lundi 3 novembre 2008 - par Martin P.

De la « neuropathie sensitive congénitale » du système financier

La crise souligne, par l’amplitude et la soudaineté de la baisse des cours de bourse, le rapport distendu qu’entretient le milieu financier avec une réalité économique affectée, elle, par nature, d’une certaine masse d’inertie. En somme, la bourse est à l’économie réelle ce que Hollywood est à la vie quotidienne. Et ses acteurs, dont certains croient pourtant que le monde est menacé à chaque épisode, n’ont jamais vraiment "eu mal". Quand ils vont faire les courses, les millions "perdus" dans la journée ne leur interdit pas de s’offrir de bonnes bouteilles.

Dans ce milieu, on se dit qu’au final la crise se traduira pour les banques par une recomposition du paysage, après quoi tout pourra recommencer. Ainsi, telle grande banque française (selon Le Canard enchaîné) aura pu matraquer les cours de telle autre (Natixis), en alimentant des rumeurs et en contribuant ainsi à entretenir la panique (peut-être dans le but de l’acquérir à bon compte), et pourra poursuivre ses tribulations jusqu’à cette fameuse consolidation du secteur bancaire annoncée, ceci en toute inconscience des dégâts réels causés dans la vraie vie.

Plus grave, à aucun moment ne viendra à l’idée des banquiers que c’est ce type de comportement qui, quand tous font pareil, produit des mouvements de foule meurtriers au moindre bruit suspect, suivis évidemment d’une longue période d’attente retranchée et craintive. Passé la crise, ils plaideront donc pour pouvoir continuer à jouer, et c’est ce qui devrait leur être refusé. C’est un peu cette sorte de maladie d’insensibilité à la douleur qu’a justement soulignée DSK en répondant à la question "Est-ce que la peur est le pire ennemi de l’économie, comme le dit Nicolas Sarkozy ?", ceci : "Le plus grand danger, c’est qu’on oublie la peur".

Donc, si on s’accorde à dire que les règles doivent évoluer, encore faut-il s’accorder sur l’objectif, c’est-à-dire réintroduire un peu de rapport à la réalité dans le système, pour lui donner un peu de stabilité, ce qui in fine est ce qui est demandé par l’"économie réelle". Devraient donc être visées toutes les techniques d’enfumage et de pur "jeu avec le marché".


  • Devrait être interdite par exemple la possibilité de "titriser" tout avec n’importe quoi, méthode d’enfumage qui ôte à la valeur d’un titre son identité comme actif économique. C’est-à-dire vider du "marché" ses composantes illisibles, ne reposant au mieux que sur des notes d’agences, elles-mêmes faciles à enfumer voire intéressées à la partie. Composantes du coup destinées à servir de support aux "produits dérivés" qui utilisent ledit marché comme une réalité autonome.
  • Devrait être questionné l’intérêt, pour l’économie réelle, de la fréquence et des volumes d’échanges sur les places boursières. Si on peut admettre que la bourse peut servir de source de financement à une société au moment de son introduction, difficile de comprendre qu’on fournisse aux "traders" (dont on admet par ailleurs qu’ils fonctionnent comme des funambules extralucides sous cocaïne, réduits à se fier à des rumeurs) les outils pour donner libre cours à leur hystérie collective. Pourquoi ne pas limiter les opérations par exemple à une par semaine, par titre et par opérateur ? Personne n’en serait gêné au sein de l’économie réelle.
De manière générale, peut-être faudrait-il cesser de considérer le marché financier comme un "idéal" perverti par des vilains qui cachent des choses, et qu’il conviendrait d’"aider" en le fluidifiant et en permettant tout type d’opération pourvu que cela "reflète" l’état d’esprit du moment. De le considérer comme une sorte de divinité capable d’anticiper les effets de toute réforme et donc rétif a priori à toute régulation dans son mode de fonctionnement.

Peut-être faudrait-il, au contraire, réduire la part de jeu, limiter la possibilité d’agir sur les cours analysés en soi, ingénierie mathématique à l’appui (qui attire d’ailleurs tant de polytechniciens, dit-on). L’instabilité, voire la panique, se fonde sur un système qui rend les choses intangibles, furtives, et éphémères. Ces trois caractères sont un luxe à l’usage de certains que les autres paient cher.


9 réactions


  • Francis, agnotologue JL 3 novembre 2008 18:55

    Yaka, faucon !?


    A part Chuck Berry et le titre, qui décoiffe, quel est l’intérêt de cette intervention ?


    • JeanPato 3 novembre 2008 21:56

      A informer et à faire partager une vision des choses et un raisonnement...


    • Francis, agnotologue JL 4 novembre 2008 08:22

      Bon, je suis injuste. Mais la nature de cet article est insaisissable. Entre les états d’âme de l’auteur, les "c’est pas bien" et les "faut que", on hésite : quel est le fil conducteur, où est l’idée ?

      Pour être constructif, je répèterai ici par exemple, ce que M. Rocard disait l’autre jour à la radio : dans les écoles de commerce on n’enseigne même plus Marx, mais on y apprend les techniques mathématiques qui permettent de faire des coups douteux. Oh, bien sûr, ce n’est pas présenté comme tel dans les programmes : non, c’est présenté comme des techniques qui permettent aux financiers de se prémunir contre les risques. Bel euphémisme !

      Je dirai dans la même idée également que les Traders présentés comme des génies sont payés à des niveaux qui les mettent hors de portée des budgets de tout organisme démocratique quel qu’il soit, et que seules des société qui croulent déjà sous la fortune peuvent employer.



    • Francis, agnotologue JL 4 novembre 2008 12:09

      Une excellente analyse et des propositions qui vont dans ce sens là :

      http://www.cadtm.org/spip.php?article3845


  • Blé 4 novembre 2008 07:16

    Il me semble que ce serait légitime que ceux qui produisent les richesses d’un pays, participent aux choix politiques.

    Dire aux nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail qu’ils devront travailler jusqu’à 70 ans pour que les rentiers et les actionnaires s’en mettent plein les poches est une perspective plus proche de l’esclavagisme que d’une démocratie.

    Pour le moment, Sarko met en place le programme du MEDEF avec la bénédiction de nos élites politiques qu’ils soient du P S (qui n’a rien d’un parti de gauche) ou l’U M P (qui ressemble comme un petit frère à l’extrême droite).

    Dans cet article manque l’aspect de l’environnement et du mode de production. Ceux qui ont la joie et le plaisir de se retrouver les pieds dans l’eau pour cause de météo déréglée apprécieront forcément un tel programme.
    Combien coûtent la contre productivité à la collectivité ? Combien coûte le nucléaire (traitement des déchets puis surveillance) à la collectivité ?



    • Kalki Kalki 4 novembre 2008 09:32

      La politique du commandant en chef Sarkozy, est de passer la france dans le nouveau milénaire selon lui.
      C’est à dire faire de la france le 52 eme etats des USA.

      Autre reformulation : la politique intérieur de sarkozy est copié de la politique américaine intérieur... Celle que bush a mis en place.


    • Martin P. 4 novembre 2008 11:07

      l’inspiration première de cet article est dans le titre : je pointe le fait que les agents qui agissent sur le marché financier n’ont pas de boucle retour quand ils "perdent" (boucle retour semblable à ce qu’est la douleur pour le corps humain, signal vital pour sa survie). je ne le savais pas au moment de cet article (écrit il y a 2 semaines), mais frédéric lordon par exemple a proposé que l’on instaure des malus pour les métiers financiers. des malus suceptibles d’annuler les bonus accumulés les années précédentes. maintenant sur l’aspect proposition, la principale que je verse au débat est celle-ci : ralentir la fréquence des transactions à 1 par opérateur, par titre et par semaine. ce serait techniquement assez simple étant donné la domination d’euronext-NYSE, qu’on pourrait d’ailleurs faire passer sous controle public. lequel serait, pourquoi pas, un fmi réformé...


    • Francis, agnotologue JL 4 novembre 2008 12:17

      Et quid de la taxe Tobin ? 


  • easy easy 4 novembre 2008 16:14

    Salut Martin,
    Si le coeur de ton papier est de souligner le décalage qu’il y a entre la bourse et l’économie réelle, je réponds, en effet, il existe.
    Mais vouloir le réduire, je pense que c’est se méprendre.
    Car il y a les choses : pioche, montagne, lac, assiette, et il y a la pensée formalisée, tellement caractéristique de l’Homme.
    A partir de sa pensée, l’Homme a fabriqué de la sur-pensée, de la transcendance, histoire d’enfoncer le clou de son particularisme intellectuel. Histoire de sucrer le sucre
    Non seulement l’Homme a inventé l’abstraction qu’est la transcendance sur la pensée basique mais il a également ajouté de la transcendance sur les choses les plus matérielles. Ca fait qu’un timbre poste que je m’apprête à jeter à la poubelle, un autre sera prêt à me refiler sa mère pour l’obtenir. Une chaise qui ne m’intéresse nullement va interesser énormément un autre qui verra en elle l’élément qui manquait à sa décoration, son Cinquième élément, son Précieux. Et au total ce qu’on appelle la valeur des choses matérielles est la somme de leur valeur la plus basique (une chaise bin c’est pour s’asseoir) et leur valeur transcendantale (une tite croix de bois, pourvu qu’elle ait une branche plus longue que les 3 autres, c’est ... toute une histoire n’est-ce pas)

    Il y a donc toujours un décalage entre la valeur basique d’une chose, même virtuelle, et sa valeur transcendantale (qui est souvent appelée valeur sentimentale) Ainsi une entreprise, mettons LVMH, a déjà, en tant qu’entreprise et par son martellement marketing, une transcendance propre pour chacun de nous. Et bien le cours de son action en bourse résulte de la somme de sa valeur basique + la valeur transcendantale qu’on accorde à l’entreprise et à cela se surajoute encore la transcendance propre à l’action cotée en tant que telle. En fait un y a toute une cascade de transcendances sur cet objet qu’est l’entreprise LVMH.
    Or les transcendances, comme c’est dans la tête que ça se passe, ça peut virer du tout au tout. Telle personne que je trouve fabuleuse un jour, m’apparaît insupportable lors du divorce. Tel chien que je trouve trop mimi quand je suis seul au monde, m’encombre quand j’ai d’autres chats à fouetter (d’autres transcendances à cultiver). La chaise, abandonnée sur le bord de la route conserve bien sa valeur de base en tant que repose cul mais tant que tous les passants lui verront une transcendance négative (elle est moche, elle fait misère, elle fait clinquant, elle est trop claire, elle est trop sombre, on dirait la chaise de ma mèchante concierge, ...) personne ne la récupèrera.

    Pourquoi les brutales variation de valeur totale accordée à Djamel Debouze (entre l’époque où il vendait des fringues sur les marchés), qui proviennent d’une cascade de transcendances positives, susceptibles de se transformer en autant de transcendances négatives, ne se produiraient-elles pas sur les entreprises cotées ?



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