samedi 14 novembre 2009 - par manu toulouse

Lire la presse : pourquoi, comment ?

A l’heure où les différentes presses d’information générale et politique sont en pleine reconfiguration, tant socio-économique qu’éditoriale, la question de savoir pourquoi (ou pour quoi) et comment nous lisons la presse mérite d’être posée. Voilà dans les grandes lignes les questions auxquelles tente de répondre une étude expérimentale menée par une équipe de recherche toulousaine. Les lecteurs et/ou rédacteurs d’AV dans le sud-ouest sont cordialement invités à y participer !

 "Tout énoncé est une auberge espagnole" disait Paul Valéry. On ne peut que souscrire à la citation du poète, tant notre imaginaire, nos valeurs (celles que l’on affiche souvent et que l’on défend parfois), notre éducation ou encore notre sensibilité à un sujet d’actualité vont guider d’abord nos choix et nos comportements de "récepteurs" du discours médiatique, à travers les journaux, stations de radio, chaines de télévision et sites Internet auxquels on choisit de se confronter. Ces mêmes éléments vont aussi largement conditionner notre motivation à traiter le message lui-même, notre volonté de le lire jusqu’au bout ou pas, notre appropriation du discours délivré par tel ou tel support, tel ou tel journaliste.
 
De la production de l’information à sa consommation, la route est donc pour le moins longue et sinueuse. Si je parle de consommation de l’information, c’est parce qu’il semble presque communément admis par les professionnels de cette dernière qu’elle est une marchandise comme une autre. Or la consommation d’information ne peut quand même pas être mise sur le même plan que la consommation de raviolis en boîte, d’autant que pour pousser la parallèle, il a été prouvé et éprouvé que le public que nous sommes n’avalait pas bêtement ce qu’on nous donnait à manger, mais que nous reconstruisions bien quelque chose d’autre avec, au moins intérieurement. Ce quelque chose peut à peu de choses près constituer ce que les psychologues sociaux appellent la cognition sociale.
 
Mais revenons un instant sur la question de "la presse" : il semble d’abord difficile de parler de presse au singulier, tant les conditions de travail et l’organisation socio-économique des organisations faisant de l’information peuvent différer : peu de choses en commun en effet, à bien des égards, entre le fonctionnement et l’organisation du travail à Métro, au Monde et...à Agoravox, par exemple. Les récents débats sur le "bâtonnage de dépêches" ou les "O.S. de l’info" sont là pour nous le rappeler. Certaines des études que la communauté de chercheurs intéressés par ce sujet a produites l’attestent aussi. En lien direct avec cette organisation : la politique éditoriale du titre. Moins d’un point de vue idéologique ou de coloration politique que de celui du statut que l’on donne à son discours. Il y a en effet un monde entre le productivisme effréné des gratuits et le retraitement réflexif d’une certaine presse en ligne. Il ne s’agit pas là d’un jugement de valeur mais d’un constat : certains n’ont que faire de l’opinion et se passent volontiers des commentaires et prises de position du journaliste, d’autres acceptent et assument une position didactique dans laquelle le journaliste est un expert dont la parole, sans être parole d’évangile, revêt un certain crédit, d’autres encore refusent toute position asymétrique et prônent l’horizontalité totale des relations entre rédacteurs et lecteurs. Via le discours produit par les uns et les autres, des traces de cette relation entre journal et lecteur apparaissent, et leur accumulation dans le temps fait du lecteur assidu d’un titre une sorte d’expert à son tour, qui a intériorisé les schémas d’écriture de son titre. Ce lecteur devient aussi une sorte d’ami, habitué aux routines de son journal et en attente d’un certain contenu dans sa relation à celui-ci. Les représentations sociales ne sont d’ailleurs pas étrangères à ce processus, car les lecteurs que nous sommes créons sans cesse en nous-même une image de celui qui nous parle, bien plus basée sur des spéculations et éléments fragmentaires du texte que sur des informations tangibles, claires et exhaustives relatives à l’identité de notre interlocuteur.
 
De l’autre côté, le lecteur, figure quelque peu mythique pour certains titres de presse, qui les connaissent peu ou mal, doit être attiré, séduit, capté, conquis par son journal, nous disent les apprentis sorciers du marketing éditorial. Dans la compétition hautement concurrentielle du discours d’actualité, le plus délicat pour les journaux, quels qu’ils soient, est certainement de trouver le bon compromis entre l’alimentation du débat démocratique (via la fameuse cognition sociale) et les stratégies d’alignement/distinction sur ce qu’on peut qualifier de marché de l’opinion. L’arrivée il y a presque dix ans de la presse gratuite et le développement de certains usages d’Internet (via notamment les sites collaboratifs, citoyens ou encore l’émergence d’une blogosphère d’information générale ou politique) posent le problème avec une plus grande acuité. Entre marketing forcené du don, financé par les annonceurs, et contrat social nécessairement donnant-donnant entre journalismes se voulant indépendants et lecteurs désireux de rompre avec une information aseptisée et insipide, le champ des possibles semble s’étirer en même temps que le point d’équilibre semble, lui, de plus en plus difficile à trouver.
 
Voilà pourquoi, vous, lecteurs de la presse citoyenne et participative, qu’il s’agisse d’Agoravox ou de ses amis (plutôt que concurrents) de Bakchich ou autre, constituez une sorte de minorité non visible (hors ligne, s’entend) qui, pourtant, pourrait bien constituer l’avenir du lectorat de presse. A ce titre des chercheurs basés sur Toulouse, dont je fais partie, mènent une étude de type expérimental sur les lecteurs de la presse indépendante, afin de mieux saisir le pourquoi et le comment d’une telle lecture. Notre volonté est de véritablement replacer le lecteur au centre du processus de réflexion sur la presse. Si vous habitez la région toulousaine et êtes intéressés par la démarche, n’hésitez pas à me contacter. Nous tiendrons bien évidemment les lecteurs au courant de nos résultats...
 
 


3 réactions


  • herbe herbe 15 novembre 2009 20:51

    Juste une question :

    Étrange de vous limiter au « Lire » ou au lecteur dans le titre.
    Le mot écriture de fait ne figure qu’une seule fois dans votre texte ??
    Heureusement aussi que vous citez les rédacteurs d’AV

    Et pourtant on en est là :

    http://blog.nicolasdupontaignan.fr/index.php/post/2009/10/17/L-imprimerie-a-permis-au-peuple-de-lire,-Internet-va-lui-permettre-d-%C3%A9crire.


  • stephanemot stephanemot 16 novembre 2009 07:59

    C’est grave, docteur ? Tous les jours je consomme de base : au niveau papier un quotidien national et un quotidien international, sur le web une quinzaine de sites d’information, et cinq editions de JT (le 20h, 2 editions TV5monde, 1 Beeb, 1 CNN). A cela s’ajoutent en moyenne entre dix et vingt autres supports en ligne... (je passe sur les hebdos et mensuels).

    Mais je peux me considerer en phase de desintoxication : c’etait le double au moment des elections US en 2008 (idem en 2004).

    Ayant finalement opte pour l’abonnement avec livraison a domicile, je savoure la lecture papier au lever : la consommation-plaisir par excellence, et pas seulement parce qu’elle s’accompagne de cafe. Je redoute le moment ou je passerai au ebook pour ce type de lectures. Bien sur, j’ai en general deja absorbe les principaux articles du NYT/IHT la veille sur la toile, mais ca n’est pas la meme chose, et je me surprends souvent a les reconsiderer sous un autre jour.

    Forcement, a ce stade la il faut que ca sorte a un moment ou a un autre, dans une langue ou une autre (a defaut de maitriser la troisieme), sur un sujet ou un autre. De quoi alimenter une demi-douzaine de blogs et quelques sites comme AV... et sans doute quelque part, de quoi me reposer des ecrits qui comptent vraiment.


  • manu toulouse 16 novembre 2009 11:34

    @herbe : c’est tout simplement parce que notre recherche se focalise plus particulièrement sur le lectorat des presse écrites. Si j’évoque la production et le discours, c’est finalement pour en arriver à la manière dont tous deux conditionnent la nature des lectorats, les objectifs de lecture et manières de lire. Il ne s’agit pas de nier la production journalistique, c’est juste que mon propos se centre plus sur la « consommation » médiatique.

    @tous (mais vraiment tous) : je cherche donc toujours d’éventuels participants pour une session de lecture/questions d’environ 3/4 d’heure, de préférence dans le sud ouest de la France (où je vis), éventuellement aussi à paris ou à Lyon, où je passerai quelques jours courant décembre. Lecteurs réguliers de presse, soyez sympa, j’ai besoin de vous !


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