaliste assumer ce rôle de « modérateur du débat entre lecteurs », en plongeant dans les fils de commentaires reçus sur le site du journal, pour en faire ressortir les plus intéressants.

Mais la démarche du nouveau Libé est loin de s’arrêter là. Le journal tisse au fil des pages de nombreux liens entre la version papier et la version web.

Plusieurs appels à débat sont ainsi lancés à la suite d’articles publiés sur le papier, invitant les lecteurs à poursuivre le dialogue dans les forums du site.

L’échange web <-> papier fonctionne ainsi dans les deux sens : le papier appelle au débat sur le site web, puis rend compte de ce débat sur le papier (après un travail éditorial des journalistes).

Le web prolonge le papier

Autre relation assumée entre web et papier, et très peu utilisée jusqu’à maintenant par la presse française (même si des expériences de ce genre ont déjà été menées) : le prolongement sur le web de la lecture entamée sur le papier. L’interview du vice-Premier ministre serbe est ainsi disponible en version intégrale sur le web, en version audio, alors que les contraintes de places habituelles sur le papier ne permettent pas d’en publier la totalité.

Le papier ouvre sur le web

Le journal papier n’oublie pas de faire la promotion de son contenu supplémentaire sur le web, en annonçant par exemple la mise en ligne d’un nouveau blog.

Ça pourrait sembler la moindre des choses... Les journaux français témoignent pourtant généralement d’une grande frilosité à renvoyer vers leur propre site web depuis le papier, tant la crainte de la « canibalisation » du papier par le web est encore grande dans les rédactions, selon un principe qui voudrait que « si on les renvoie vers le web, ils ne reviendront pas vers le papier ».

On peut d’autant plus saluer le parti-pris de Libé aujourd’hui, de prendre le risque de la complémentarité plutôt que du canibalisme, que le journal ne se contente pas de renvoyer vers son propre site, mais propose également toute une série de sites web du jour sélectionnés chaque jour par la rédaction :

Ces exemples montrent qu’au-delà du relookage de la version papier (la refonte du site web est promise pour bientôt), cette nouvelle formule témoigne bien d’un début de révolution dans les mentalités, du commencement d’un profond changement de culture professionnelle de la part des journalistes, dans leur manière d’appréhender les relations entre les éditions web et papier de leur journal.

La « révolution bimédia » tentée par Serge July à Libération il y a quelques années avait échoué devant les difficultés rencontrées pour faire travailler les journalistes à la fois pour le papier et pour le web. Le Monde rencontre les mêmes difficultés, ce qui l’a conduit à constituer deux rédactions différentes, logées dans des locaux différents, pour produire l’édition papier et le site web lemonde.fr.

Libération s’attaque donc à nouveau à ce problème récurrent, et cette fois le journal associe ses lecteurs/internautes dans une démarche nouvelle. L’originalité de la démarche d’aujourd’hui est qu’elle définit des rôles clairement différents, mais complémentaires, entre les deux médias, en organisant les échanges entre les deux.

Espérons que cette expérimentation produira des résultats. Nous restons attentifs...

Le Contrejournal de Libé


4 réactions


  • tvargentine.com lerma 16 octobre 2007 16:13

    Ce journal de la bobo-attitude est vraiment à l’agonie et ce n’est pas une modification de sa maquette qui va ramener des lecteurs.

    Les électeurs de la gauche ont préféré voter Nicolas Sarkozy que de lire LIBERATION smiley smiley smiley smiley smiley

    Adieu torchon troskiste


    • Laurent_K 16 octobre 2007 22:41

      Probablement exact mais l’article traitait de la maquette, pas des positions politiques du journal. Il est intéressant de voir cette tentative de complémentarité du papier et du Web que peu de journaux osent encore faire.

      Pas sûr que tout le monde à Libé soit d’accord d’ailleurs si j’en juge par ce billet du big bang blog (http://www.bigbangblog.net/article.php3?id_article=700) où Judith Bernard (arrêt sur image) souligne la défiance des « vrais » journalistes envers les blogs.


  • stephanemot stephanemot 17 octobre 2007 12:26

    Pas vraiment la révolution. Libé pioche des idées à gauche et à droite sans vraiment innover. La continuité web-papier est une question de survie, et contrairement à ses concurrents ce canard ne s’est pas encore vraiment mis à la vidéo (partenariats en vue ?)


  • Mescalina Mescalina 22 octobre 2007 15:35

    Ces changements de pacotilles ne changeront rien. Cela reste de l’habillage, de la forme, et ça surfe sur la très hype vague des microtrotoires et du « tous les gens sont des journalistes » sur lequel le canard est le premier à vomir lorsqu’il s’agit de TF1 (à raison d’ailleurs).

    Le fond du journal s’adresse à des travailleurs travailleuses qui ont d’autres chats à fouetter et 1000 autres moyens plus utiles de dépenser leurs quelques deniers. Il est là le problème.

    Seule solutoin : faire distribuer le journal gratos à l’entrée des métros (et encore, contre 20 minutes, métro et consoeur c’est pas gagné...).


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