mercredi 22 mars 2006 - par Talion

Le projet FREENET : Internet et le droit d’auteur à la veille d’un tremblement de terre ?

Les débats publics qui se sont déroulés au cours des deux dernières semaines à l’Assemblée sur le sujet des droits d’auteur se sont donc achevés par ce que l’on pourrait qualifier de victoire totale pour les majors de la musique.

Ce texte donne en effet un cadre légal aux DRM et MTP dont il interdit le contournement et impose leur présence dans tout logiciel « susceptible de faciliter la violation des droits d’auteurs ». Sale temps pour le P2P, qui est au passage interdit, et pour le logiciel libre en général qui, selon toute évidence, ressort affaibli de cette épreuve.

Cependant, en incitant le gouvernement à légiférer aussi durement contre une technologie et ses utilisateurs, les majors du disque ont probablement assuré à moyen terme l’effondrement de l’industrie culturelle dans son ensemble, la mort du droit d’auteur, voire la destruction de l’idée même de propriété intellectuelle.

En effet, la méconnaissance des initiateurs de ce projet de loi vis-à-vis d’Internet les a empêchés de voir dans le P2P les prémices d’une révolution qui aura pour beaucoup l’effet d’un tremblement de terre.

Un nouvel Internet s’apprête à surgir des cendres de celui que ce projet de loi vise à détruire, et il va nous falloir apprendre à vivre avec... Pour le pire et pour le meilleur.

C’en est apparemment terminé en France du P2P tel qu’il existe depuis Napster, et dont Emule est actuellement le premier représentant. Le temps de la tolérance et du consensus est révolu, et celui de la traque et de la répression est arrivé : victoire totale pour les majors de l’industrie culturelle et de l’industrie du logiciel propriétaire.

Tout du moins en apparence, car un certain grain de sable, qui a apparemment échappé à leur analyse, risque fort de les prendre au dépourvu et de réduire à néant les efforts qu’ils ont déployés avant même que la loi DADVSI ne paraisse au Journal officiel : Le projet « FREENET » (1) de Ian Clarke (2).

« Qu’est-ce que c’est que cette bête bizarre ? », vous allez me demander...

Tout simplement le fer de lance de la prochaine génération de logiciels d’échange de pair à pair, celle des logiciels anonymes. Ces derniers - par leur architecture décentralisée, le fait qu’ils organisent des échanges d’informations cryptées et qu’ils utilisent des transmissions indirectes pas « nodes » intermédiaires - assurent l’impossibilité totale de déterminer ce qui est échangé et quels sont ceux qui partagent des données.

L’utilisation de clefs de cryptage numériques, pouvant aller jusqu’à 4096 bits pour certains systèmes, garantit le fait que même la NSA ne pourra intercepter puis analyser les informations transitant par ces réseaux.
Mais c’est là la moindre des choses que FREENET est capable de faire, car ce logiciel possède un potentiel qui risque fort de faire vaciller les fondations d’Internet dans son ensemble.

En effet, là où Internet met en communication des ordinateurs individuels avec des serveurs qui sont les réceptacles du contenu du réseau, FREENET propose à chaque utilisateur de faire de son ordinateur un serveur indépendant, en partageant une fraction de son disque dur avec les autres utilisateurs. Cet espace contiendra alors des fragments de données cryptées pouvant être redistribués aux autres utilisateurs grâce aux clefs de cryptage qui leur sont associées.

Chaque ordinateur connecté à FREENET est à ce réseau ce qu’un neurone est à un cerveau : le fragment d’un tout, dont la puissance cumulée croit de manière exponentielle avec le nombre de participants.

FREENET ne permet donc pas seulement d’échanger des fichiers, mais a permis également la création d’un véritable « Internet parallèle » dont les « FREE-pages » sont stockées, là aussi de manière cryptée, dans la mémoire cache de chaque machine. Il ne s’agit pas d’un projet nouveau, mais il semble retrouver une seconde jeunesse ces derniers temps...

La force de ce système est qu’il interdit en raison de son fonctionnement même toute censure et tout contrôle... Nul ne peut empêcher la diffusion d’informations sur FREENET ni en retrouver les auteurs... Du pain béni pour les dissidents politiques chinois et d’autres régimes totalitaires qui se sont emparés de cet outil pour communiquer et partager leurs idées sous le regard impuissant d’un gouvernement central qui s’arrache les cheveux à essayer de trouver une parade qui n’existe pas.

Bien entendu, le système a ses dérives, et les anarchistes de tous poils y ont également trouvé un havre de tranquillité pour y exprimer leurs revendications et partager leur expérience de la guérilla sans crainte d’être retrouvés.

Mais dans l’ensemble, FREENET ressuscite cette liberté et cette insouciance qui existait au tout début d’Internet, et beaucoup de ses membres y trouvent un défouloir pour exprimer en public leur malaise de la société.
Ici, chacun est libre de balancer des «  Sarko facho » ou de traiter nos dirigeants et ministres de « buses », si tel est son désir... Nul ne pourra l’arrêter, si ce n’est au travers d’un argumentaire solidement construit, ce que les freenautes manquent rarement de faire, tant dans l’ensemble ils ont appris à élever au rang d’art noble la discussion contradictoire.

FREENET est donc l’outil ultime permettant aux individus de s’exprimer. Des informations que l’on ne trouve nulle part ailleurs peuvent y être dénichées, et il impose donc à celui qui y navigue de garder un bon esprit critique vis-à-vis des données qui lui parviennent, car il est rare que leurs auteurs soient clairement indentifiables, à moins qu’ils le désirent.

Mais de ce fait, le contrôle censorial de ce réseau est impossible, et il peut permettre à certain d’accéder à des nouvelles que le gouvernement ne souhaite pas voir diffuser, ou à des connaissances que certains groupes d’influence aimeraient mieux voir disparaître.

Pour résumer, FREENET rend à chaque citoyen sa pleine souveraineté dans son accès et son partage de l’information.

Le potentiel est rapide à imaginer :
-Des journaux citoyens qu’aucun ministre ne pourrait espérer pouvoir censurer ou influencer (3)
-Des discographies et des filmographies entières disponibles à la première FREE-page venue
-Le partage sans restriction d’information copyrightées, brevetées ou protégées par un quelconque droit d’auteur
-La création de FREE-radios et de FREE-TV impossibles à censurer et torpillant le pouvoir d’influence des médias traditionnels
-La possibilité pour chaque citoyen d’exprimer sans restriction son point de vue sur l’actualité et la politique, ainsi que son avis sur une personne, qu’il s’agisse d’une célébrité, d’un artiste, d’un homme politique, ou d’un simple anonyme
-Etc.

Toute information ou oeuvre diffusée auprès du public tombe donc, de fait, dans le domaine public, et est pleinement et librement accessible grâce à ce réseau.

FREENET est donc un cauchemar pour tout gouvernement, entreprise, ou groupe d’influence fondant son pouvoir sur le contrôle de l’information, car il permet à celle-ci d’être diffusée sans restriction.(3)

En échange de cette liberté promise, FREENET n’impose que deux choses à ses utilisateurs :
-La tolérance vis-à-vis du point de vue des autres
-Le développement d’un certain esprit critique face aux informations qui leur parviennent.

Mais il s’agit là de deux qualités que chaque citoyen responsable doit s’efforcer d’avoir, après tout...

En définitive, Renaud Donnedieu de Vabre risque fort d’entrer dans l’histoire comme étant le ministre qui, avec sa loi DADVSI et sa volonté de contrôle d’Internet, aura réussi à convaincre les P2Pistes français de migrer vers le seul réseau garantissant aujourd’hui la pleine liberté d’expression et de partage des connaissances.

Ian Clarke n’espérait certainement pas un tel soutien...

Talion

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(1) Plus de renseignements sur ce projet sont consultables sur le site de la "team" francophone de Freenet ( http://www.freenet-fr.info/ ) ou sur le site officiel du projet ( http://freenet.sourceforge.net/ ).
Les liens suivants sont également intéressants à consulter pour mieux comprendre la révolution qu’est "Freenet"
http://www.intellitamper.com/freenet-france/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Freenet
http://freenet.new.fr/

(2) Pour plus de renseignements sur cet impressionnant petit génie, vous pouvez consulter l’encyclopédie Wikipedia ( http://en.wikipedia.org/wiki/Ian_Clarke ) ou encore consulter son blog ( http://locut.us/blog/ )

(3) Je vous renvoie pour plus de détails à l’excellent article de Guillaume Champeau intitulé "Après le P2P, le journalisme citoyen dans le collimateur du ministre ?" et disponible sur le lien suivant :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=7919

(4) Je vous invite à consulter ce très intéressant article datant de 2000 sur Freenet et ses implications :
http://www.freescape.eu.org/biblio/article...3?id_article=25



110 réactions


  • mwaaa (---.---.134.162) 30 mars 2006 15:33

    a l’attention de DW .. le pôeteu du site... a ta phrase... « La révolution, s’il y avait, commencerait par le verbe himself. » je dirais plutot.. « ... parle verbe ITSELF » (car rappellons le la langue de sheakspeareuu les termes comme verbe etc... sont impersonnels... ce n’est qu’une projection d’un mental frenchie de les appliquer dans une autre langue... ^^ hihi ) mais c pas grave, je comprends tout a fait que tu puisse te concentrer only sur le français plutot que sur l’anglais... c deja bien.. bizooooooooooooo

    ps : tu aime mon francais ? mon style ? ^^

    aux autres merci pour toutes ces informations... jeme regale et apprend bocou ^^


  • a 2 balles (---.---.117.250) 30 mars 2006 17:52

    +1 pour copas

    Je rêve de la chose (technique) décrite par Talion, néanmoins je sais (ou je crois) qu’on ne peut pas zapper le plus gros réseau virtuel et anonyme : celui formé par nos cerveaux et nos croyances. Et les gouvernements contrôlent toujours ce réseau là, qui reste le plus important. La preuve : même Talion croit et parle comme si le gouvernement était le gouvernement, comme si la DADVSI était une « loi », alors que ce sont juste des concepts fumeux dans sa cervelle. Et pourtant, ça le force à se cacher sur freenet : puissant, non ?

    C’est super d’avoir aménagé une caverne confortable pour continuer à circuler librement... mais ça ne remplace pas la vrai liberté de circuler au grand jour.

    Donc, Copas a raison, il faut erradiquer la DADVSI, et la notion débile de propriété intellectuelle (le secret, seul, constitue une propriété intellectuelle, et il n’est pas défendable). Et il faut le faire « légalement », sinon le concept gouvernemental restera le plus fort. Les gouvernements contrôle tout ce qui est matériel, et ça reste un gros emmerdement.

    Freenet et consorts sont des armes, utiles, certes, mais elle ne suffisent pas. La bataille est une bataille de communication, et on ne gagne pas ce genre de bataille en se cachant sous terre ou dans le cercle fermé d’un réseau privé.

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    • Talion Talion 30 mars 2006 23:37

      C’est bizarre, mais personnellement je n’ai pas trop l’impression que les manifestations ça marche vachement...

      Alors jusqu’à preuve du contraire, vous m’excuserez, mais moi je vais utiliser les outils qui rendront cette loi caduque dans les faits.

      Si Mister RDDV est intelligent, il retirera sa loi... Dans le cas contraire, j’aurais au moins la garantie qu’elle ne me nuira pas.


    • Sic Transit (---.---.97.141) 4 avril 2006 21:16

      Il y a eu pourtant des députés qui ont luttés contre cette loi. Les choses changent. La prochaine fois çà passera smiley


  • Copas (---.---.248.175) 30 mars 2006 20:09

    Le reproche fait à Talion est purement tactique, sinon j’approuve sa sainte colère.

    Très fortement.


  • le blog de groupe Reflect (---.---.64.23) 14 avril 2006 08:08

    On ne peut pas parler du web 2.0 sans évoquer les comportements d’utilisateurs qui leurs sont associés. Cela engendre d’inévitables digressions vers des considérations sociétales, mais je trouve que le sujet prend une tournure assez singulière depuis quelques temps. La...


  • Arnaud (---.---.32.187) 20 avril 2006 13:41

    Bonjour, Tout d’abord merci à Talion pour son article, qui me semble refléter l’exacte situation des réseaux P2P.

    Il est évident aujourd’hui que les solutions de P2P que l’on connait, eMULE ou Bittorrent pour ne citer que les deux plus connus, vont disparaître à court terme. Et c’est bien par la peur du gendarme. Mais l’accalmie, si accalmie il ya, ne sera que de courte durée. Et cela pour une raison extrèmement simple : Vous ne ferez pas payer un produit que l’on a gratuitement depuis des années. Même si cette gratuité est illégale, et quel que soit le discour sur les droits d’auteurs. Dans la lutte contre les baisses de ventes, et le piratage, le système de license globale était le plus judicieux, il permettait de récupérer au moins un peu d’argent, que les internautes auraient payé de bon coeur.

    Il est clair, et les chiffres le montrent déjà, que bon nombre d’adeptes du P2P se tournent vers les réseaux cryptés, contre lesquels on ne peut rien. Le gouvernement en cédant au lobby des majors se tire en fait une balle dans le pied. On ne va pas le plaindre, il y a eu suffisement d’information à ce sujet. Pour ma part, le pas est fait, et je ne m’en plaint pas, bien qu’il soit vrai que le réseau Freenet est un peu plus lent.

    Je ne suis pas d’un naturel pressé....

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  • Jco (---.---.33.228) 27 avril 2006 09:45

    Très bon article qui met en évidence, comme le savent tous les informaticiens, qu’il est impossible de tracer des communications sur Internet en l’état lorsque l’on utilise ce type de logiciel. La loi DADVSI sera techniquement inapplicable et l’utilisation des DRM va renforcer le téléchargement illégal. L’utilisation de Freenet est bien entedue douteuse car utilisée par des personnes qui souvent se cachent (anarchistes, pédophiles, sectes, etc...). Mais la technologie ne doit pas être rendue responsable de l’utilisation qui en est faite.

    Les DRM vont effectivement pousser les utilisateurs à se rabattre sur des technologies qui leur offre la liberté qu’ils demandent. (je ne veux pas payer une chanson et ne pouvoir l’utiliser que deux fois). L’utilisation de technologies de type Freenet par un grand nombre va engendrer du bruit et de l’entropie et c’est bien là qu’est le problème : les personnes « dangereuses ou hors la loi » seront plus difficilement tracées et repérées par les services de renseignements.

    Ne culpabilisons pas, R2DV est responsable de sa loi et il restera effectivement dans l’histoire comme celui qui a poussé une partie des internautes sur des réseaux privés et chiffrés plus permicides. Avec toutes les conséquences que celà implique.

    blog : nmap1.6.free.fr/dotclear/

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    • deadman (---.---.42.58) 26 juin 2006 18:45
      « anarchistes, pédophiles, sectes, etc... »

      Que viennent faire les anarchistes dans cette énumération ???

  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 31 août 2009 14:59

    à l’auteur

    à King Bounty (xxx.xxx.xxx.130) 6 août 18:48 

    quote : citant :
    Jean-Pierre Llabrés (xxx.xxx.xxx.82) 6 août 12:09
    Je remarque surtout la profusion des diagnostics et la carence en matière de propositions. Je remarque également que beaucoup s’accommodent facilement de l’un et de l’autre. Je fais partie des importuns qui interrogent les diagnostiqueurs :
    « Et quelles sont vos propositions en matière d’autre modèle économique ? »

    Je persiste, signe et m’en explique ci-dessous.

    Professionnellement, depuis des dizaines d’années, je me rends dans les entreprises privées ou/et publiques ainsi que dans les administrations, en France et à l’étranger. J’y analyse les fonctionnements et, surtout, les dysfonctionnements. Au terme de l’analyse, j’établis un diagnostic argumenté.

    Mais, là ne s’arrête pas mon travail car mes mandants ne me consultent pas pour que je leur indique simplement quels sont leurs problèmes. Ils veulent que je leur propose des solutions et, logiquement, que je leur présente des recommandations.

    Aussi, lorsque je me trouve face au diagnostic d’un tiers, il me paraît donc également logique, légitime et non insultant de demander à son auteur quelles sont ses recommandations pour remédier au(x) problème(s) qu’il a identifié(s) (dans l’hypothèse où il ne les aurait pas présentées dans la suite immédiate de son diagnostic).

    En l’occurence, ici, j’ai interrogé l’auteur, Gilles Bonafi, qui, lui, au contraire d’autres personnes non concernées par ma question, ne s’en est pas offusqué :
    Par Gilles Bonafi (xxx.xxx.xxx.189) 6 août 17:32
    « Certains me demandent quelles solutions je propose. Voici mon analyse ».

    Ceci dit, sur AgoraVox, et sur bien d’autres sites similaires, je constate que nombre d’auteurs se livrent à des diagnostics, parfois pertinents et remarquables, mais que, trop souvent, ils omettent la conclusion logique de leur diagnostic, à savoir : proposer des recommandations pour résoudre les problèmes qu’ils ont identifiés.

    Et je suis également navré de constater que nombre de leurs lecteurs se contentent du diagnostic et ne s’interrogent pas sur les recommandations sans lesquelles un diagnostic demeure lettre morte. Même si, ultérieurement,il est très souvent extrêmement difficile de faire accepter les recommandations.

    Enfin, pour reprendre votre métaphore médicale, il me semble que, si vous consultez un médecin et qu’il vous donne son diagnostic, vous vous attendrez, fort logiquement, à ce qu’il vous propose des remèdes, des solutions, des recommandations.

    Certes, il peut arriver qu’il se trouve face à une pathologie inconnue. Dans ce cas, hélas, il n’y aura pas lieu de lui reprocher de ne pas pouvoir conclure son diagnostic par des recommandations.

    Lire la suite ▼

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