mardi 9 mars 2010 - par Brath-z

De la République en France

Contrairement à une opinion couramment admise, la République est, en France, une idée bien plus ancienne que les Lumières, ou même que les humanistes. Il faut, pour la découvrir, remonter jusqu’à la fondation du Royaume de France.

En effet, au cours des VIIIème et IXème siècles de notre ère, le passage de la dynastie des Carolingiens à celle des Robertiens, devenus Capétiens avec l’accession au trône de Hugues Capet, marque une rupture avec les ordres précédents. Outre qu’il a permit la fondation du Royaume de France en lieu et place du Royaume des Francs (même s’il fallut attendre Philippe II Auguste pour que le terme de « roi de France » se substitue dans la plupart des documents officiels à celui de « roi des Francs »), c’est-à-dire le passage d’une domination royale sur un peuple qualifié ethniquement à celle d’une autorité royale sur un territoire, ce bouleversement dynastique a prit la forme d’un changement dans les principes mêmes de la royauté. D’un ordre féodo-vassalique, dans lequel l’autorité du roi résultait d’un rapport de fidélité personnelle des Grands du Royaume au roi, seigneur parmi d’autres, on est progressivement passé à une institutionnalisation de la fonction royale, institutionnalisation qui s’est traduite par la transmission héréditaire du pouvoir royal – depuis Philippe II Auguste –, l’adoption de symboles distinctifs – les regalia, c’est-à-dire le sceptre, la couronne, la fleur de lys, la couleur azuréenne, la main de justice – et la promulgation de principes. Auparavant les Grands devenaient vassaux du roi des Francs (et même du roi de France, dans les deux ou trois premiers siècles de la monarchie capétienne) soit parce qu’ils avaient besoin de sa protection, soit parce qu’ils l’estimaient le mieux à même, de part ses qualités personnelles, de faire fructifier le Royaume (d’où la possibilité de l’alternance dynastique, tout au long du IXème siècle, entre Carolingiens et Robertiens). Désormais, le roi le devenait car son père – ou, avec le problème des fameux rois maudits, le proche familial de lignée mâle qui était roi – lui avait transmit, à sa mort, le pouvoir – d’origine divine, bien évidemment, mais également profane, par la filiation réclamée de Clovis –, et donc la légitimité à régner.

Dans l’absolu, rien ne s’opposait donc à ce que le roi soit un fieffé tyranneau ou un égoïste patenté. Cependant dans la pratique d’autres principes s’imposèrent. Le roi devait se montrer digne de sa charge et pour cela adopter l’attitude d’un souverain bon et miséricordieux. Les prérogatives régaliennes (rendre la justice, assurer la permanence d’une armée, veiller à l’ordre publique et à la sécurité des sujets) qui furent associées au cours des XIIème à XVème siècles ajoutèrent encore des responsabilités au roi de France.

Cette situation nouvelle, qui était en quelque sorte un renversement par rapport aux royaumes des Francs, a fait renaître en France dès le XIIème siècle la notion de « bien commun » ou « bien public » héritée du droit romain, du temps de la République romaine. Le roi devait assurer le « bien commun ». C’était là son rôle. La langue de l’écrit étant alors le plus souvent le latin, on trouve ainsi moult ouvrages de conseillers et théologiens royaux qui édictent « les lois de la bonne res publica », alors même que le régime en place était monarchique. Il est vrai qu’en ce temps-là la notion de « république » n’était nullement attachée à la forme que revêtait le gouvernement. Seul comptait alors le « bien commun » et les moyens de l’assurer.

La période « moderne », qui s’étend du XVIème au XVIIIème siècle, fut florissante d’idées nouvelles en la matière. L’extension à l’Europe entière du droit romain – qui n’avait jusqu’alors été redécouvert que dans le Royaume de France, l’Empire germanique et quelques cités italiennes, y compris dans les états pontificaux – entraîna un foisonnement nouveau des idées en la matière. Les républicanismes florentin, vénitien, hollandais, espagnol, français, anglais, polonais, etc. s’influençaient mutuellement et se basaient sur les tentatives précédentes. L’influence des humanistes, des théoriciens du droit naturel (Las Casas, Vitoria, etc.), des Niveleurs de la première révolution anglaise, des Lumières républicaines (Locke, Mably, etc.) et, par réaction, des théoriciens de l’absolutisme royal, engendra un républicanisme nouveau, mâtiné de droit naturel et reposant sur l’idée de souveraineté populaire. Ce fut le républicanisme de la Révolution française.

D’abord attaché à détruire l’absolutisme royal et à fonder une république avec le roi, les franges républicaines de la représentation populaire finirent par estimer que le principal obstacle à l’établissement de cette république était le roi lui-même, qui n’hésitait pas, malgré ses grandes déclarations de 1789 et 1790 sur le « peuple, [son] seul maître après Dieu » et la « nation enfin réconciliée », à s’acoquiner avec les partis antirévolutionnaires et même avec les ennemis de la Nation, les Prussiens et les Anglais, tous près à dépecer la France comme ils avaient dépecé (avec l’aide de la Russie impériale) la Pologne républicaine. Le roi fut donc promptement jugé et exécuté. Dans la foulée, on pu enfin proclamer la République.

Il apparaît ainsi clairement que république et monarchie ne sont pas en soi opposées. Mais en revanche, république et monarchie absolue le sont, de même que la république est, depuis le XVIIIème siècle, incompatible avec toute forme de régime qui ne reposerait pas sur la souveraineté populaire. La question débattue alors avec force fut celle de la nature que devait revêtir la République. Les Jacobins, menés par Robespierre et Saint Just, suivaient l’idée lockienne selon laquelle le seul et unique but de l’état civil, qui se confond avec la République, était « la garantie, non seulement des droits civils, mais aussi et surtout des droits naturels des citoyens ». Les Girondins souscrivirent dans un premier temps à cette acceptation, et leur querelle avec les premiers vint des moyens pratiques de la mise en œuvre de cette garantie. Ils souscrivaient en effet à cette époque à l’idée de Thomas Paine selon laquelle le « bien commun », c’est-à-dire la république, ne pouvait être assuré que par le « bon gouvernement », c’est-à-dire une forme de gouvernement dans laquelle le peuple élit ses représentants. Mais dès 1795, et plus singulièrement à partir de la fameuse Convention thermidorienne, ils réduisirent leur acceptation de la république à cette seule forme du « bon gouvernement », ce qui transparaît à travers la proclamation de la République de 1795 – dans laquelle il est dit explicitement que la République se conçoit par opposition à la monarchie – et, surtout, la Déclaration des Droits et Devoirs de l’Homme et du Citoyen, de 1795 là encore. Entre la fin du XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème siècle, les théoriciens Jeremy Bentham et Jean-Baptiste Say et le poète Benjamin Constant donnèrent au mot « république » un sens plus plus précis en même temps que plus éloigné encore de sa signification originale.

Si la Convention thermidorienne qualifiait encore la république de « bon gouvernement », les transformations apportées par ces penseurs en firent un simple cadre institutionnel de gouvernement, neutre d’un point de vue des principes, acceptation aujourd’hui couramment admise, même si naît depuis la fin des années 1970 dans le monde anglo-saxon un mouvement de pensée, structuré autour de l’école de Cambridge, avec des penseurs comme Philip Pettit, Quentin Skinner ou encore John Pocock, qui cherche à redonner au républicanisme ses lettres de noblesse dans notre monde de désillusion généralisée et de crise de la démocratie



3 réactions


  • Rétif 9 mars 2010 11:21

    à l’auteur

    Intéressant, mais vous ne concluez rien.
    En somme, il y a le fond et la forme.Il y a, je le crois bien un sens fondamental du bien commn républicain dont le respect peut être le fait de n’importe quelle forme de gouvernement, du moins en théorie. Ceci résultant de la culture morale de chaque époque. Ce qui correspond assez aux appels qu’on a,de nos jours, en faveur d’une morale démocratique et écologique.

    Au long de l’histoire, on a voulu s’attacher de plus en plus à la precision de la forme, pour éliminer (sorte de principe de précaution), toute potentialité de détournement d’ un « bon gouvrenement ».
    Ceci, si je peux me permettre de vous résumer un peu sèchement.

    Implicitement, il semble ressortir de votre brève analyse de l’histoire, que la progression dans la forme institutionelle n’aurait pas vraiment fait progresser le fond moral de l’humanité. Ce pourquoi, de nos jours, devant les catastrophes sociales et économiques,
    on entend surtout des appels à la bonté, à la solidarité, à la fraternité etc.. etc...

    Toute une sentimentalité à laquelle on a bien du mal à croire et à espérer..
    Alors certains appellent à une révolution dans les moeurs et dans le caractère de l’humanité, d’autres pensant, comme toujours, qu’il faut et suffit d’éliminer les méchants
    pour retrouver un bon gouvernement.
    Moi non plus, je ne concluerai pas. 


  • Emile Red Emile Red 9 mars 2010 16:21

    Mouaiii....

    Si on veut, pas convaincant et partiellement inexact, mais bon on fera avec.


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