lundi 4 mai 2020 - par Sylvain Rakotoarison

Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités

« Je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre "rien ne sera plus jamais comme avant". Au contraire, tout restera exactement pareil. (…) Le coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certaines mutations en cours. (…) Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. » (Michel Houellebecq, le 3 mai 2020).

Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités

Autant que l'épidémie, le confinement a bouleversé nos vies. C’est le cas notamment des programmes à la radio et à la télévision. Certains producteurs ou animateurs sont encore actifs, d’autres sont malades, d’autres encore sont confinés. Le contexte de la crise sanitaire impose nécessairement des changements de programmation et crée des nouvelles situations de création. Combien de "journaux d’un confiné" allons-nous voir fleurir dans les librairies dans les prochaines semaines ? Ce qui pouvait paraître original les premiers jours du confinement pourrait vite se transformer en exercice ennuyeux, laborieux et très commun.

Le journaliste Augustin Trapenard (41 ans), normalien et agrégé d’anglais, est l’un de ces producteurs un peu "bouleversés". Certes, il continue à interviewer, chaque matin après le journal de 9 heures, une personnalité dans son émission "Boomerang". Mais il a conçu aussi une nouvelle émission, très courte. Il a demandé à des personnalités, surtout des auteurs, mais pas seulement, de lui écrire une lettre qu’il lirait au micro de France Inter chaque matin de la semaine. Les lettres ne sont pas très longues, chaque lecture ne dure que quelques minutes. J’imagine qu’un simple email suffit à trouver matière à lire, puisque ses interlocuteurs sont confinés, eux aussi, et ne peuvent donc se déplacer dans un studio (le cas échéant).

Parmi ses "correspondants", on peut citer Ariane Ascaride (26 mars 2020), Annie Ernaux (30 mars 2020), Sorj Chalandon (3 avril 2020), Christiane Taubira (6 avril 2020), Daniel Pennac (7 avril 2020), Tahar Ben Jelloun (10 avril 2020), Anne Sinclair (20 avril 2020), Brigitte Fontaine (21 avril 2020), Philippe Djian (22 avril 2020), Mona Ozouf (27 avril 2020), Tatiana de Rosnay (29 avril 2020), Geneviève Brisac (1er mai 2020), etc.

Ce lundi 4 mai 2020, Augustin Trapenard a lu sur France Inter une lettre du romancier Michel Houellebecq, datée de la veille. C’était la première fois que Michel Houellebecq s’exprimait publiquement depuis le début de la crise sanitaire et le confinement (on peut écouter la lecture de sa lettre ici). On aurait pu imaginer de la provocation gratuite (il y a de quoi faire avec ce sujet), mais non, il a exprimé des idées plutôt sages et raisonnables, sinon convenues, et c’est tant mieux, car la polémique lui sied mal.

Il a adopté le style de parler à ses amis écrivains pour leur répondre sur différents sujets qui ont un rapport avec la pandémie de covid-19. Il les taquine d’ailleurs un peu puisqu’il les cite tout en les associant à leur lieu de confinement, parfois loin de Paris, ainsi pour Catherine Millet : « normalement plutôt parisienne, mais se trouvant par chance à Estagel, Pyrénées-Orientales, au moment où l’ordre d’immobilisation est tombé ». Catherine Millet lui a d’ailleurs fait prendre conscience que la vie actuelle de confinement pouvait se référer au sujet de son livre "La possibilité d’une île" : « Quelque chose d’assez morne. Des individus vivants isolés dans leurs cellules, sans contact physique avec leurs semblables, juste quelques échanges par ordinateur, allant décroissant. ».

Comme à son habitude, désabusé et un tantinet cynique, Michel Houellebecq fait d’abord part de son ennui : « Cette épidémie avait beau faire quelques milliers de morts tous les jours dans le monde, elle n’en produisait pas moins la curieuse impression d’être un non-événement. », allant jusqu’à presque reprocher au coronavirus SARS-CoV-2 d’être « aux conditions de survie mal connues, aux caractéristiques floues, tantôt bénin, tantôt mortel, même pas sexuellement transmissible : en somme, un virus sans qualités ». "Un virus sans qualités", voilà un titre de nouveau roman formidable et très houellebecquien…

Le cynisme du romancier se conjugue effectivement avec son ennui : « Il faut bien l’avouer : la plupart des emails échangés ces dernières semaines avaient pour premier objectif de vérifier que l’interlocuteur n’était pas mort, ni en passe de l’être. Mais, cette vérification faite, on essayait quand même de dire des choses intéressantes, ce qui n’était pas facile. ».


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Parmi les idées exprimées dans sa lettre, Michel Houellebecq rappelle que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’écrivain ne fait pas bon ménage avec le confinement pour une raison simple : il a besoin de marcher pour mettre en place ses idées. Ainsi, tout en arbitrant une "querelle" entre Flaubert et Nietzsche,il confirme : « Essayer d’écrire si l’on n’a pas la possibilité, dans la journée, de se livrer à plusieurs heures de marche à un rythme soutenu, est fortement à déconseiller : la tension nerveuse accumulée ne parvient pas à se dissoudre, les pensées et els images continuent de tourner douloureusement dans la pauvre tête de l’auteur, qui devient rapidement irritable, voire fou. ».

Pour Michel Houellebecq, il est faux de dire que tout va changer après la pandémie, il croit même le contraire, à savoir, que tout va s’accélérer dans la même direction qu’auparavant, dévoilant ainsi l’observateur lucide qu’il a toujours été : « Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques, qu’elles soient mineures (la vidéo à la demande, le paiement sans contact) ou majeures (le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux) ont eu pour principale conséquence (pour principal objectif ?) de diminuer les contacts matériels, et surtout humains. L’épidémie de coronavirus offre une magnifique raison d’être à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines. ».

Citant Philippe Ariès, Michel Houellebecq détruit également le mythe selon lequel on aurait « redécouvert le tragique, la mort, la finitude, etc. ». Au contraire : « Jamais la mort n’aura été aussi discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt (ou on les incinère ? L’incinération est davantage dans l’esprit du temps), sans convier personne, en secret. Morts sans qu’on en ait le moindre témoignage, les victimes se résument à une unité dans la statistique des morts quotidiennes, et l’angoisse qui se répand dans la population à mesure que le total augmente a quelque chose d’étrangement abstrait. ».

Et il la ramène aussi avec son humanisme réel (que j’avais pu déjà constater lors de la mort de Vincent Lambert et qui participe à ce que je l’apprécie et l’admire beaucoup), à propos des places en réanimation : « Jamais (…) on n’avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n’a pas la même valeur ; qu’à partir d’un certain âge (70, 75, 80 ans ?), c’est un peu comme si l’on était déjà mort. ».

C’est certain que la pandémie, la crise sanitaire et plus encore, le confinement (que peut faire un écrivain s’il est assigné à résidence et qu’il le vit mal, sinon écrire ?) vont apporter son lot de créations, livres, musiques, chansons, peut-être peintures, sculptures. Les bouquins seront nombreux, certains faciles, d’autres plus précieux, plus singuliers, avec un angle plus original que d’autres.

Comme il a toujours surfé avec la "contemporanité" de la société, observateur très fin de l’évolution sociologique de ses contemporains, comme l’avait si bien remarqué son ami Bernard Maris assassiné par les terroristes, Michel Houellebecq serait probablement parmi les premiers à servir à ses lecteurs avides et impatients (dont je suis) un nouveau roman à la sauce au coronavirus. Mais son cynisme pourra-t-il toutefois éviter de trop choquer ceux qui, soignants ou patients, ou leurs proches, auront été terriblement éprouvés par l’hécatombe ?

Même si lui-même ne croit pas à cette floraison littéraire ou artistique : « Je me suis posé vraiment la question, mais au fond je ne crois pas. Sur la peste, on a eu beaucoup de choses, au fil des siècles, la peste a beaucoup intéressé les écrivains. Là, j’ai des doutes. ». J’espère que ses doutes auront été vaincus…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Lecture de la lettre de Michel Houellebecq sur France Inter (fichier audio).
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
5 ans de Soumission.
Vincent Lambert au cœur de la civilisation humaine ?
Vivons tristes en attendant la mort !
"Sérotonine" de Michel Houellebecq.
Sérotonine, c’est ma copine !

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13 réactions


  • Réflexions du Miroir AlLusion 4 mai 2020 17:08

    J’ai écouté la lettre de Houellebeck sur France Inter.

    Je ne suis pas un de ses fans. Un peu trop négativitse à mon goût mais bon..

    Quand il dit « Un écrivain a besoin de marcher » ... « Les virus permettent d’accélération les mutations »...

    Deux fois exact.

    Dans mon dernier billet « Quand les livres délivrent » qui parle des écrivains et leur méthode pour écrire, je n’en dis pas moins.

    .


    • Paul Leleu 11 mai 2020 00:01

      @AlLusion

      Houellebecq et son cynisme millimétré... ça fouette le bourgeois sans trop l’inquiéter... c’est le principal !

      A part cela, les constats qu’il fait, n’importe quel adolescent un peu éveillé peut les faire... mais ça ne remplit pas une vie...


  • aliante 4 mai 2020 18:50

    Pourtant le commerce en ligne ne s’est jamais aussi mal porté

    il ne faut pas sous estimer les habitudes ,le confinement a surement réveillé les gens sur leur appartenance au monde réel ,je crois plutôt que ce monde technologique a gavé les gens sous bien des aspects ,


    • zygzornifle zygzornifle 5 mai 2020 15:31

      @aliante

      Pourtant le commerce en ligne ne s’est jamais aussi mal porté

      Pour que le commerce fonctionne il faut que les clients aient les moyens et l’envie de consommer ….i


    • aliante 5 mai 2020 19:37

      @zygzornifle

      même avec le couillonavirus ,il n’a pas vu sa marge en augmentation les gens font toujours la queue au supermarché ,la peur n’est pas forcement vendeur


  • velosolex velosolex 4 mai 2020 20:20

    Houellebecq n’est pas ma tasse de thé. Trepenard encaustiquant les réputations des happy few et descendant les gilets jaunes avant de se raviser quand il c’est avéré qu’ils étaient dans la modernité, et non dans le front national, non plus….

    Plutôt que de faire le tour des copains, il aurait été intéressant de tâter le terrain des gens ordinaires, comme France culture le fait, dans ’les pieds sur terre" par exemple 

    Je ne supporte plus ces pseudo prophètes de salon, s’invitant, se remerciant, sensés nous éclairés sur les temps futurs, et n’éclairant que leur salon. 


    • velosolex velosolex 5 mai 2020 13:16

      @Cadoudal
      Houellebecq est tellement opposé au libéralisme et à la complaisance de l’UE qu’il s’est délocalisé en Irlande pour ne pas payer d’impots. 
      Tu me dis qu’il fait l’éloge de Trump..
      .J’ai rien à dire à ça ; L’info se suffit à elle même. De tels écarts de jugement permettent donc de le faire passer pour un gilet jaune ?...

      Il faut s’étourdir en tournant autour d’un rond point pour faire illusion, et le voir comme un lanceur d’alerte. Mais à Paris, on parvient bien à faire passer Tesson pour un grand écrivain voyageur...

      Houellebecq ?...Un Che d’opérette, avec une rollex au poignet,
      Par chance, contrairement à Céline, il n’a pas vécu la guerre.
      Cela lui évitera le pire, et peut être un voyage au Danemark. 


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 5 mai 2020 23:51

      @Cadoudal

      C’est quoi un écrivain de droite ?


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 6 mai 2020 00:01

      @Cadoudal

      C’est quoi la littérature de droite ?


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 5 mai 2020 04:49

    Houellebecq  ? Il y’en a combien sur Terre ? 


    Non, rien n’indique que le monde va changer. La culture du bla bla planétaire où tout le monde trompe tout le monde et sa civilisation des gadgets sont déjà le « Nouveau monde » qui va vers plus d’aberration ! Charlie en Burqa : Qui l’aurait imaginé ?


    https://web.facebook.com/notes/mohammed-madjour/nom-de-code-covid-19/4453516954673683/…

    https://web.facebook.com/notes/mohammed-madjour/nom-de-code-covid-19-suite/4456675371024508/…

    https://web.facebook.com/notes/mohammed-madjour/nom-de-code-covid-19-suite-et-fin/4456763291015716/

     


  • julius 1ER 5 mai 2020 07:37

    Des platitudes sans intérêt, voilà ce qu’un« grand écrivain » peut pondre....., c’est vrai qu’après le « buzz » de soumission qui a conforté Zemmour dans ses approximations, on aurait pu s’attendre à mieux ????

    mais bon dire que la machine éloigne les gens les uns des autres, c’est facile de le dire mais il n’appartient qu’aux hommes de ne pas devenir les esclaves des machines et de se réapproprier les espaces en dehors des machines ....c’est plutôt la soumission au Capital le problème !!!

    rien n’est écrit il faut juste un peu de volontarisme !!!!


  • olivier cabanel olivier cabanel 5 mai 2020 13:30

    à l’auteur

    j’ai écouté cette lettre, et ma foi, autant noire soit-elle, elle nous délivre un message clair : jamais au cours de cette humanité n’avons retenu les leçons...ça doit être dans notre ADN, notre envie de ne pas croire ce que nous voyons... cette volonté de nier la réalité. mais Houellebecq n’en a cure, c’est un chaman, un visionnaire, et il raconte ce qu’il a deviné... et ça fait bien sur mal à ceux qui ont encore envie d’’espérer.

    des rêveurs comme moi.


  • Loatse Loatse 5 mai 2020 15:13

    Je ne sais pas ce que houellebecq tirera de ce qui ressemble à une traversée d’un ocean en pleine tempêter pour des milliards d’humains qui n’ont qu’un mince esquif à disposition dont de surcroit on aurait supprimé les rames....

    Après, je suis sure qu’il est en terrain connu, Jamais auteur n’a traversé avec tant d’aisance (dans ses romans) le chaos en extirpant ce qui faisait sens...

    Du coté des mutations, je suis tombée par le biais de nombreux hasards sur divers sources, qui mentionnaient une mutation prochaine ayant pour caractéristique de « je cite » changer nos corps carbonés en corps de silicium moins dense....

    Est ce du domaine du possible ceci ?


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