samedi 3 avril 2021 - par LATOUILLE

CoViD et Politique

BFM invite quasi quotidiennement une porte‑parole du mouvement La République En Marche qui, avec la constance des faibles d’esprit, renvoie systématiquement à ses interlocuteurs qu’ils font de la politique dès lors qu’ils critiquent la gestion de la pandémie telle qu’Emmanuel Macron la pense et la conduit. Peut-on être en société sans faire de la politique ?

E. Macron dont elle est un des perroquets enrubannés, qui fut pendant un court temps de sa jeunesse chargé de classer les archives du philosophe Paul Ricoeur, pourrait lui dire, sinon lui expliquer, comment celui-ci distinguait le politique, comme structure de l’action en commun, et la politique, comme activité gravitant autour du pouvoir, de sa conquête et de son exercice. Ainsi, si on peut penser qu’un représentant d’un mouvement ou d’un parti politique (justement « politique ») peut dans sa démarche et ses propos dépasser « le politique » pour se situer dans « la politique » ce qui n’est que de l’ordre de la normalité, comment peut-on penser de même à propos d’un médecin qui vient expliquer une situation sanitaire catastrophique ?

Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, le seul fait d’analyser, de critiquer et de rendre compte d’une situation ne suffit pas à positionner le sujet dans « la politique » au sens qu’en donne Ricoeur dans cette citation, mais il est bien dans « le politique » puisqu’il s’agit de structurer une action en commun. Par essence cette démarche se situe autour du doute, de la réflexion et donc dans le débat. Le débat c’est justement ce que refusent Emmanuel Macron et ses affidés qui n’hésitent pas à jeter l’opprobre et l’anathème, notamment en ce moment contre les scientifiques et contre les médecins. Comme César dans l’album « Astérix et la zizanie » il envoie un Tullius Détritus, un Romain qui a un don inouï pour provoquer des disputes, la discorde. On ne reviendra pas ici sur la façon abjecte qu’il a eue, avec la complicité de nombreux journalistes, de diaboliser les Gilets Jaunes et ce faisant d’entraîner la population molle et apeurée à les classer dans les cohortes de barbares ; il a réitéré avec le séparatisme pour stigmatiser les musulmans et ainsi renforcer le racisme et la xénophobie, puis il y eut l’islamogauchisme à l’université. Cela ne fait que traduire la pensée binaire et réductrice du macronisme : dans une gare il y a ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien… Alors, concernant la gestion de la pandémie il y a ceux qui agissent, et peu importe ce qu’ils font, et ceux qui critiquent et donc qui ne sont rien. La parole de ces derniers est confisquée au nom d’un principe macronien suivant lequel quiconque critique Jupiter fait de la politique alors que « le nouveau monde » rejette la politique, aussi le politique, pour gérer la start-up Nation comme une banale entreprise. La critique, le débat sont interdits, seuls comptent le projet et la stratégie du chef.

Dès lors, l’arme utilisée par cette jeune femme, porte‑parole de LREM, au regard assez terne, en reprenant les éléments de langage imposés par l’Élysée, c’est de colorer les médecins, et les membres de l’opposition, en suppôts de « la politique » faisant reposer sa rhétorique (si on peut appeler son discours comme cela) sur une analyse selon laquelle les Français rejetteraient la politique. Certes les Français rejettent la politique politicienne telle qu’elle se pratique, mise en exergue par l’Affaire Fillon, et dont le mode de fonctionnement a été exacerbé par E. Macron alors qu’avec la promesse d’un Nouveau Monde il voulait, disait‑il, épurer la Démocratie et la République et apurer le contentieux installé entre les citoyens et les gouvernants. Ainsi nous avons retrouvé le mépris des gens, les mensonges, les trafics de toute sorte, les magouilles… la protection éhontée des copains. Les Français rejettent cette politique « politicienne » qui ne vise que la conquête du pouvoir, qu’à s’y maintenir, et surtout à en tirer privilèges, faveurs et avantages. Mais, les Français, même si la participation aux élections demeure faible, sont toujours passionnés par « le politique » et le débat politique qui vise à structurer une société du commun.

La citation de Paul Ricoeur donnée en début de ce texte amène une dichotomie tranchée entre ce qui de l’ordre de la société « en action » : le politique, et ce qui ne serait que de l’ordre de la conquête du pouvoir : la politique. Bien évidemment Paul Ricoeur est allé au‑delà de cette catégorisation un peu simpliste et immensément réductrice. Il ne m’est pas apparu que pour lui « la politique » ne se réduise qu’à la conquête du pouvoir, car la question de savoir qu’est-ce que la politique est une question qui a traversé les siècles, l’histoire de l’humanité et la pensée philosophique. Simone Goyard‑Fabre débute son ouvrage « Qu’est‑ce que la politique » (ed Vrin) ainsi : « S’interroger sur ce qu’est la politique est une question que chacun croit entendre et qui, pourtant, a traversé les siècles. Cette obstination est le signe de sa difficulté.  », ce qui en soi peut montrer la difficulté de la question. La difficulté à définir la politique est d’autant plus grande qu’elle est une activité proprement humaine intimement liée à la socialité ; point de société sans politique que nous la prenions au masculin ou au féminin. Pour notre propos ce n’est point tant de savoir si ce que disent les médecins se situe dans l’une ou l’autre catégories, le politique ou la politique, telles que situées par la citation de Paul Ricoeur car peu de choses dans une communauté humaine échappent à la sphère politique. La question essentielle est celle que pose Simone Goyard‑Fabre : « Comment l’essence de ce qui est politique – le politique – détermine‑t‑elle ce type d’activité qu’on appelle la politique ? » Ainsi, poser d’emblée que seraient de la politique au sens de conquête du pouvoir toute information sur une situation qui donnerait à voir une image différente que celle voulue et décrite par le gouvernant comme le serait toute critique, au sens d’examen en vue de porter un jugement, apporter par quiconque y compris un membre d’un autre parti politique que celui du gouvernant, est une imposture qui vise à faire illusion en dressant un anathème et à ostraciser du débat politique tous ceux qui ne se soumettent pas à la pensée dictée par le gouvernant.

Peut-être, mais c’est un risque pour le gouvernant, surtout s’il est un tant soit peu narcissique, de perdre sa toute-puissance, faut-il suivre Claude Lefort lorsqu’il écrit dans « Essais sur le politique » : « Cette recherche interdit de désigner la politique comme un secteur particulier de la vie sociale, elle implique au contraire la notion d’un principe ou d’un ensemble de principes générateurs des relations que les hommes entretiennent entre eux et avec le monde. » C’est donc dans l’action (et peut-être dans son intentionnalité) que nous devons situer la Politique revenant ainsi à la citation de Paul Ricoeur, mais pas dans une définition, stricte et catégorisante, comme l’évoque Claude Lefort : « Ne faut-il pas plutôt convenir que toute définition, que toute tentative de fixer l’essence du politique entrave le libre mouvement de la pensée, et que celui‑ci tout au contraire ne se soutient qu’à la condition de ne pas préjuger des limites du politique, de consentir à une exploration dont les chemins ne sont pas connus à l’avance ? » Dans la même veine, une pensée pragmatique ne doit-elle pas nous obliger à recevoir le discours de l’Autre comme un enrichissement plutôt que comme une menace ? Bruno Jeudy, qui n’est pas un va-t-en-guerre mais dont l’intelligence est fine, l’a rappelé à Julie Graziani sur le plateau de BFM TV lorsqu’à la remarque de cette dernière critique quant aux discours des médecins et de l’opposition politique, lorsqu’il a dit que le gouvernement pourrait être heureusement inspiré en écoutant et en prenant en compte ces discours. Mais, le gouvernant qui disqualifie le discours critique en le qualifiant comme de la « politique » manifeste son insécurité en situant le discours de l’Autre dans la sphère de la menace. Nous arrivons ainsi dans le registre de la peur contre laquelle le gouvernant ne dispose que de trois armes : la fuite, la disqualification de l’adversaire et la dérision. La première et la dernière ne sont pas au râtelier de la macronie, il ne reste donc aux suppôts de Macron que la disqualification des critiques pour tenter de se sauver quand ils se sentent menacés. Les Gilets Jaunes étaient des brutes sanguinaires, les médecins font de la politique, les uns comme les autres voudraient prendre la place de Jupiter.

Dès lors si toute parole est interdite, que reste‑t‑il de place pour la pensée sur la société ? Comment se construiront la démocratie et la république ? La gestion d’une crise sanitaire est au plus haut point un fait social c’est-à-dire une manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure, il est donc légitime, voire par essence, que les acteurs de la société s’en emparent dans le cadre d’une pensée et d’un discours qu’ils ont le droit, dans le cadre de la liberté d’expression et de la liberté politique, de porter à la connaissance des citoyens. C’est comme ça que fonctionne une démocratie, si la pensée et l’expression se réduisent à celles du chef nous sommes pour le moins dans une autocratie. Ainsi, les médecins qui portent un regard critique sur la gestion de la crise sanitaire font de la politique et c’est heureux pour le fonctionnement et l’avenir de la démocratie en France.



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