mercredi 3 mars 2010 - par Josée Barnérias

Salon de l’agriculture quel air tu nous joues, Aïda ?

La « plus grande ferme de France » va, jusqu’à dimanche inclus, ouvrir ses portes sur le cheptel national, spectacle bien plus apprécié que celui des végétaux, même si les grosses légumes, venues en nombre, ont, elles aussi, leur part de succès. Ainsi chaque média, du modeste quotidien départemental aux prestigieuses chaînes de télé, y va-t-il de son couplet sur les étonnants produits de l’élevage français, brossés, brushés, mitraillés par les flashes, objets de toutes les attentions, sources d’émerveillement chez les enfants et d’enthousiasme chez leurs parents.
Parmi ces bêtes de scène, la « star » du salon, une magnifique vache salers qui répond au nom d’Aïda. Il y a cinq ans, explique le quotidien régional La Montagne Centre France qui a consacré à ce sujet une page entière dans son édition du 27 février, un éleveur de Sologne est venue la chercher dans son Cantal natal, et a éprouvé pour elle un vrai coup de foudre, séduit qu’il a été par « sa beauté et son caractère docile ». La journaliste, utilisant un procédé narratif bien connu, donne la parole à la belle rousse, lui ouvrant, sur une centaine de lignes, de généreux guillemets. La brave Aïda dit alors ce que l’on veut lui faire dire, exprimant tout son bonheur de servir l’élevage français et son éleveur si attentionné. Toute sa reconnaissance, toute sa joie de se retrouver dans ce temple de la production fermière, au milieu des VIP (et l’on prétendra que ce sont les végétariens qui font de l’anthropomorphisme !)…
 
On est en plein conte de fée, en plein story telling… Les vaches salers sont l’emblème de tout ce qui, dans l’élevage, nous déculpabilise. A l’image des monts d’Auvergne, berceau de leur race, et de ceux qui les peuplent, elles ne sont que robustesse, franchise et authenticité. Elles ont gardé de l’antique aurochs quelque chose de vaguement sauvage, qu’illustrent bien les longues cornes qu’elles arborent avec fierté. Elles grandissent à l’air libre, broutant une herbe sans colorants ni OGM sur les pentes cantaliennes, le mufle au vent et le sabot léger. Voilà un beau roman. Un roman qui n’a peut-être pour but que de mieux nous faire avaler notre steack, au cas où il révèlerait quelques velléités de nous rester en travers de la gorge…
 
Car, enfin, que va devenir la belle Aïda le jour où elle ne sera plus en mesure, épuisée par trop de mises bas, d’assurer sa descendance ? Après avoir vécu une vie que lui envieraient sûrement ses innombrables congénères moins chanceuses, chouchoutée, adulée, flattée de la croupe par quelque grand de ce monde en mal de reconnaissance populaire, ne risque-t-elle pas de se retrouver, elle aussi, dans l’étroit couloir de la mort, parmi d’autres « réformées », paniquée par l’odeur puissante du sang des bêtes qui stagne dans les abattoirs ?
 
Là, ce ne sera plus la même histoire… L’opéra ne jouera plus le même air. Mais cette histoire-là, il ne se trouvera personne pour l’écrire.
 


8 réactions


  • Sébastien Arsac Sébastien Arsac 3 mars 2010 10:59

    Merci Josée. Cette histoire est symptomatique de cette grande mascarade que représente le SIA.
    J’ai vu dans le secteur consacré à la viande de cochons : des porcelets se roulant dans la paille devant les yeux émerveillés des enfants et de leurs parents.
    Et le stand d’à côté, Inaporc (interprofessionnel de la viande porc) « éduque » les enfants qui doivent retrouver les morceaux de viande (le jambon, saucisson, les côtes de porc, etc) sur une maquette d’une truie grandeur nature. Obscène !


  • Fergus Fergus 3 mars 2010 11:11

    Bonjour, Josée.

    J’ai bien aimé votre article car il souligne que derrière la vitrine, il y a des réalités moins glorieuses.

    Cela dit, vous donnez vous aussi dans le lyrisme et le pathos avec votre conclusion car, dès leur naissance, ces vaches sont destinées à l’alimentation humaine et non à être parquées dans un pré pour le seul plaisir de citadins en villagiature venus les contempler.

    C’est la dure loi de l’élevage et, sauf à changer radicalement de nourriture (non seulement en viande, mais également en produits laitiers), il en ira toujours ainsi, le monde de l’élevage, déjà en difficulté, n’ayant pas pour vocation d’entretenir des dizaines de milliers de vaches retraitées et oisives.

    Ainsi va la vie, et croyez bien que je le regrette personnellement, étant amoureux de ces bêtes, et notamment de toutes les Aïda que sont ces superbes salers qui peuplent les pâturages de mon Auvergne.

    A toutes fins utiles, voici un lien avec l’un de mes articles consacré au monde bovin : « Ah… la vache !  »  


  • curieux curieux 3 mars 2010 13:04

    J’aimerais bien savoir le montant des aides européennes que touchent les pauvres exposants du SIA. J’espère qu’ils ont mis une sébille à l’entrée


    • curieux curieux 3 mars 2010 13:19

      Je ne pensais pas si bien dire. Le concert des pleureuses a commencé. Ils attendent que les digues soient renforcés avec l’argent public naturellement afin d’augmenter leur bénéfice, privé bien sûr. Remarquez que, pas comme pour Gandrange, des aides publiques sont déjà débloquées


  • elmapelki elmapelki 3 mars 2010 13:38

    Un Gourou préconisé à ses disciples de boire du lait....et lui, n’en buvait pas !!!!
    Le lait.......... « FAIT SUIVRE »........nous sommes esclaves....... Esclaves du GOUT !!!!


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 4 mars 2010 08:54

    Les paysans français devraient arrêter ce cirque, ce défilé de mode animal qui émerveille les enfants de la Capitale.

    En réflechissant une seconde ils se rendront compte qu’ils ont leurs bottes pleines de boue et de bouse 18 heures sur 24 et 12 mois sur 12 pour assurer un revenu minable , tout cela pour garnir les grandes surfaces rapaces et lieu de la gloutonnerie de la superconsommation !

    Les paysans français, vus de près ressemblent aux serfs de l’époque médievale.

    Mohammed MADJOUR.


  • Herbert Sogno revherber 4 mars 2010 09:38

    Merci Josée pour ce très joli texte
    Il nous rappelle tout le caractère manipulatoire de cette mise en scène et c’est très important de le faire toujours plus souvent, même sytématiquement ; y en a marre de la presse asservie et des moutons de Panurge élevés par millions ! Quant à Aïda, certainement bien plus chanceuse que nombre de ses congénères, je crois que même elle n’a pas un destin très enviable y compris avant la fin de sa « carrière » de reproductrice.
    Je crois que même mon prédécesseur en commentaire, Mohammed Madjour se laisse intoxiquer par le cirque qu’il dénonce : le sort des éleveurs est certainement bien moins sombre qu’il ne le considère, suite à leur propres déclamations. 


  • djea 4 mars 2010 09:38

    Je le dis depuis des années : il faut un stand abattage de bétail au SIA ! La mort en direct ! On tue, on découpe devant les gens et on déguste sur la table d’à côté !

    Allez donc promener vous petits enfants devant ce stand !

    Ah bon ? vous ne voulez pas ? Posez-vous la question sérieusement, pourquoi ?

    Je suis végétarienne depuis longtemps, m’en porte d’autant mieux , prises de sang à l’appui. Je ne veux pas participer à tout ça, mes enfants non plus. Sortons de notre caverne.


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