Réforme des extensions de l’ICANN : halte à la mercantilisation du web !
L’ICANN vient d’annoncer la possibilité, à compter de 2009, de créer des extensions à volonté. En clair, tout un chacun pourra créer son .machin à la place des habituels .com et autres .fr. Bonne idée me direz-vous ? Pas si sûr...
Tout d’abord, je vais revenir sur ce qu’est l’ICANN, car peu de gens connaissent ce pilier du web, avant d’en venir à cette nouvelle réforme.
L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) est un organisme sans but lucratif de droit de Californie chargé depuis 1998 de gérer le système des noms de domaines, qu’il soit national ou thématique (respectivement par exemple un .fr ou un .org). Il délègue une partie de ses missions à d’autres organismes (par exemple, c’est l’AFNIC qui est encore le délégataire pour le .fr, malgré le fait que son bilan soit désastreux et aurait dû le renvoyer dans les poubelles du web depuis belle lurette). L’ICANN s’est vu attribuer d’autres missions d’importance comme l’allocation des rangs d’adresses IP ou de gérer les serveurs racines du DNS.
Ces serveurs sont vitaux dans l’architecture d’internet, car vous vous adressez indirectement à eux chaque fois que vous tapez l’adresse d’un site dans votre navigateur. Pour faire simple, quand vous tapez "agoravox.fr", votre navigateur va demander à un ordinateur, appelé "serveur DNS" où se trouve le site en question et, si le serveur le sait, il donne la réponse à votre navigateur, s’il ne sait pas, il refile la question à un autre serveur DNS, et ainsi de suite.
Les serveurs DNS disposent chacun d’une autorité différente et, en haut de la pyramide, se trouvent ces fameux serveurs racines, gérés par l’ICANN. Enfin, quand je dis "gérés", ça n’est pas complètement vrai, puisque l’ICANN a confié cette gestion à une entreprise privée pour 5 d’entre eux (il en existe 13 sur la planète).
Imaginons que l’ICANN décide qu’une extension donnée doive disparaître, tous les serveurs DNS s’exécuteront alors. C’est déjà arrivé par le passé, lorsqu’elle décida de couper l’extension de l’Irak, au moment où les boys envahissaient l’Iraq, un pan entier du web disparut ainsi. C’est vous dire les implications éminemment politiques de son rôle. Et de facto, l’ICANN est placée directement sous la coupe du département américain du commerce (ce qui malgré tout me pose moins de problèmes que si l’ICANN était sous la maîtrise de l’ONU, mais c’est un point qui mériterait un article entier).
Autre idée pour vous faire comprendre l’importance de ces serveurs racines et, par là même, du rôle de l’ICANN : imaginons que vous soyez un pirate mal attentionné, si vous arrivez à surcharger ces serveurs racines de requêtes, c’est tout le web qui s’en trouvera congestionné, voire bloqué (c’est déjà arrivé par le passé, et c’est ce qui a conduit l’ICANN à augmenter le nombre des serveurs racines).
Après cette brève introduction à l’ICANN, venons-en donc à la réforme annoncée.
Jusqu’à présent, n’importe qui pouvait enregistrer un nom de domaine, la règle étant "premier arrivé, premier servi". Si vous étiez par exemple le président de l’association "machin", vous pouviez très bien enregistrer machin.org, quand bien même "machin" serait le nom d’une autre association plus importante, du moment que vous aviez demandé cette adresse en premier.
Désormais, n’importe qui pourra créer sa propre extension, au même titre qu’un .fr, vous pourrez très bien avoir une adresse telle que http://www.agoravox.agorax. Très bien me direz-vous, ça participe à la libéralisation des noms et tout un chacun pourra par exemple avoir une extension à son nom.
Sauf que... Sauf que cette fois, les conditions ne permettent pas aux acteurs du web d’être placé sur un pied d’égalité. Il faudra en effet plusieurs dizaines de milliers de dollars pour pouvoir créer son extension (à titre de comparaison, la création d’un domaine en .fr coûte dans les 12 euros annuellement), et l’ICANN s’assurera de la "solidité financière" du créateur. Pour schématiser, auparavant nous avions un système relativement démocratique, alors que là nous rentrons de plain-pied dans un système censitaire !
De facto, je ne vois pas ce qui justifierait un tel système (au-delà du fait que l’ICANN récupère des pépètes chaque fois qu’un domaine/extension est créé). Il est déjà arrivé que des noms de domaines se revendent plusieurs milliers de dollars, et cela n’a posé de problèmes à personne (si ce n’est à quelques marques qui ont dû faire face à des cas de cybersquatting et quelques étourdis).
Imaginons que je sois pizzaïolo à Triffoulli-les-Oies, et que je décide de créer le .pizza pour mon site. Ferais-je le poids face à Domino Pizza ? D’autant qu’en cas de litige lors de la création, le système retenu est celui de l’enchère : plus vous raquez, plus vous avez de chance de l’emporter, ce qui est proprement scandaleux ! Enfin, à l’heure où j’écris cet article, il n’est pas prévu de régulation concernant le prix des domaines associés aux extensions (http://agoravox.pizza) : si je suis détenteur du .pizza, je peux très bien m’amuser à facturer plusieurs millions de dollars pour tout domaine en .pizza et tuer la concurrence.
En agissant de la sorte, l’ICANN participe au mouvement planétaire qui veut transformer le web en un gigantesque supermarché, au mépris de ceux qui font le web, ses utilisateurs, et de l’esprit ayant participé à la création d’internet et du web.