lundi 13 février 2012 - par Georges Yang

De Néron à Sarkozy, le plaisir en politique

Le plaisir a toujours été exacerbé et porté au paroxysme une fois tombé dans les mains des puissants. Et plus le pouvoir est absolu, plus le plaisir s’exprime avec faste, étalage et ostentation. Souvent sans limites financières et morales, le plaisir des hommes de pouvoir exaspère la plèbe, qui subit frasques et démonstrations ostentatoires jusqu’à ce qu’elle se révolte. Mais de nos jours, le pouvoir des leaders démocratiques ne les met pas totalement à l’abri des critiques, des attaques et des procès. Le « bon » président Kennedy était un homme à femmes qui profitait de sa situation pour entrainer dans son lit, dans sa piscine ou sur sa moquette de nombreuses conquêtes. Il n’était cependant pas comparable avec Alexandre le Grand dont on ne sut jamais s’il mourut dans la force de l’âge d’une fièvre pernicieuse, empoisonné ou à la suite d’une cuite et d’une orgie. Il ne l’était pas non plus avec Louis XV entouré de ses nombreuses favorites et pourtant, les nouveaux présidents américains ne pourraient plus oser aujourd’hui se comporter comme les frères Kennedy. La démocratie religieuse américaine a pris sa revanche sur ses dirigeants, Bill Clinton est bien placé pour le savoir. De nos jours, Cléopâtre, l’Impératrice Irène, Néron, Caligula, Héliogabale, ne pourraient plus s’adonner à leurs lubies et fantasmes avec la même intensité sans s’attirer de très sérieux ennuis. Les petits errements de Sarkozy avec ses cigares en compagnie de stars et de nababs de la finance ainsi que les parties fines de Berlusconi ne sont que des broutilles comparés aux débordements des empereurs romains ou de la Grande Catherine. Aucun président contemporain ne peut reprendre à son compte le paraphe de François Ier : « Car tel est notre bon plaisir  » sous peine de se faire taxer de despote suranné. Cependant, si Néron n’est ni l’auteur ni le commanditaire de l’incendie de Rome, comme désormais beaucoup de spécialistes de l’Antiquité le pensent, l’histoire d’un empereur jouant de la lyre et composant des vers en regardant la ville se consumer sous ses yeux a marqué les esprits. Véridique ou non, cette anecdote tragique pose la seule question essentielle pour un esthète : Néron était-il un bon poète ? A l’échelle de la démesure, tout le reste est subalterne, même l’incendie d’une ville, fût-elle Rome. Il serait doublement de mauvais goût pour ne pas dire vulgaire de foutre le feu à une ville pour ne composer que des vers de mirliton ou plutôt de mirmillon pour rester dans l’esprit gladiateur.

Le peuple a toujours été moralisateur, même quand il était obligé de se taire. Quand on lui laisse la parole, il devient pontifiant, inquisiteur et répressif. Des pamphlets assassins qui circulaient sous le manteau dénonçaient les extravagances des rois et des reines, d’Isabeau de Bavière, en passant par la tour de Nesle, Louis XV avec son Parc aux cerfs et Marie-Antoinette avec son collier et ses histoires de brioche. Le peuple n’aime pas la frivolité, surtout quand il crève de faim. Quelques époques furent plus tolérantes, mais toujours pour une élite, comme la Régence et les bordels du Palais-Royal ou le Directoire quand Barras et Bonaparte assistaient à des fêtes et se partageaient des maîtresses comme les frères Kennedy. Puis, malgré l’hypocrisie bourgeoise, les maisons closes parisiennes de la Troisième République, comme le Chabanais, le Sphinx et le One Two Two, reçurent des hôtes de marque. Le Prince Edouard et toute la crème de la noblesse et de la grande bourgeoisie fréquentèrent ces bordels à la française, avec leurs chambres de spécialité. En France, cette tradition de grivoiserie a continué, avec seulement la pause anesthésiante du gaullisme, le Général étant un honnête rabat-joie pas vraiment porté sur la gaudriole. Si, comme le disait Charles de Gaulle, la politique de la France ne devait pas se décider à la Corbeille, elle se faisait et se défaisait souvent au bordel du temps de ses prédécesseurs de la Troisième République. Le bling-bling de Sarkozy, les rumeurs de scandales sexuels, les coucheries rapportés sur le web ou dans la presse people, les « affaires » Strauss-Kahn ou les sombres histoires au Maroc impliquant des politiciens français et de jeunes garçons, tout cela irrite les bien-pensants, en les dévoyant des vrais scandales politiques, ceux des détournements, des délits d’initiés et de la prévarication organisée. La morale en politique déroute le citoyen du véritable débat essentiel qui devrait se focaliser au niveau économique, de la redistribution fiscale et de la répartition des bénéfices de la croissance et non autour de banales histoires de mœurs pour ne pas dire de cul et d’alcôves. L’opinion publique est tellement manipulée par les médias qu’elle peut de moins en moins accepter un politicien qui fréquente les putains et les bordels alors que cela était quasiment la règle sous la Troisième République. De plus, le sexe et le pouvoir qu’il soit politique ou économique ont toujours entretenu des liens ambigus. C’est ce qu’ont compris depuis longtemps les tenancières de bordels et de clubs libertins. Certains hommes de pouvoir ont le désir d’inverser les rôles pour jouer un instant sexuellement dans le registre dominant/dominé. Ils se font humilier, fesser, fouetter, piétiner avec ou sans talons-aiguilles par de fausses soubrettes ou majordomes armés de cravache, de martinets ou de plumeaux, quand ils ne se font pas enchaîner ou menotter en payant le prix fort pour un moment d’illusion qui leur permet de décompresser.

Les « dérives » sexuelles des grands de ce monde sont plus pitoyables que moralement condamnables. Hélas, le discours qui s’y oppose est sur un autre versant, entre les mains des « pères la pudeur ». Or, est-il est encore possible, de vivre dans le plaisir sans s’afficher un minimum, surtout quand on est connu de nos jours ? Il faut rester discret du fait de l’œil intrusif des caméras, des téléphones dernier cri et des journalistes dits d’investigation. L’affaire Monica Lewinsky a mis Bill Clinton dans le pétrin et désormais le moralisme pudibond de la middle-class américaine triomphe. On peut tout de même se demander si un peuple ne doit pas se méfier d’un leader qui ne montre aucune faiblesse et ne se laisse aller à rien. Comment gouverner les hommes quand on ne sait rien de leurs passions, de leurs faiblesses, quand on ne partage avec eux rien de commun qui fait leur quotidien ? Un gouvernement de sages et de purs esprits serait aussi insupportable que celui de Savonarole ou du chef de la secte des Assassins à Alamout. Paul Kagame au Rwanda, par son austérité, sa rigueur et sa vie monacale est en passe de devenir le Robespierre de l’Afrique contemporaine. La dictature de la vertu n’a jamais rien amené de bon à un pays, si Danton avait éliminé Robespierre et non l’inverse, la Révolution française aurait peut-être pris un autre tournant. Malheureusement, elle a débouché sur la Terreur. Quand les têtes tombent au nom de la pureté de l’idéologie, la liberté est en danger. De nos jours, plus besoin de guillotine pour faire rentrer les dissidents dans le rang, la télévision, la presse et Internet suffissent pour mater toute velléité de révolte. Les plus odieux des tyrans ont toujours déclaré agir pour le bien du peuple et ceux qui croyaient en ce qu’ils disaient furent les pires. De nos jours, dans les démocraties, les discours sont de la même aune, mais ceux qui infligent leurs obsessions au peuple sont beaucoup plus subtils. Au lieu d’imposer leur diktat par la force des potences et des baïonnettes, ils utilisent le matraquage télévisé, la publicité, les lobbies, le trafic d’influence et les sondages d’opinion pour arriver à leurs fins. Et les raisons invoquées sont tout aussi suprêmes que celles des grands dictateurs.

L’attitude des peuples vis-à-vis de leurs leaders est teintée de schizophrénie. A la fois ils aiment acclamer des personnages illustres et hors du commun, de l’autre ils voudraient des chefs exemplaires et vertueux mais surtout proches d’eux. Ils applaudissent les discours sans en voir la platitude des thèmes ou la vacuité si l’orateur est éloquent et photogénique. Il en fut ainsi pour Hitler, Staline, Mussolini ou Mao tant que pour Sarkozy, les Bush ou Obama. Les discours de Churchill, De Gaulle, Kennedy, ou Mitterrand avaient plus de tenue, mais ils n’en entubaient pas moins le peuple, roulé dans la farine par un verbe policé et éloquent. D’un autre côté, les peuples souhaitent de la probité, du dévouement, du sens civique chez leurs dirigeants. Mais il est difficile de trouver un gouvernant qui allie à la fois les qualités de meneur de foule et la rigueur monacale d’un premier ministre scandinave ou d’un représentant du conseil fédéral helvétique. Il se prépare une classe de politiciens lisses, consensuels, sans humour, respectant toutes les minorités influentes au point d’être paralysés par chaque initiative. On peut arriver à se demander si un président bon père de famille, démocratique et tristounet ou une présidente mollassonne et austère appliquant le principe de précaution sans humour et castrant tout un peuple à force de consensus et de respect n’est pas aussi nuisible qu’un dictateur, ou du moins un chef musclé, viril et facétieux, sortant des bons mots, buvant et baisant. Car il semble plus légitime de se révolter contre un autocrate que contre un parlement démocratiquement élu qui vous pond régulièrement des lois liberticides.

Un pouvoir tiède attiédit aussi ses administrés, les rend frileux et incapables de résister à l’adversité en cas de coup dur, la pantomime larmoyante qui suit chaque attentat ou fait divers violent dans les pays occidentaux en est l’exemple criant. Au niveau compassionnel, les larmes sont passées à gauche. La mode des marches blanches venue de Belgique, se généralise désormais de par tout le continent européen, traduisant la peur panique des populations au moindre crime de sang. Et malgré leurs armes à domicile et leurs périodes d’entraînement militaire, on se peut se demander comment réagiraient les citoyens helvétiques face à une invasion de leur territoire, nous sommes loin de la Suisse de Guillaume Tell. Cette mutation est valable sous toutes les latitudes, celui qui a trop à perdre matériellement ne fait pas un bon guerrier. Un militaire qui achète une villa à crédit peut-il encore se battre et prendre des risques sur le champ de bataille ? Une solde trop basse fait les déserteurs et les pillards, trop élevée, elle engendre des lâches. Que ce soit à la tête d’un état, d’un parti politique ou d’une secte, ou au niveau individuel, on ne peut éprouver du plaisir sans avoir une âme de prédateur. Si cela ne porte pas à conséquence pour le citoyen lambda qui rentre facilement dans le rang, cela peut être que négatif quand la folie des grandeurs s’installe dans la tête des hommes de pouvoir.

Le droit à la jouissance n’est inscrit dans aucune constitution et encore moins dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Seul le Bhoutan fait une timide allusion au bonheur dans sa constitution. Jouir de la vie et satisfaire ses sens n’est donc pas une aspiration politique, si l’on en croit les grands législateurs et penseurs et la dénonciation du fétichisme de la montre pourtant politisé en France n’est qu’une bien pâle compensation pour le citoyen de base qui se démène au quotidien sans Rolex. Au mieux, dans leurs discours démagogiques, les politiciens et les gouvernants parlent de droits légitimes et d’aspiration au bonheur pour leurs citoyens, histoire de les endormir. Si l’apostrophe de Guizot, enrichissez-vous a encore ses chauds partisans, aucun chef de gouvernement n’oserait déclarer, amusez-vous ! Au contraire, tels de mauvais Churchill, ils nous promettent du sang, de la sueur et des larmes quand ils n’ont plus les moyens de financer leur promesse démagogique : demain, on rase gratis ! Mais souvent hélas, ils le disent trop tard quand il n’y a plus de savon à barbe.

Curieusement, une attitude fort désagréable se retrouve à la fois chez les allumeuses et dans la classe politique. Appâter par de belles promesses, jamais tenues, toujours remises aux calendes en laissant toujours un peu d’espoir, cela caractérise ces femmes autant que nos dirigeants. Le votant est comme l’amoureux mené par le bout du nez, il espère, il attend, il pense que bientôt ses désirs seront satisfaits et que les lendemains chanteront comme cela lui a été promis. L’amour rend aveugle, selon la formule consacrée, il semble que pour beaucoup, l’engagement politique et le militantisme le fasse aussi. Ainsi, celle qui montre furtivement un sein, accorde un baiser discret sans jamais aller plus loin se comporte comme le tribun qui promet monts et merveilles et finalement relève le niveau du SMIC de 0,2% après des mois d’atermoiements, de tergiversations et…d’inflation. On retrouve tant chez l’allumeuse que le politicien la même composante narcissique et le même égocentrisme qui consiste à donner le moins possible tout en profitant des faveurs dispensées soit par l’amoureux, soit par la fonction d’élu du peuple.



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