mardi 15 mai 2007 - par Fab Ezelson

Québec : Dutrizac, ce précurseur

Il s’agit de commentaires formulés, suite au limogeage de l’ex-franc-tireur, Benoît Dutrizac, par TQS. TQS, ne l’oublions pas, est une chaîne de télévision québécoise se réclamant être « le mouton noir » parmi ses pairs. Un mouton noir met à l’index un autre mouton noir, quelle ironie du sort !

Il est dommage de voir une figure d’intello, de penseur et à la fois de personne humaniste, comme celle de Dutrizac, quitter le plateau de TQS. Je vais beaucoup regretter le ton original et sarcastique - mis à part le cigare - que pouvaient revêtir ses capsules ; par leurs provocations, elles poussaient l’auditoire à voir le quotidien sous un jour nouveau, par la lorgnette Dutrizac certes, mais ô combien humoristiques et dénuées de toutes prétentions moralisatrices. Il est vrai que l’émission finissait par manquer d’entrain et endormir au ronronnement de la voix du présentateur. Tout le monde, à 22h30, n’a pas forcément l’esprit alerte et réceptif à ce type de messages à double, voire à triple, sens, pleins de subtilités mais au ton toujours juste lorsqu’il annonçait posément à ses interlocuteurs qu’il allait en poser une « bien méchante ». N’en déplaise à certains, le public québécois a besoin de personnes comme lui. Surtout pour l’avenir, où il ne serait pas impossible de voir l’émergence d’un nouvel auditoire de plus en plus tourné vers des sujets d’intérêt public, vers le monde au-delà des frontières de la province. Je pense très précisément à une nouvelle génération d’auditeurs capable de ressentir que leur quotidien est également touché par ce qui apparaît, aujourd’hui, lointain. Ce monsieur Dutrizac est un précurseur, qui a tout simplement besoin de revoir la formule actuelle de son émission. Il est sain pour une société de contenir du culturel alternatif et des libres-penseurs anticonformistes, de son style, en mesure de susciter la réflexion, par d’autres voies que celles des discours politiques trop sérieux ou encore trop engoncés dans le moule journalistique. Tout ne devrait être pas une question d’audimat et de démagogie
- instantanés -, mais aussi, à plus long terme, de renouveau et de remise en question sur des idées en développement, dont il faut seulement autoriser un meilleur mûrissement.

Le « one man show » Dutrizac devrait s’ouvrir sur un concept de débat télévisé, sur un sujet donné, annoncé à l’avance et généralement d’actualité. Celui-ci possède beaucoup d’instinct et de spontanéité pour introduire des sujets chauds et à vifs du moment ; il faut lui accorder ce talent exceptionnel. Il deviendrait animateur de débat parmi des invités (5 ou 6 personnes, pas plus), comme le faisait Denis Lévesque auparavant après les nouvelles du soir. En évoquant le « one man show », il ne s’agit pas d’omettre que celui-ci donnait des interviews à la course, chronométrés à la minute près afin de répondre au « timing » imposé par l’ancien cadre de l’émission, mais de dénoncer cette limitation elle-même qui coupait tout l’élan à la dynamique du show. De tels élans brisés ne peuvent que créer des frustrations et des mécontentements de la part des auditeurs ; ces derniers, exaspérés, finissent alors par changer de « canal » et aller voir ce qui se fait de mieux chez le voisin. Normal, non ! Lorsque les nécessités de la pause publicitaire deviennent plus importantes que le contenu de l’émission principale, surtout si les thèmes sont traités à la quantité plutôt qu’à la qualité, l’auditeur est en droit de sentir qu’il n’est plus respecté. Une proposition, à examiner pour cette nouvelle formule, serait que ce débat de 22h30 durerait la demi-heure restante, après le journal du 22h, avant de céder le pas à l’émission suivante. Donc, suffisamment de temps pour créer une ambiance passionnée et passionnante, vitale à un vrai show de télé-réalité. L’idée de laisser s’exprimer les auditeurs par la voie téléphonique, en fin d’émission selon la coutume d’antan, est également à retenir. Soit une télé-réalité - en or 24 carats, s’il vous plaît ! - capable de faire participer le citoyen ; du direct, du sans filet, celui que tout le monde attend comme moyen d’expression et d’être entendu, et où tout peut arriver. Bien entendu, tout en conservant le plus de civisme possible. La liberté de chacun s’arrête là, où celle-ci commence à empiéter sur celle d’autrui ...

Le succès d’une émission comme Tout le monde en parle vient du non confinement du temps de tribune, consacré en quasi-exclusivité à une seule « grosse légume ». D’autre part, le choix judicieux des invités faisant le chou gras des tabloïds du moment, ou à l’opposé d’illustres inconnus à découvrir, fait également partie de la formule gagnante. Un savant cocktail de ces invités, dont je suis certain que Dutrizac saurait trouver la recette explosive, relancerait l’intérêt du public. De plus, pourquoi ne pas encore profiter de l’originalité de ses courtes capsules, parfois à se tordre de rires !? Celles-ci pourraient être laissées en guise d’introduction au plat du jour, c’est-à-dire au sujet de l’heure qui sera débattu. Il est fort à parier que Dutrizac, l’homme au long cigare se donnant des allures « je-m’enfoutiste », cache un être d’une grande sensibilité, qui a encore de quoi surprendre tout un public avide d’authenticité.




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