vendredi 20 juin 2008 - par antoine

Les médias hyperlocaux peuvent-ils être indépendants ?

Tout d’abord, savez-vous ce qu’est un média hyperlocal ? Ce terme désigne les sites internet produisant de l’information à l’échelle d’une communauté ou d’une zone géographique restreinte. Une information que les médias traditionnels survolent généralement ou n’abordent pas du tout. Le suffixe « hyper » fait référence aux possibilités qu’offre le web en termes de multimédia, de réseau social et d’interactivité par rapport au format papier. Benoît Raphaël en parle très bien dans un article sur Rob Curley, un champion de l’internet local aux États-Unis.

Tout ceci est magnifique, mais sur quel modèle économique ces médias peuvent-ils s’appuyer ?

Collaborant moi-même à un site d’actualité associative et culturelle parisien, j’ai été amené, avec mes collègues, à réfléchir à la question du financement de ce type de médias. Eh oui, il faut bien manger.

Procédons par élimination

Il semble peu plausible de faire payer les utilisateurs et d’en vivre. Médiapart l’a tenté à un niveau national, avec un certain succès, certainement grâce à un bon teasing et à un mot d’ordre séduisant : « soutenez un média indépendant ». Reste à voir si ce modèle économique sera pérenne. Quoi qu’il en soit, il semble peu plausible qu’il puisse s’appliquer à un niveau local.

La pub ? Hum… Le Monde interactif, premier site d’information en France est un des seuls à vivre de sa pub (60 % des revenus, le reste étant généré par les abonnés). Sans compter qu’ils n’ont que très peu de frais de fonctionnement, étant donné que la majorité du contenu leur est gracieusement offerte par l’équipe de journalistes du Monde papier (source chouingmedia.com). Autant dire qu’à l’échelle locale, où l’audience est par définition limitée, les annonceurs ne vont pas se ruer. Les publicités de Google rémunérées au clic ? Elles permettent tout juste de se payer le petit noir du matin au comptoir.

Il ne semble rester qu’une possibilité de financement : le mécénat. Mais qui diable peut bien avoir un intérêt à y aller de sa poche pour faire vivre un site d’information locale associative ? Personne, me direz-vous !

Pourtant, si. Il y a au moins deux vaches à lait potentielles.

 

  • Les banques mutualistes

Et ce sont de grosses vaches à lait. Elles ont en effet intérêt à faire vivre un réseau d’associations qui sont souvent leurs clientes. Elles augmentent ainsi leur visibilité et s’attirent de nouveaux clients. Une expérience à Reims connaît un certain succès : Capassocia est une plate-forme du Crédit agricole proposant aux associations un hébergement et agrégeant un calendrier événementiel à partir des informations mises en ligne par ces dernières.

  • Les pouvoirs publics

Les pouvoirs publics peuvent avoir de nombreux intérêts à financer ce type de projet. Prenons l’exemple d’un site, au hasard, d’information associative et culturelle sur l’Est parisien, dont l’un des objectifs serait de créer du lien social. Quel intérêt pour la mairie ou la région ? Aucun, a priori, ils ne sont pas philanthropes. Mais imaginez maintenant que ce média prenne une dimension « transpériphérique » et devienne l’artisan d’une interaction conviviale entre la proche banlieue et les quartiers Est parisiens. Il devient alors politique : LE GRAND PARIS. La région et la mairie de Paris semblent s’être lancées dans une course acharnée contre le gouvernement depuis que Nicolas Sarkozy a voulu s’approprier ce projet en nommant Christian Blanc “secrétaire d’état chargé du développement de la région capitale”. Cela va sans dire : en encourageant ce type d’initiative, la mairie et la région (en particulier Bertrand Delanoë) ont un intérêt électoral majeur.

Dans le cas d’une région PS et d’une mairie PS comme à Paris, financer des projets « panassociatifs » présente un autre intérêt purement électoraliste. Il est de notoriété publique que ces petites structures sont essentiellement composées… de gauchistes. Un cauchemar pour les socialistes ! En finançant un site-web interactif utile à un grand nombre d’associations, les pouvoirs publics peuvent espérer redorer leur image vis-à-vis de cette bande de vils anarchistes. Et, surtout, éviter que voir proliférer des plates-formes locales ultra-subversives type indymédia. En étant la source principale de revenu, ils exercent de facto un contrôle éditorial sur le média en question. Évidemment, financés directement par la mairie et la région, on voit mal les journalistes du site appeler à la révolution ou vilipender en une le « social-traître Delanoë ».

Cet exemple est bien sûr également valable pour d’autres territoires et d’autres configurations politiques. Néanmoins, ce genre de problématique se pose peut-être moins pour le moment avec des pouvoirs publics de droite, généralement moins enclins à financer des petits projets.

Les médias hyperlocaux, quelles que soient les merveilleuses possibilités qu’ils apportent, se heurtent donc comme le reste de la presse au problème de l’indépendance éditoriale. Peut-être même encore plus que les autres. On est loin de l’idéal de la société de rédacteurs du Monde ou de l’idée selon laquelle la liberté d’opinion va forcément de pair avec l’avènement du Web 2.0. Aujourd’hui comme hier, si on veut vivre de sa plume, il faut brosser dans le sens du poil. Surtout quand on est tout petit.

À moins que quelqu’un n’ait pensé à une autre possibilité de financement ?




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