De la privation de liberté de chacun, mais un contrôleur pour tous

Après l’approbation successive d’une commission sénatoriale, puis d’une commission parlementaire en ce début du mois de juin, Jean-Marie Delarue va enfin pouvoir prendre ses fonctions et œuvrer, six années durant, dans le sens d’une plus grande protection des citoyens qui se voient privés de leur liberté de mouvement.
C’est donc la loi du 30 octobre 2007 qui a institué cette nouvelle autorité administrative, elle en brosse les contours en précisant ses prérogatives ainsi que les conditions de nomination de ses membres, et plus particulièrement de son responsable le plus haut. Le texte n’est pas abscons, plutôt court (16 articles), donc accessible à tout un chacun. Il est ici de toute première importance de se l’approprier, car il concerne chaque citoyen de ce pays qui pourrait se voir retenu dans quantité de lieux de privation de liberté, et cela bien au-delà de nos établissements pénitentiaires, déjà au nombre de 200.
En effet, le contrôle pourra s’exercer sur un grand nombre de lieux de privation de liberté, en sus de nos prisons. Il en va notamment des locaux de garde à vue (4 000), des centres de rétention administrative (130), des centres éducatifs fermés (30), des locaux d’arrêt militaire (138) et, enfin, d’un millier de places en unité psychiatrique (HDT et HO). Si la tâche est immense, il est à noter qu’aucun lieu n’est oublié, chacun pourra faire l’objet d’un contrôle de la part de cette nouvelle autorité, ce qui représente un indiscutable progrès, théorique pour l’instant, en matière de libertés fondamentales.
Les prérogatives les plus essentielles que la loi du 30 novembre 2008 confère à cette autorité administrative sont clairement énumérées dans les articles 6, 8 et 9, véritables pivots du texte.
L’article 6 énumère les personnes qui peuvent saisir le contrôleur général, notamment « Toute personne physique, ainsi que toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence », et chacun comprendra l’importance de cet élément. En outre, les autorités telles que le Premier ministre, les membres du gouvernement, les membres du Parlement, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, pourront aussi saisir l’instance. Enfin, l’autorité pourra aussi se saisir de sa propre initiative.
L’article 8, remarquable, précise « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d’une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement visé à l’article L. 3222-1 du Code de la santé publique ».On comprendra combien la volonté propre du fonctionnaire sera déterminante et fera le reflet de ses intentions. Quant à l’article 9, il indique qu’à l’issu de chaque visite le contrôleur général rédigera des observations à l’endroit des ministres concernés et pourra les contraindre à la réponse. Aussi, et c’est ici un élément fondamental, le contrôleur, s’il constate une violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté, communique sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, constate s’il a été mis fin à la violation signalée. S’il l’estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. La loi donne ici un véritable pouvoir contraignant au contrôleur des lieux de privation de liberté, doublé d’un devoir de publicité. Là encore, le progrès est réel, il représente un pas de plus vers une démocratie perfectible.
Après avoir vu l’essentiel du texte, venons-en aux moyens attribués à cette nouvelle autorité administrative.
Afin de mener à bien ses missions, outre un budget d’environ 2,5 millions d’euros, le contrôleur général se verra secondé par 18 contrôleurs qu’il aura pris soin de nommer, ce qui présente une dotation fort insuffisante au regard du nombre des lieux potentiellement contrôlables, soit un total d’environ 5 500. On mesure clairement ici les limites, tant humaines que matérielles, qui s’imposent d’ores et déjà à cette instance. Certes, tous les lieux de privation de liberté ne sont pas des zones de non-droit où sévissent nombre de fonctionnaires tortionnaires, mais il est certain que de nombreuses dérives graves existent (cf. la CNDCH), la création de cette entité de contrôle en est bien la preuve, et gageons que la tâche sera ardue, sans pour autant préjuger de son fonctionnement ni même des conclusions de son premier rapport annuel.
Notons encore, que la révision constitutionnelle en cours, prévoit aussi la création d’un défenseur des citoyens qui intégrera le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
In fine, même si cette instance s’est fait attendre, elle permet à la France de faire un pas non négligeable vers une République qui, si elle n’est pas exemplaire, tend vers sa propre amélioration en matière de libertés fondamentales, la création de la Commission nationale de déontologie et de la sécurité allait déjà dans ce sens.