lundi 20 mars 2006 - par NetPolitique

« Manipulation » de la blogosphère : et si on demandait l’avis des blogueurs ?

Dans son billet du 10 mars intitulé « Blogosphère : tentatives de manipulation de l’opinion publique  », Michel Monette s’interroge sur le bien-fondé de la stratégie poursuivie par l’agence de relations publiques de Wal Mart qui « a choisi d’utiliser délibérément les blogueurs dans une stratégie visant à retaper son image ».

Je ne remets pas en cause l’analyse de M. Monette, qui est parfaitement fidèle à la situation rapportée par le New York Times. Je partage même sa conclusion implicite ; cette affaire n’est pas qu’une « tempête dans un verre d’eau », car elle touche un nerf dans la relation complexe entre les blogueurs et les entreprises d’une part -qui ont certainement beaucoup à apprendre en entrant en relation avec leurs publics en ligne- et les médias à l’heure du Web 2.0. On peut s’étonner cependant dans cette affaire que l’on fasse aussi peu de cas de l’intelligence des blogueurs, qui plus est sur un site comme AgoraVox, conçu pour prouver le contraire.

Il est en effet intéressant de voir les blogs, pourtant rompus au cynisme à l’égard des fameux MSM -les grands médias- prendre pour argent comptant la version du New York Times. A son crédit, le NY Times vient de mettre en ligne une compilation d’e-mails échangés entre le communiquant de l’agence de RP et l’un des blogueurs destinataires de ces terribles communiqués de presse et autres pernicieux briefs qui sont pourtant le lot quotidien de tous les journalistes. Que peut-on lire dans ces emails ? Des échanges réguliers entre le communiquant -qui présente d’emblée sa fonction et le client qu’il représente- et le blogueur, au sujet de l’actualité de Wal Mart, d’articles parus dans la presse et sur les blogs, et quelques considérations politiques de mauvais goût sur les syndicats de l’entreprise. La belle affaire !

Le blogueur précise même dans l’un de ses emails qu’il « apprécie l’information et les liens envoyés, mais qu’il écrit lui-même ses propres billets », et qu’il n’est pas du genre à faire des copier-coller. On connaît des journalistes moins sourcilleux...

Et le blogueur d’ajouter, à la veille de la sortie de l’article du New York Times, dont chacun pressent alors qu’il ne sera pas bon : « Je ne suis pas inquiet. On se fera certainement embêter là-dessus, mais peu importe. Vous ne nous avez pas versé un sou. Tout ce que vous avez fait, c’est de nous envoyer des e-mails avec des liens vers d’autres articles. Je reçois la même chose d’un tas de gens : des blogueurs, des lobbies. Même l’ACLU [American Civil Liberties Union] m’envoie ses trucs. »

Comme quoi on peut être blogueur et avoir -heureusement- du discernement, ce qui bien évidemment n’était pas l’angle de l’article du New York Times qui a fondu sur quelques autres blogueurs qui avaient commis l’erreur de publier l’information reçue sans en mentionner la source.

Tout cela n’aurait pas porté à conséquence si l’information en question, exclusivement partagée avec les blogueurs, ne s’était par la suite transformée en scoop, au nez et à la barbe du quotidien américain de référence.

Or tout l’enjeu est bien là : le monopole de l’information s’effrite, chaque jour un peu plus, sous les coups de boutoir de la blogosphère. Les blogueurs s’installent peu à peu aux côtés des MSM comme autant de canaux d’information et de communication alternatifs et complémentaires, et reçoivent de ce fait un traitement similaire de la part des agences de communication et de marketing : communiqués de presse, invitation aux conférences de presse, produits en démonstration, briefings personnels... Même les politiques sautent le pas. Bref, en fait de corruption, ou de manipulation, c’est surtout à une féroce compétition dans la chasse à l’information que l’on assiste, entre journalistes traditionnels et reporters citoyens.

En tant que blogueurs, on peut se réjouir que l’information soit plus largement partagée et que la blogosphère n’en soit pas réduite à commenter l’actualité telle qu’elle nous est présentée dans la presse ; se faire une opinion, c’est également avoir la possibilité de traiter l’information brute, plutôt que de ressasser l’information déjà traitée.

La véritable question dès lors n’est pas tant la provenance de l’information que le traitement qu’on en fait. La maturité de la blogosphère en tant que média d’information dépendra étroitement de cette capacité à trier le bon grain de l’ivraie, l’info de l’intox. Bref, à s’inspirer, finalement, des règles de base du journalisme.

-SM

Pour aller plus loin :

Une bonne discussion de fond chez Koz sur la responsabilité des blogs dans le traitement de l’information : blogs et tribunaux populaires

Excellent billet (en anglais) de Jeff Jarvis, critique médias et blogueur : Gatekeepers vs. Amateurs.



2 réactions


  • Surpris (---.---.26.130) 22 mars 2006 18:18

    Je partage pleinement votre point de vue qui prouve votre intelligence de la situation, au contraire de ce que l’on a lu sur cette histoire en particulier et sur les liens entre RP et blogosphère en général.


  • koz koz 22 mars 2006 19:03

    Hello, et merci pour ton appréciation de mon billet.

    Sur ce sujet, je suis effectivemment en phase avec toi : si, comme je l’exprime dans mon billet, je pense que les blogueurs sont loin d’être à l’abri de petites officines visant à les influencer pour faire passer par leur canal les messages qu’elles ne peuvent, ou ne veulent, pas faire passer par d’autres, en revanche, je ne vois pas le problème lorsque l’information est transparente, que son expéditeur et sa qualité sont clairement mentionnés.


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