lundi 21 octobre 2013 - par Laurent Herblay

Jean-Claude Michéa poursuit la déconstruction du néolibéralisme

Jean-Claude Michéa est un philosophe, qui avait publié « L’empire du moindre mal  », une critique bien ficelée du néolibéralisme, il y a quelques années. Avec son nouveau livre, « les mystères de la gauche », il poursuit son travail de déconstruction des deux faces de la médaille libérale.

Le néolibéralisme déconstruit la société
 
Il dénonce la vision de la liberté de Hayek comme « le droit ‘naturel’ pour chacun de ‘vivre comme il l’entend’, sous la protection d’un Etat de droit uniquement soucieux d’administrer les choses  », qui oublie complètement le lien social et réduit l’homme à un individu atomisé. Il rappelle que « la racine de commun, munus désignait les charges et les obligations – savoir donner, recevoir et rendre – qui relèvent de cette logique de l’honneur et du don ». Il note que la société néolibérale valorise les droits (et comment les défendre) mais oublie compétemment le don (c’est à dire savoir donner, recevoir et rendre). D’où des enfants qui se comportent comme si tout leur était dû.
 
Il ironise sur une autre formule de Hayek, selon qui chacun doit être « libre de produire, de vendre ou d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu  » qu’il résume en « vendre n’importe quoi à n’importe qui ». Il dénonce l’obsolescence programmée et rappelle le cas du cartel Phoebus, unissant Philips, Osram et General Electric pour vendre des ampoules à durée de vie limitée alors qu’il existe dans une caserne à Livemore, en Californie, une ampoule mise en service en 1901 qui fonctionne toujours… Il dénonce également une société qui valorise « une immense accumulation de marchandises (…) la société de consommation généralisée, principalement fondée sur le crédit  ». Il pointe les risques d’une croissance illimitée basée sur des ressources limitées.
 
Il condamne l’extension sans fin de droits juridiques et abstraits, reprenant Godbout et Caillé qui se demandent, « si la passion de l’égalité (Tocqueville) n’est pas en partie une des transpositions les plus insidieuses du marché dans les rapports sociaux  ». Il rappelle la critique de Marx sur « la vision juridique du monde », qui peut finir par devenir un dissolvant antisocial de la société, même s’il reconnaît que « le stalinisme a suffisamment prouvé qu’aucune société décente ne pouvait s’édifier sur l’oubli, ou la négation, des garanties juridiques les plus élémentaires ». Il dénonce néanmoins un droit qui nous pousse vers « un monde mimétique et indifférencié  ».
 
Il souligne qu’une société qui n’est gouvernée que par des contrats n’engendre par elle-même « aucun lien social véritable ni aucune rencontre authentique et désintéressée ». Il critique aussi « la socialité de synthèse et les relations humaines préfabriquées  », dont « Twitter et Facebook sont aujourd’hui, les paradigmes les plus connus  ». Il dénonce la « mobilité incessante (ou ‘flexibilité’) des individus qu’elle contribue à déraciner  » et note qu’elle est « la fonction la plus foncièrement enracinée au cœur de l’idéologie libre-échangiste » : c’est à l’homme de s’adapter à l’économie, ce qui rappelle nos débats sur la compétitivité. Le marché veut que l’homme s’adapte à lui et s’attaque donc à tous les fondements du lien social qui pourraient entraver cette adaptation.

Pour lui, la conception de la liberté individuelle de la pensée libérale conduit à dissoudre l’idée même de vie commune dans le nouvel univers de la concurrence absolue et à rompre intégralement avec l’ensemble des contraintes et des obligations communautaires traditionnelles. Il rappelle que les communistes dénonçaient le « cosmopolitisme bourgeois  », le distinguant de « l’internationalisme prolétarien  ». Pour les libéraux, le marché est la seule instance de socialisation, d’où le mythe du self-made-man, qui ne devrait rien à personne (ce qui est fondamentalement absurde). Engels disait que « le monde entier repose sur le passé et l’individu aussi » et dénonçait « l’atomisation du monde  », « la guerre de tous contre tous  », « la désagrégation de l’humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière  ».

Il rappelle la proximité entre libéralisme économique et libéralisme sociétal, qui peut, par exemple, mener à la libéralisation du commerce des drogues ou à la marchandisation des corps. L’arrêt Bosman représente pour lui « un exemple particulièrement pur de ce mouvement désormais classique qui conduit, tôt ou tard, les belles âmes du libéralisme culturel à devoir apparaître comme les idiots utiles du libéralisme économique  ». Pour lui, libéralisme culturel et économique vont de pair pour former un « fait social total  ». Il note que « le libéralisme intégralement développé est, bien entendu, incompatible avec toute notion de frontière ou ‘d’identité nationale’ ».
 
Société décente contre société néolibérale
 
Il appelle à une « société décente  », pour reprendre le terme d’Orwell, une « société à la fois libre, égalitaire et conviviale ». Il cite Confucius : « si les dénominations ne sont pas correctes, les discours ne sont pas conformes à la réalité, et si les discours ne sont pas conformes à la réalité, les actions entreprises n’atteignent pas leur but ». Il cite une tribune de 1986 de Cornelius Castoriadis : « il y a longtemps que le clivage gauche-droite, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques radicalement opposés  ».
 
Pour lui, lors du passage à une société socialiste décente, « tout doit être fait, quitte à prendre le temps qu’il faudra – pour que les gens ordinaires aient le moins possible à supporter le coût matériel et psychologique d’une telle reconversion ». Il plaide pour une « société à la fois libre, égalitaire et conviviale ». Il exécute les signataires du pitoyable appel paru dans Libération « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous !  » en affirmant que si ceux qui avaient choisi d’entrer en résistance dans les années 1940 avaient suivi une telle logique, alors « l’Europe végéterait probablement - aujourd’hui encore – sous le joug hitlérien ».
 
Devant le constat que la montée de la société néolibérale a été aussi bien menée par la gauche que par la droite, Michéa plaide pour un dialogue qui dépasse les clivages traditionnels, mais il fait aussi une violente critique de cette gauche qui a trahi le peuple, comme je l’étudierai demain.
 
Source : Jean-Claude Michéa « Les mystères de la gauche : de l’idéal des lumières au triomphe du capitalisme absolu  », éditions Climats


11 réactions


    • La mouche du coche La mouche du coche 21 octobre 2013 19:06

      Les idées de M. Michea détruisent très bien, mais ne construisent rien. Elles sont comme celles du Destructeur. :->


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 21 octobre 2013 21:11

      Couche du moche et Capotte sont deux imbéciles ,en espérant qu’ils en soient heureux ...


  • Robert GIL ROBERT GIL 21 octobre 2013 16:51

    Soral aussi se reclame de Michéa...on le comprend : pour réussir la prouesse de défendre ouvertement une fraction du patronat tout en restant « marxiste-compatible », il fallait au moins la caution d’un intellectuel qui se réclame du Socialisme, et pas de la « gauche » : dans l’esprit de Michéa, ce n’est pas la même chose : c’est même antinomique........

    voir : LE CAS SORAL


    • ebxa7 ebxa7 21 octobre 2013 20:47

      Cela devrait vous intéresser : Le socialisme (4/4) : vaincre ou accomplir le libéralisme ? - Idées - France Culture les précédents parlent de Saint Simon et Jaurès entre autres socialistes français... (intéressant de la part d’une radio ’officielle’)

      JC Michéa est une lecture indispensable pour construire une critique de la gauche et comprendre l’échec en cours.


    • Rounga Roungalashinga 22 octobre 2013 11:38

      il fallait au moins la caution d’un intellectuel qui se réclame du Socialisme, et pas de la « gauche » : dans l’esprit de Michéa, ce n’est pas la même chose : c’est même antinomique.


      Michéa démontre effectivement que le socialisme n’a pendant longtemps pas été identifié à la gauche, jusqu’à l’affaire Dreyfus. Mais ce n’est pas dans son esprit, c’est un fait. Quant à lui faire dire que gauche et socialisme sont antinomiques, c’est exagéré. L’analyse de Michéa est bien plus subtile que cela.


  • taktak 21 octobre 2013 16:56

    Sur le sujet, lire les excellents livres du philosophe G Gastaud - malheureusement trop méconnu -

    Et notamment Mondialisation Capitaliste et Projet Communiste (1997) avec une analyse visionnaire de l’union européenne

    ainsi que Sagesse de la Révolution (2008)
    Les idéocrates du capitalisme prétendument triomphant somment les révolutionnaires de « s’assagir ». Et si, à l’heure où « l’exterminisme » devient le « stade suprême du capitalisme » (militairement, socialement, écologiquement...), l’heure venait tout au contraire de « révolutionner la sagesse » ?
    Dans les essais qui composent cet ouvrage, Georges Gastaud (philosophe, militant de la Renaissance communiste) et Marion Gandiglio, syndicaliste, professeur de philosophie, passent au crible de la dialectique matérialiste et de leur expérience personnelle et militante, différentes questions « existentielles » que les marxistes n’osaient plus guère approcher : sens de la vie et sens de l’histoire, psychanalyse de la contre-révolution, désir d’enfanter, salut et damnation, individualisme et collectivisme, apport des sagesses antiques, critique du « magisme », rapport entre pessimisme et optimisme historique (« Cassandre et Prométhée »), critique du « fascynisme », etc.
    Ou comment les enjeux les plus apparemment intimes peuvent-ils être pensés, et surtout agis, politiquement.

    et Patriotisme et Internationalisme.

    ou encore Lettre ouverte aux bons français qui assassinent la France


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 21 octobre 2013 21:12

    En attendant la suite ...


  • Captain Marlo Fifi Brind_acier 22 octobre 2013 10:59

    Encore faut-il nommer l’origine de la situation économique désastreuse... , et avancer les moyens d’en sortir.

    Beaucoup de politiques sont bien d’accord pour analyser les Traités européens comme ultra libéraux, en application des théories des économistes de l’ Ecole de Chicago.

    Ils se gardent pourtant bien de dire que l’ UE et l’euro sont une invention américaine pour neutraliser la zone économique du monde qui pouvait leur faire de l’ombre.

    Neutraliser 28 pays en les ficelant ensemble dans des Traités et avec une monnaie commune, leur enlevant leurs droits régaliens, les empêchant ainsi de défendre les intérêts de leur pays et de leur peuple. Les livrant ainsi aux appétits de la finance et des multinationales.

    Un Empire colonial, dont les accords transatlantiques sont la prochaine étape.

    Ils se gardent bien de dire aussi, que provisoirement, les intérêts de la majorité de la population, n’est pas de se diviser sur des sujets « montés en mayonnaise » par les médias, mais bien de s’unir comme l’avait fait nos anciens dans le CNR, pour sortir de ces Traités toxiques.

    Mr Pinsolle est un des responsables de Debout la République, comme le FN, ils tournent autour du problème sans dire clairement qu’il faut sortir de l’ UE, de l’euro et de l’ OTAN avant que nous ne soyons dans l’état de la Grèce , du Portugal ou de l’ Espagne.

    Que disent exactement Dupont Aignan et Marine le Pen dans leurs professions de foi, seul document officiel de la République. Appellent-ils à un nouveau CNR ? A retrouver l’indépendance et la souveraineté de la France ?


  • Klisthène 2017 Kxyz 22 octobre 2013 12:02

    occupez le terrain est stratégie de communication quand son propre projet n ’ est pas clair on fait parler les avocats qui dénoncent l impasse du monde dans lequel nous sommes.
    ai en mémoire un ancien président qui citait Jaurès comme ses valeurs alors qu on nous avait dit lui même s en revendiquait être gaulliste..
    Au bal des cocus ce sont les français qui y sont légions ..réveillez vous ..


  • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 22 octobre 2013 12:06

    Mais pourquoi choisir une photo montrant sa soumission au cartel du tabac ?  smiley


  • Chris De Baün 22 octobre 2013 16:24

    “Si quelqu’un est apte à établir des institutions, ce qu’il établi ne va pas durer longtemps s’il repose sur les épaules d’un seul homme, mais plutôt s’il est confié aux soins de plusieurs, et si sont nombreux ceux à qui il revient de le maintenir. 

    ” Machiavel “  smiley


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