jeudi 24 mars 2022 - par Bernard Dugué

2022 → Une drôle d’élection, entre catastrophe et renaissance

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 0) Il semble ne rien se passer ou presque dans cette campagne politique convenue et pourtant présente dans les médias. A se demander si les candidats ne sont pas instrumentalisés pour servir de faire-valoir aux journalistes sur les plateaux médiatiques. Cette morosité en esprit et en idées n’empêche pas de tenter quelques regards croisés sur ces élections en les recadrant dans un contexte plus large. 

 

 1) Interrogé récemment sur l’état du monde, Boris Cyrulnik distingua la crise de la catastrophe. Une catastrophe désigne un événement soudain bouleversant le cours des choses avec une intensité et une violence inouïe. Catastrophe vient du grec καταστροφή qui signifie renversement (vers le bas). Le monde est dévasté, renversé, retourné, perdant sa verticalité et s’aplatissant à l’image d’un champ de ruine. En revanche, une crise se surmonte, se résorbe et que le système revient à son état antérieur. Ce qui n’est pas tout à fait exact, une crise désigne une instabilité d’un système nécessitant la mise en place de procédés permettant un nouvel équilibre. Le monde donne l’illusion d’être revenu à son état antérieur mais on ne revient jamais en arrière. Après une crise, un une société ou un organisme est plus ou moins transformé ; il a acquis un savoir grâce à l’expérience de la crise. Une infection virale est en général surmontée et l’organisme acquiert une mémoire immunitaire permettant de faire face à la prochaine rencontre avec le virus. La crise financière de 2008 a été surmontée avec l’appui des banques centrales et l’intervention du politique. Les Etats ont façonné de nouveaux outils de gestion pour les crises financières. En 2012, les économies avancées ont retrouvé le monde d’avant. Avec des situations contrastées d’un pays à un autre, d’un ménage à un autre. En réalité, le monde est en permanence en crise, il est instable, il fluctue, et se transforme progressivement. Certaines crises sont intenses au point de devenir visibles en produisant des secousses de grande amplitude.

 La catastrophe est plus rare. Le monde contemporain a connu deux catastrophes majeures, avec le conflit de 1914 et celui de 1939. Ces deux événements ont été d’une intensité rare, surtout le second. Des morts par millions. En 1918, l’Europe était dévastée et ce fut la fin de deux empires, Ottoman et Austro-Hongrois, alors qu’un autre empire naissait à l’est, l’Union soviétique. En 1945, l’Allemagne était anéantie, le Japon fracassé et le monde fut scindé en deux blocs. Après une catastrophe, les dégâts matériels et corporels sont immenses et les esprits sont puissamment marqués mais de manière différenciée selon l’endroit où l’on se situe.

 

 2) En 2022, la France se prépare à élire son président et dans la foulée, son Assemblée. Ces élections interviennent dans un contexte anxiogène dont les causes sont aisément cernables. Les pays tentent de sortir de deux ans de crise pandémique gérée avec une relative brutalité par les gouvernements sans pour autant que la situation eut été catastrophique, même si cette crise sanitaire fut très mal vécue par certains de nos concitoyens. L’impact psychique de cette pandémie ne doit pas être négligé. Si la normalisation endémique se produit, le retour à une vie normale est envisageable mais prendra du temps, surtout pour ceux que le virus a effrayés, sans oublier les patients affectés par un Covid long. Les crises se succèdent. Nous ne sommes même pas sortis de la crise sanitaire que de nouveau, une vague d’anxiétés se propage avec la terrible guerre en Ukraine. Nous voilà en crise alors qu’en Ukraine, c’est une catastrophe qui s’abat sur ce pays que se disputent l’Union européenne et la Russie.

 Les observateurs inquiets ont pointé le retour du tragique en Europe avec la pandémie et maintenant la guerre à quelques cent kilomètres des pays européens. La situation est imprévisible et rien ne permet de prédire une fin des hostilités ou alors une réaction en chaîne dont on connaît le principe. Tout dépend de la quantité de « combustible » fourni par les deux parties et de la mise en place de pare-feux permettant de freiner la réaction. La guerre n’en est qu’à ses débuts, rien ne permet de prévoir sa durée ni son extension pour l’instant peu probable mais pas à exclure et largement envisagée sur les plateaux médiatiques où experts et journalistes se pressent d’étudier la possibilité d’une extension du conflit en agitant les arguments anxiogènes, le nucléaire, l’hypersonique, le chimique. Côté épidémie, la vague du second Omicron se dessine et engendre son cortège d’inquiétudes pour les populations craintives. La plupart des experts anticipent une normalisation endémique mais certains n’excluent pas l’émergence d’un variant hybride aussi contagieux que le Omicron et aussi dangereux que le Delta. L’insécurité matérielle plane aussi sur les âmes, avec les peurs climatiques, les restrictions énergétiques et la montée des matières premières. Comment réfléchir, se projeter dans l’avenir et voter sereinement dans ce contexte ? L’Etat propose des plans de résilience mais ce sont surtout les populations qui devraient être résilientes en conscience et en liberté de pensée.

 

 3) Résilience, un « bon mot » qui nous renvoie aux propos de Cyrulnik qui popularisa ce concept assez ancien et qui vient de sortir un nouvel essai consacré aux maux de notre époque et aux moyens de les surmonter. Le psychisme est lui aussi gouverné par les principes de la réaction en chaîne. Les conversations, les informations alimentent les peurs, les anxiétés, et l’âme dispose ou pas de puissants moyens pour stopper les effets anxiogènes. Une solution étant de stopper les informations et rester dans sa bulle mais comme la vie impose une ouverture sur le monde, la bulle est souvent traversée par les formes anxiogènes. Mais il y a mieux que la résilience, la renaissance, un éveil au changement, un retournement vers l’avenir, une nouvelle direction. Les uns regardent dans un passé et une histoire qui les engloutit, les envoute, alors que d’autres savent regarder l’histoire pour la retourner et renaître en se transfigurant dans une nouvelle naissance à venir.

 

 4) Autre notion popularisée par Cyrulnik que les « mangeurs de vent », image utilisée pour désigner les personnages qui en jouant sur les peurs et les incertitudes, diffusent une parole envoutante capable de capter les âmes et les orienter dans des voies politiques contestables. En ces temps de crises et de menaces, les populations cherchent des protections et certains n’hésitent pas à se positionner en sauveurs. Hélas, ces personnages ne sauvent rien mais accompagnent le pays vers la catastrophe ou carrément le poussent vers le désastre. L’Histoire est marquée par ces obscurs personnages capables d’agiter et de séduire les masses. Dans les années 1940, alors exilé aux Etats-Unis, le romancier et essayiste Hermann Broch livra un portrait saisissant de ces personnages inquiétants qu’il définissait comme des agitateurs démoniaques, maniant le verbe et la gestuelle en jouant sur les émotions et les passions irrationnelles tout en façonnant habilement des récits construits comme des mythes.

 De nos jours, le storytelling regorge de petits récits faisant office de mythes, censés donner du sens à l’existence et à l’action politique. D’autres jouent sur les grands récits. Avec deux obsessions, l’Histoire, avec la peur d’un retour d’anciens démons et la quête d’une grandeur retrouvée. Le président Poutine est hanté depuis 20 ans par le retour de la Russie impériale, celle de Pierre le Grand et même d’Ivan le Terrible, autoproclamé tsar de toutes les Russies. L’histoire de France est un fantôme qui hante la campagne politique de 2022, un fantôme dont les candidats savent jouer avec la complicité des médias. Les dystopies ont aussi une part de marché, avec l’apocalypse climatique ou alors la catastrophe d’un grand remplacement. Deux thèmes dominent la campagne politique ou du moins ce qui en reste, le pouvoir d’achat et la sécurité. Bref, les citoyens ne se projettent ni dans un grand récit national, ni une espérance à venir ; la plupart pensent le monde en fonction du bien ou du mal vivre qu’ils peuvent en tirer, dans un environnement proche avec des préoccupations matérielles sur le moyen terme. Ce sont ces thèmes qui ont été captés par les candidats dont le succès tient à leur aptitude à absorber telle une éponge les émotions et autres passions tristes ou positives de leurs électeurs potentiels. La crise politique est perceptible. Le président sortant sera élu dans les urnes en faisant face à une majorité composée de méfiance, défiance, ressentiment et même détestation. Une absence de majorité claire à l’Assemblée sera ou bien un facteur de crise, bloquant les décisions gouvernementales, ou bien un élément modérateur, tempérant ces mêmes décisions. Quoi qu’il en soit, les législatives ont plus d’importance pour les Français que la présidentielle jouée d’avance pour des raisons inhérentes à société française et au contexte international.

 

 5) Le cours des événements est incertain. Les facteurs pouvant freiner ou alimenter la réaction en chaine sont nombreux et les populations ni même les experts ne peuvent savoir ce qu’il y a dans la tête des dirigeants ni anticiper les effets systémiques des décisions prises dans le domaine économique. La catastrophe est devant nous et comme on le voit avec le coronavirus, la situation est imprévisible, avec une atténuation de la virulence des agressions, des confrontations, ou une intensification. L’élection présidentielle perd de son sens dans ce contexte où le pays est livré à des événements et des faits sur lesquels il n’a pratiquement aucune maîtrise. Comment se projeter dans l’avenir ? Une renaissance est possible, entre les « mains » de chaque personne si elle prend conscience du chemin. Le choix entre catastrophe et renaissance est une décision historique plus essentielle que l’élection présidentielle et engage chacun sur un chemin long et une temporalité qui n’est pas celle du consumérisme, du bougisme, des clics et des écrans tactiles. Ne pas oublier cependant les législatives. Pour donner un contre-pouvoir citoyen face à un président qui décide de tout.

 

 Renaissance ? Les signes envoyés par les physiciens sur la gravité quantique annoncent une renaissance de la science.



6 réactions


  • Lynwec 24 mars 2022 09:14

    Truquée avant, truquée pendant, truquée après. Rien de nouveau sous le soleil...

    A part si des milliers d’observateurs restent au dépouillement et prennent note des résultats et de l’absence de bourrage d’urnes, on aura les résultats habituels.


  • Clark Kent Kaa 24 mars 2022 09:15

    Renaissance de quoi ?

    Les humanistes italiens du XVème siècle ont inventé ce concept pour faire croire qu’il y avait continuité entre la « civilisation romaine » qui aurait été anéantie par les barbares et l’âge d’or des banquiers florentins fournisseurs de papes qui allaient redonner aux anciennes colonies de l’empire le rayonnement qu’elles avaient perdu en devenant indépendantes. Ce mythe a permis de légitimer les Borgia, les Médicis, mais aussi Mazarin, Mancini, etc.

    Au passage, ils ont fourgué Léonard pour la culture. Ça fait bien dans le tableau.

    Mais en ce moment, de quelle renaissance s’agirait-il ? L’empire qui nous domine et plutôt en déclin, mais il n’est pas mort. Et si cela se produisait, qui appellerait à sa « renaissance » ?


  • Yann Esteveny 24 mars 2022 09:17

    Message à tous,

    Le pire en terme de parution reste à venir sur Agoravox. Le décès de Madame Madeleine Albright le 23 mars 2022 va immanquablement conduire à la parution d’un article tout à sa gloire rédigé par les thuriféraires de l’oligarchie qui prospèrent sur ce site !


    • Lynwec 24 mars 2022 10:14

      @Yann Esteveny

      Gâcheur ! Après votre commentaire, l’effet de surprise d’une article dégoulinant de flagornerie de Rototo ne se produira plus.
      Bien au contraire, tous vont saliver et trépigner dans l’attente de ce festin pour gourmets littéraires...


    • Clark Kent Kaa 24 mars 2022 10:30

      @Lynwec

      Depuis Bossuet, c’est quand même ce qu’on a fait de mieux !

      Et vous avez raison : pour Voltaire, les oraisons funèbres réclament « de l’imagination et une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poésie […] Les sujets de ces pièces d’éloquence sont heureux, à proportion des malheurs que les morts ont éprouvés. C’est en quelque façon comme dans les tragédies, où les grandes infortunes des principaux personnages sont ce qui intéresse davantage.  »

      Alors, pour Madeleine j’attends au moins l’équivalent de l’éloge d’Henriette de France et une diatribe contre la Réforme et sa « fureur de disputer des choses divines sans fin, sans règle, et sans soumission. »


  • Samy Levrai samy Levrai 24 mars 2022 09:27

    Une terrible maladie et maintenant Poutine qui veut refaire l’URSS par la force... bel article de mamamouchi.

    Je me moque pas mal de cette élection truquée et sans alternative au parti unique euro atlantiste. 


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