jeudi 11 janvier 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Henry Jean-Baptiste, symbole du mérite républicain

« La gloire que donnent les richesses et la beauté est passagère et fragile ; le mérite, au contraire, est un bien éclatant impérissable. » (Salluste, "De Catilinae coniuratione").



Il est des disparitions qui sont plus discrètes que d’autres, ou, du moins, qui sont moins médiatisées que d’autres. Ce n’est pas toujours la faute des médias. C’est parfois la faute de l’humilité du disparu. Comme Johnny Hallyday, il sera enterré à l’église de la Madeleine (Paris 8e) ce jeudi 11 janvier 2018 à 15 heures. Henry Jean-Baptiste est parti ce vendredi 5 janvier 2018 dans un hôpital parisien, d’un accident vasculaire cérébral, deux jours après son 85e anniversaire.

J’ai eu la grande chance d’avoir rencontré plusieurs fois Henry Jean-Baptiste et j’ai même eu l’occasion de faire un peu de tourisme improvisé avec lui et des amis dans le Var, après une réunion politique. Malgré sa corpulence massive, un vrai roc, ce qui était fascinant était la très grande simplicité, la familiarité, la gentillesse, le calme, une présence pourtant forte mais apaisante, une sympathie immédiatement accordée, la bienveillance. Et aussi, car cela ne va pas forcément ensemble, une grande culture, très grande.

Ce qui n’était pas étonnant car Henry Jean-Baptiste a été dès son jeune âge un très brillant garçon. Né le 3 janvier 1933 à Fort-de-France, en Martinique (sa mère est née à Sainte-Luce, dans le sud-est de l’île antillaise, son père au Carbet, au nord-ouest), il fut tellement brillant au lycée Victor-Schœlcher à Fort-de-France qu’il a continué ses études à Paris, au lycée Janson-de-Sailly et à la Sorbonne. Licence de droit, licence de philosophie et diplôme de sciences politiques, il est entré à l’ENA en 1958, reçu premier au concours (le deuxième fut le futur ministre Jean-Philippe Lecat), dans une promotion où il a côtoyé notamment Michel Camdessus et Gabriel de Broglie. À l’issue de ses études à l’ENA en 1960, il est sorti dans la "botte", et a choisi la prestigieuse Cour des Comptes où il préconisa déjà le contrôle juridictionnel des finances des collectivités publiques. Dès lors, le voici devenu un haut fonctionnaire très recherché, expert en économie, en urbanisme, en agriculture.

De 1970 à 1979, il fut appelé pour être le conseiller économique du Président de la République sénégalaise Léopold Sédar Senghor. Le Sénégal était alors confronté à une grave crise agricole et le gouvernement sénégalais a tenté de relancer l’économie en mettant en œuvre des réformes structurelles. Puis, de 1979 à 1981, remarqué par l’Élysée, il fut nommé conseiller des relations Nord-Sud du Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing. On pouvait ainsi lire dans le Journal officiel du 31 mai 1979 : « Par décret du Président de la République en date du 29 mai 1979, M. Henry Jean-Baptiste, conseiller référendaire de première classe à la Cour des Comptes, en disponibilité auprès du Ministère des Affaires étrangères pour exercer, au titre de la coopération technique, les fonctions de conseiller financier du Président de la République sénégalaise, est, à compter du 1er janvier 1979, réintégré en surnombre dans les cadres de la Cour des Comptes. ».

Parmi ses réalisations, il a contribué à la création le 28 mai 1975 de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui est une organisation intergouvernementale ouest-africaine, d’abord à missions économiques (820 milliards de dollars de PIB en 2013, 20e puissance économique du monde), mais aussi, bien plus tard, avec des objectifs de stabilité politique. En 1976, il a publié "Vers une communauté de l’Afrique atlantique" dans une revue africaine ("Éthiopiques").

Après l’échec de Valéry Giscard d’Estaing en 1981, Henry Jean-Baptiste se consacra aux DOM-TOM, qu’il ne voulait plus voir considérer de Paris comme des "confettis de l’empire". En 1985, il créa l’Association France Outremer (AFOM) pour valoriser les richesses et les atouts de l’Outremer.

Membre du Centre des démocrates sociaux (parti de l’UDF), Henry Jean-Baptiste s’est engagé dans la vie politique à Mayotte à la suite d’une rencontre au Sénat en 1985 dans le cadre de cette association (AFOM). Parmi les convives, Marcel Henry (91 ans), sénateur centriste de Mayotte de septembre 1977 à septembre 2014, séduit par le discours d’Henry Jean-Baptiste, lui proposa de s’investir personnellement à Mayotte pour porter le flambeau au Palais-Bourbon. Le 22 février 2011, Henry Jean-Baptiste a publié le livre "D’une île à l’autre, une traversée au service de la République" (éd. L’Harmattan) où il a retracé son itinéraire de la Martinique à Mayotte ; le livre fut préfacé par l’ancien Premier Ministre Michel Rocard.

_yartiJeanBaptisteHenry04

Après beaucoup d’hésitations (pourquoi lui, Martiniquais, irait-il se faire élire à Mayotte ?), et des encouragements de certains collègues de la Cour des Comptes, il partit au combat électoral.

De 1977 à 2012, il n’y avait qu’une seule circonscription législative à Mayotte. Élu le 13 mars 1977 et réélu le 12 mars 1978, ce fut l’UDF Younoussa Bamana (1935-1935) qui fut le premier député de Mayotte. Il présida en même temps le conseil général de Mayotte du 6 juillet 1977 au 2 avril 2004.


Le 14 juin 1981, malgré les presque 90% obtenu par Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle de 1981, par la mécanique majoritaire des institutions, ce fut le radical de gauche Jean-François Hory (1949-2017) qui fut pour la législature entre 1981 et 1986. Jean-François Hory était dans la majorité de François Mitterrand. Henry Jean-Baptiste fut élu à sa place unique député de Mayotte le 16 mars 1986. Les deux hommes étaient centristes du même parti mahorais (MPM), mais de deux bords différents. Coïncidence : Jean-François Hory est mort juste quelques jours avant son ancien concurrent, le 28 décembre 2017. Les deux hommes ont beaucoup œuvré, ensemble, pour Mayotte.

Retrouvant à l’Assemblée Nationale, entre 1993 et 2002, trois anciens condisciples de sa classe de 6e A4 (Camille Darsières, Édouard de Lépine et Pierre Petit), Henry Jean-Baptiste fut constamment réélu de mars 1986 à juin 2002, date à laquelle il a pris sa "retraite" (il a pris sa "vraie" retraite de conseiller maître de la Cour des Comptes en 2005). Là encore, le député fut travailleur, mais sans exposition médiatique abusive (au contraire de Jean-François Hory, caricaturé dans les "Guignols de l’Info", qui avait voulu en février 1995 se présenter à l’élection présidentielle).

Pendant ses seize années d’action parlementaire, Henry Jean-Baptiste fut le défenseur infatigable de la départementalisation de Mayotte, regrettant d’ailleurs le nouveau statut décidé par le gouvernement de Lionel Jospin qui n’allait pas assez loin, au point de quitter le Mouvement populaire mahorais (MPM), centriste, pour fonder le 26 août 1999 (avec son ami le sénateur Marcel Henry) le Mouvement départementaliste mahorais (MDM) regroupant les dissidents contre le nouveau statut défendu par Younoussa Bamana.

Le 16 juin 2002, la candidate UDF soutenue par Henry Jean-Baptiste, à savoir Vita Siadi (MDM), fut battue par le candidat UMP Mansour Kamardine (qui avait échoué deux fois comme candidat RPR face à Henry Jean-Baptiste le 28 mars 1993 et le 1er juin 1997). Mayotte a ainsi repris les rapports de force de la métropole. Mansour Kamardine avait été élu le plus jeune maire de France en mars 1983 (à l’âge de 23 ans) et est un proche de Jacques Chirac et Alain Juppé. Mansour Kamardine fut réélu député le 18 juin 2017, mais dans la seconde circonscription (créée en juin 2012).

La première circonscription de Mayotte fut ensuite gagnée le 17 juin 2007 par un candidat centriste Abdoulatifou Aly, qui s’est inscrit ensuite au MoDem, puis le 17 juin 2012 par un divers gauche Boinali Saïd et enfin le 18 juin 2017 par la socialiste Ramlati Ali qui a déclaré, à l’annonce de la disparition d’Henry Jean-Baptiste : « Il avait présenté en 1999 [le 17 mars 1999] un manifeste en faveur de la départementalisation signé de l’ensemble des élus de l’île. Il a montré le chemin de l’unité des élus et les succès qui en découlent même si cela peut prendre du temps. ».

En effet, le combat mahorais d’Henry Jean-Baptiste a finalement abouti, mais lentement. Son souhait de départementalisation "à petits pas" a réussi à être réalisé le 31 mars 2011 lorsque Mayotte est devenue officiellement le 101e département français, cinquième d’outremer avec La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane (après une période de "collectivité départementale de Mayotte" de 2000 à 2011).

_yartiJeanBaptisteHenry02

En janvier 2012, Henry Jean-Baptiste a justifié, une nouvelle fois, cette départementalisation : « Il était indispensable que cela se fasse. Car Mayotte, française depuis 1841, est un territoire à part des Comores. Plus africain qu’arabe comme le sont les Comores. ». Le Président François Hollande l’a reçu à l’Élysée le 26 novembre 2012 pour lui remettre les insignes d’officier de la Légion d’honneur, dix ans après la fin de son dernier mandat parlementaire.

Daniel Zaïdani (divers gauche proche de François Bayrou), qui fut président du conseil général de Mayotte du 3 avril 2011 au 2 avril 2015, a invité Henry Jean-Baptiste au conseil général, à l’hémicycle Younoussa-Bamana, le 29 mars 2013 pour célébrer le deuxième anniversaire de la départementalisation : « Il nous a rappelé, avec talent et émotion, la longue marche de la départementalisation et les réticences initiales de nombreuses personnalités politiques en métropole. Son savoir-faire, sa combativité et ses qualités humanistes nous inspirent chaque jour pour réussir maintenant notre intégration institutionnelle au sein de l’Europe et de la France. (…) Son image souriante et avenante restera à jamais gravé dans nos cœurs. » (Daniel Zaïdani).

Quant à Younous Omarjee (proche de Jean-Luc Mélenchon), député européen depuis le 4 janvier 2012, né à La Réunion et représentant la section Océan indien, son témoignage est lui aussi très élogieux sur la « longue vie d’engagements et productive d’idées souvent lumineuses et toujours mises en partage » : « Né Martiniquais, il était devenu aussi Mahorais par amour de cette île et de sa population dont il a épousé tous les combats. Mayotte, une île qu’il aimait par-dessus tout et pour laquelle il s’est inlassablement battu pour la meilleure intégration et prise en compte au sein de la République. La République qu’il chérissait. Il avait la conviction, chevillée au corps, que la France avait le devoir moral d’être au rendez-vous et à la hauteur de l’acte de foi et de volonté d’appartenance de Mayotte à la République. Il faut aussi avoir parcouru Mayotte avec lui pour comprendre les liens uniques qui unissaient Henry Jean-Baptiste à la population mahoraise, qui, très tôt, a reconnu en lui l’un des siens et l’avait de son vivant même érigé comme au statut de grand sage. Par la profondeur de sa pensée, sa culture et son intelligence rare, il était assurément une référence, malgré les divergences parfois de vision politique. ».

Sincères condoléances aux proches.
Qu’il repose en paix.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 janvier 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Henry Jean-Baptiste.
Jean-François Hory.
Valéry Giscard d’Estaing.
Les Rénovateurs de 1989.
Le CDS.
Simone Veil.
Bernard Bosson.
Bernard Stasi.
Jacques Barrot.
Dominique Baudis.
Jean Lecanuet.
René Monory.

_yartiJeanBaptisteHenry01



1 réactions


Réagir