Après Marx et le Libéralisme. Le spirituel et le religieux comme salut pour sortir du despotisme technumérique
1) Une rupture s’est produite dans les savoirs au milieu du XIXe siècle. Machines thermiques, entropie et flèche du temps en physique. Darwin et la découverte de l’Evolution. Marx et division en deux classes inscrites dans l’Histoire et l’accomplissant. Marx a compris la grande mutation du travail à l’époque industrielle, propulsant un nouveau monde.
2) L’Histoire contemporaine a un sens, expliqué par un triptyque avec le Capital de Marx au centre, Auguste Comte et Hegel de part et d’autre. Comme l’a noté Raymond Aron, Marx est bien plus sociologue que philosophe ou historien. Marx est le sociologue d’un monde productif qui en a remplacé un autre. Les deux classes sont constituées de deux types humains, le bourgeois propriétaire et l’ouvrier prolétaire. La doctrine de Marx est valable jusque dans les années 1930. Ellul l’avait compris et Jünger expliqua de quelle manière et dans quel sens le Travailleur est une figure métaphysique.
3) Après la fin de la guerre en 1945, les sociétés occidentales ont été frappées d’une distorsion sémantique. Les citoyens ont apprécié la démocratie et certains ont cru dans l’avènement d’un monde meilleur, plus juste et même gouverné par la classe des travailleurs. En réalité, les réformes entrecoupées de crises politiques ont accompagné les évolutions économiques et sociales. La démocratie et l’alternance ont été la règle et le giscartisme voire le giskennedysme la doctrine. Néologisme combinant les deux des figures centrales d’une époque marquée par l’ascension des classes sociales, Valéry Giscard d’Estaing et Jimmy Carter ou bien JFK.
4) Comme souvent dans l’histoire, les époques sont traversées par des malentendus. Les hommes agissent dans une direction qui souvent, n’est pas cohérente avec leurs principes, leurs valeurs. L’homme moderne s’y connaît en diversion sémantique. Bien souvent, il pense œuvrer au service du bien public, du progrès collectif, alors qu’il ne pense qu’à améliorer sa situation, ce qui n’a rien de condamnable. Le jeu démocratique a favorisé le compromis, le modèle social. La France pour tous fut promise par le dernier représentant du « giscartisme », Chirac, mais la promesse n’a pas été tenue. Les deux présidents suivant, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont accompagné le déclin des grands partis ayant gouverné après les Trente Glorieuses. Bien que conservant une position correcte dans l’économie et le développement technique, la France politique s’est affaiblie, affectée par un syndrome de Weimar peu sévère mais dont la conséquence fut la prise de pouvoir par Emmanuel Macron.
5) Dans les anciens récits circulant à l’époque industrielle, marxienne et libérale, les luttes sociales devaient amener un nouveau monde, mais l’objectif fut revu à la baisse. Les luttes sociales étaient destinées à conquérir des avantages, puis après 1996, à défendre les acquis. Mais comme tout n’est pas possible, des compromis furent actés. La France de Macron est divisée entre les insérés dans le système, les grands gagnants de l’élite économique et administrative, les perdants et les déclassés. Le mouvement des gilets jaunes a été la Commune des déclassés. En précisant que le déclassement est livré à l’appréciation de chacun. En plus des déclassés se sentant menacés, il y a les délaissés, une classe sociale émergente dans le monde numérique et désignée comme les inutiles par Yuval Noah Harari.
6) Le Covid a certes éteint le mouvement des gilets jaunes mais il a aussi dévoilé les intentions des élites politiques, des gouvernants, des médiarques. La division gauche droite fut héritée de la division en classes. Les formes politiques se sont transformées. D’autres divisions sont apparues, France d’en haut ou d’en bas ; dans ou hors le système, insertion ou exclusion sociale ; progression ou déclassement ; nomades utilisateurs du monde ou sédentaires dans les territoires perdus, gagnants ou perdants de la globalisation. Cette division est d’ailleurs inscrite dans une formule calamiteuse du président Macron affirmant que dans une gare se croisent les gens qui ont réussi et ceux qui ne sont rien. Ces nouvelles divisions sont à la racine des mouvances émergentes improprement désignées comme populistes, comme si le déclassement, la paupérisation, le désarroi, le mal-être, étaient des qualités du peuple. Alors que dans le camp opposé, les élites et les gens ayant réussi se seraient extraits de la malédiction populiste et vivent la mondialisation heureuse, sereine.
7) Je trace une image volontairement caricaturale pour indiquer les tonalités politiques dans la France de 2022. La République en marche apparaît comme la mouvance des gens heureux et/ou satisfaits, alors que le Rassemblement National viserait plutôt les gens malheureux et/ou mécontents. Les Verts visent les rigoristes de l’action écologique. Pour le reste, Jean-Luc Mélenchon représente la mouvance des aigris, des nostalgique du grand soir de l’internationale. Quant à Eric Zemmour, il vise les nostalgiques d’une nation qui ne reviendra plus. Pour finir, le PS et le LR incarnent les valeurs refuges, à l’image des placements effectués fonds en euro.
Synthèse. La France a connu des évolutions décisives depuis la fin du communisme, la globalisation, l’ascension de la Chine, les technologies du numérique. La société a changé, elle s’est fragmentée en territoires, en catégories non plus sociales mais placées sur une échelle de risque, avec cependant une grande inégalité dans le patrimoine. Les cerveaux ont été impactés par les réseaux sociaux. Les partis historiques, PS et LR, ne parviennent plus à « capturer » le schéma sociétal. Leur logiciel n’a pas été mis à jour ou s’il a changé, ce logiciel n’est pas le bon. Les partis de la droite nationale utilisent des vieux logiciels, Barrès, Maurras etc. La France insoumise se perd dans un anticapitalisme mélangé à la transition écologique. Seule LREM utilise un logiciel ajusté aux évolutions du monde, un logiciel pour faire fonctionner le pays, mais dont la limite est d’imposer une vision scientifique et normative de ce que doit être le monde et le mode d’existence des citoyens. Cette vision est actualisée par un modèle étatique inclusif pratiquant l’ingénierie et le contrôle sociale à un haut niveau, avec le risque de mettre sur les marges une partie de la population. Est-ce soutenable, est-ce la société que nous consentons à accepter en fermant les yeux ?
8) Les changements du monde technumérique amorcés il y a deux décennies, renforcés après 2010, ont été accentué par la pandémie de Covid. Nous sommes embarqués dans un tunnel dont nous ne voyons pas l’issue actuellement. Comme noté par ailleurs, quelques résonances sémiotiques avec la peste de 1350 suivie de la guerre de cent ans. Marx avait entrevu le règne absolu de l’économie et pressenti celui de la technique. La question du capitalisme a été centrale depuis un siècle et demi. Le philosophe André Comte-Sponville a montré que le capitalisme est à l’écart de la morale, le système productif n’étant ni bon ni mal. Est-il aussi à l’écart de la politique ? Oui, sauf si l’Etat s’empare du capitalisme, ce qui fit depuis les débuts, en laissant filer les profits, observant les crises et reprenant la main. L’Etat est devenu la courroie de transmission et de régulation pour le système productif. L’Etat est devenu un ressort pour affronter la concurrence. Une formule facétieuse a indiqué que la lutte des classes était terminée et que les capitalistes avaient gagné. En France, deux ruptures ont créé un malentendu entre les citoyens et le modèle social. Première étape, la conversion de la France à la « real politik » de la concurrence en 1983 sous le gouvernement Fabius. Puis la mise en concurrence globale s’est achevée avec la politique de l’offre promus par le tandem Hollande et Valls en 2015, mais déjà dans les tiroirs de la mouvance macronienne inspirée par Attali et les Gracques.
9) A l’âge technumérique, les sociétés sont organisées avec deux principes, la ferme industrielle et la logique des camps, des parcs. Produire, consommer, accéder aux biens et services, se fondre et s’insérer dans la grande machine productive. Se protéger, mettre des barrières, trier les individus, mettre des passes, des codes d’accès. Ces deux principes ont été appliqués au néolithique par l’homme afin de domestiquer l’animal puis le parquer dans un enclos. En 2022, deux axes orientent la campagne présidentielle, le pouvoir d’achat et la sécurité. Aucune issue inédite pour le monde, les hommes enfermés dans les addictions consuméristes, les peurs multiples. La devise du nouvel empire, c’est du pain, des jeux, des grilles et des murs.
Sommes-nous destinés à vivre dans cet empire, avec les règles, démocratiquement instituées, celles du parc et du camp, ou à le transformer ? Nous devons aussi nous demander comment nous vivons dans cet empire et comment nous pourrions le transformer si nous décidons de changer de mode de vie. Je crois bien qu’il n’y qu’une seule alternative, celle qui met face à face deux aspirations antagonistes sur certains points et complémentaires pour d’autres aspects. La sécurité ou la liberté, l’individualisme consumériste ou l’amitié et le partage. Le matérialisme ou l’éveil spirituel. Les industries culturelles ou l’aspiration vers le Beau et l’Art.
L’éventualité d’un éveil spirituel, surtout chez les jeunes, est peu probable. Les codes du spirituel passent par des voies et des voix que l’on entend que si l’on s’y prépare, si on l’espère, si on le veut. Si une mutation des âmes advient, elle aura des répercussions dans le domaine politique. L’inverse ne se vérifie pas. Le politique a rarement éveillé les consciences vers les hauteurs de l’esprit. Le politique aurait plutôt tendance à fermer les âmes citoyennes pour les amener à coopérer avec les instances dirigeantes pour des objectifs dont elles ne sont pas les auteurs. L’éveil spirituel, c’est aussi être l’auteur d’une vie, en partage, en amitié, en élévation.
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Je ne crois pas qu’un individu isolé puisse s’élever spirituellement et que ceux qui l’entourent n’en tirent aucun profit. Je crois en l’advaita, en l’unité essentielle de l’homme et de tout ce qui vit. Si donc un seul homme avance d’un pas dans la vie spirituelle, l’humanité tout entière y gagne. En sens contraire, la régression d’un seul fait faire un pas en arrière au monde entier.
GANDHI : Tous les hommes sont Frères