mercredi 21 mars 2012 - par Bruno de Larivière

L’Etat, agent de la désertification des campagnes françaises ?

"Vous iriez voir un médecin qui a été obligé de s'installer à Morlaix" C'est par cette affirmation que la question des 'déserts' médicaux a été maladroitement relancée par Nicolas Sarkozy dimanche. Partons donc en Bretagne...

Il y a un peu moins d'un mois, j'ai consacré un 'post' à la situation des campagnes en France, loin des clichés habituels : Les ruraux ont la qualité de vie et les ennuis qui vont avec. Nombreux sont les articles sur les Français vivant en zone périurbaine, les oubliés de la croissance, ceux qui ne se déplaceront pas pour voter - les invisibles -, et enfin ceux confrontés au déclin des services publics de proximité.

L'actualité éclaire de ses feux le sujet à la mi-mars, parce que les principaux candidats à l'élection présidentielle s'intéressent soudain à désertification des campagnes françaises, au non-remplacement des médecins partant à la retraite ou encore au maintien - ou non - des services publics. Le journal Ouest-France a posé dimanche ces questions aux Etats-majors des candidats. Les réponses ornent la double page intitulée Le monde rural défend ses services publics menacés. Pour incarner cette désertification, les journalistes Marc Pennec et Thierry Richard ont arpenté la Bretagne intérieure...

Or l'intérieur de la péninsule subit les effets d'un déclin démographique combiné avec un vieillissement de la population. Ce double phénomène n'arrive pas par hasard. Comme ailleurs en France, les campagnes bretonnes ont connu une transition démographique, l'exode rural vers les ports, grandes villes de l'Ouest, mais aussi vers Paris. Elles ont perdu leurs garçons sur le front, de 1914 à 1918. Elles ont enfin connu l'augmentation de la productivité agricole, par la mécanisation et par l'industrialisation de l'élevage.

Mais en Bretagne, les élus régionaux et nationaux ont recherché par tous les moyens à apporter la modernité à marche forcée. Il fallait tirer la péninsule de sa léthargie, de ses obscurités ? L'impact de l'aménagement du territoire depuis 1945 à l'échelle de la région administrative est généralement présenté comme positif. C'est globalement vrai pour les marges extérieures de la péninsule. C'est beaucoup moins évident à l'intérieur des terres. Plus les premières se développent, plus elles se connectent au reste de l'Hexagone, plus le cœur de la Bretagne dépérit.

Il faut partir de la carte des quatre départements : j'ignore ici la Loire-Atlantique qui - si elle était rattachée- accentuerait encore les écarts entre centre et périphéries bretonnes [Village gaulois].

Les villes principales se situent à proximité ou sur le littoral. Elles dépassent en taille bien des villes actives du point de vue de la pêche (Douarnenez, Cancale, Concarneau), du commerce (Roscoff) ou du tourisme. L'activité industrielle y a généralement disparu (faïenceries à Quimper) ou décliné (tabac à Morlaix). Partout, l'Etat a imposé sa marque. Brest devient port de guerre sous Richelieu. Colbert fait de Lorient le siège de la Compagnie des Indes tandis que Saint-Malo tire sa richesse de la guerre de Course, autorisée par licence royale.

Après la Révolution, Paris reprend pour l'essentiel la carte des diocèses, sans répartir les préfectures et sous-préfectures : le choix de Pontivy est un échec. Au XIXème siècle, l'industrialisation de Rennes s'accompagne d'une transformation de la ville en garnison, arsenal et dépôt militaire éloigné des frontières de l'Est. Après les événements de mai 1968, Rennes perd sa prééminence universitaire et dissémine à Brest, puis dans des villes déjà avantagées parce que proches du littoral. C'est en cela que la Corse se différencie nettement, qui tente l'expérience mitigée de Corte, à l'intérieur des terres.

C'est bien au nom du désenclavement de la Bretagne que l'Etat, sous la pression des élus locaux, lance des projets de construction de quatre-voies non payantes : c'est le Plan Routier Breton lancé en 1972. Dans les vingt dernières années, la SNCF accepte de faire circuler au-delà de Rennes ses TGV : soit par le nord, soit par le sud. Dès les années 1960, il apparaît que l'amélioration des réseaux de transport a entraîné le contraire de ce que l'on souhaitait au départ. La Bretagne intérieure se vide pendant que les littoraux se densifient. Dans ce cas précis, il est difficile de se réjouir à cause de l'artificialisation de ses littoraux, avec la multiplication des constructions de résidences secondaires : exemple de la Cornouaille.

Ce n'est pourtant pas une ville de l'Argoat mais une ville proche du littoral - Morlaix - qui a attiré sur elle une raillerie présidentielle lors d'un passage de l'intéressé sur le plateau de l'émission Capital sur M6, dimanche 18 mars.

La présentation dynamique de ces cartes successives donne une meilleure idée du résultat final : l'isolement progressif de l'ArgoatL'Etat est-il un agent de la désertification ? Il faut se méfier des caricatures. Dans le cas évoqué par Nicolas Sarkozy (voir au-dessus), une octogénaire veut obtenir un rendez-vous chez un médecin ophtalmologiste à Morlaix. Mais au moindre problème de santé, elle peut prendre sa voiture, et en moins d'une heure se rendre à l'hôpital universitaire de Brest. Tout ce qui était loin s'est considérablement rapproché. Il ne faut jamais perdre de vue la perspective historique...

Malheureusement, l'article d'Ouest-France accumule les contre-sens. A La Trinité-Langonnet, dans l'extrême nord-ouest du Morbihan, les habitants se battraient contre un Etat défaillant. Les services publics partiraient à cause de la tyrannie de la rentabilité : bureau de poste à l'ouverture épisodique et école primaire en limite de fermeture. Le médecin issu d'une sélection malthusienne (merci le numerus clausus) est seul. Il ne consulte pas le week-end. Marc Pennec glisse ensuite une allusion au cas de l'hôpital de Carhaix, lui aussi en situation délicate. Tout cela est vrai, mais il faut replacer le tableau dans ce contexte : celui de la métropolisation, de la littoralisation et de la montée en puissance des réseaux de communications.

Pour relancer démographiquement l'Argoat, les solutions existent, pourtant totalement fantaisistes. On pourrait par exemple imaginer la concentration des fonctions administratives dans une ville de l'intérieur de la péninsule. L'hôpital de Carhaix se transformerait en CHU. Dans le cas des universités, pour s'inspirer de la Corse, une seule ville accueillerait une structure unique. Mais pour que Loudéac - exemple pris au hasard - devienne un pôle universitaire, il faudrait dans le même temps fermer les universités existantes ; on imagine le tollé. Dans le cas des transports, une autoroute relierait gratuitement Rennes à Brest par l'Argoat, tandis que les voies express seraient laissées telles quelles, ou ponctuées de péages.

En attendant, on continuera à pleurer sur les services publics menacés et le marché fou...



13 réactions


  • gobes 21 mars 2012 17:05

    Article intéressant, la succession des cartes aide effectivement à la compréhension.
    Les solutions proposées sont intéressantes également (il y en a bien d’autres possibles, selon les régions et les problèmes de chacune), mais la désertification fait partie des sujets-qui-vont-bien pendant les périodes électorales et permettent de caresser le rural dans le sens du poil. Donc elles resteront au fond des cartons, j’en ai peur...


  • Jason Jason 21 mars 2012 17:09

    Mon pauvre Monsieur, ce n’est pas l’Etat mais ce sont les lois, les réglements, le manque d’imagination, de volonté, la bureaucratie centralisée dirigée par des gens qui ont abdiqué, les maires, les vides juridiques, les mille-feuilles administratifs, l’incompétence urbaine des communes, le manque de ressources, bref tout un système frileux, et des intérêts souvent peu avouables.

    Allez donc réformer tout ça. La campagne ? Mais qui se fout de la campagne ? J’y habite depuis 10 ans et je vois que les chantiers seraient immenses, mais personne n’a d’ambition, ou même de volonté de tester quoi que ce soit, à part privatiser.

    Arrivera un jour où l’administration des territoires sera elle-même privatisée. Pour la plus grande joie de, devinez qui ?

    J’oubliais que la qualité de la vie ne possède pas d’unité de compte. Ca coûte combien la qualité de la vie ? Alors, c’est pas rentable sinon quand c’est privatisé. Ajoutez à cela une population habituée à vivre sous le joug d’une administration tatillonne et bornée.

    Que voulez-vous faire ? Il faut chosir entre des sous-marins nucléaires, des subventions au privé, des emprunts chers sur le marché financier mondial, et une campagne épanouie. Le choix est évident pour nos gouvernants.


  • Fergus Fergus 21 mars 2012 17:22

    Bonjour à tous.

    Euh... des médecins, il y en a suffisamment à à Morlaix. Il y a même un hôpital. Et s’il faut avoir accès à des spécislistes plus pointus, Brest est tout proche en temps de voiture : 45’ pour se rendre à l’hôpital Morvan et 40’ pour celui de la Cavale Blanche. Je connais bien le cas de Morlaix pour y avoir vécu 10 ans jusqu’en 2007, et je peux assurer que la qualité de vie y est excellente.

    Un CHU à Carhaix ? Drôle d’idée. Pourquoi d’ailleurs vouloir relancer massivement la démographie dans des régions où la lande reprend progressivement le dessus sur les cultures ? Le maintien d’un hôpital local avec maternité me semble parfaitement adapté.


    • totor totor 21 mars 2012 19:41

      Si on veut que la lande reprenne ses droits : pas de maternité !
      Cela attire du monde ces trucs la !!!!


  • Bruno de Larivière Bruno de Larivière 21 mars 2012 21:19

    Merci à tous pour vos réactions ! Ces derniers temps, je me suis pris quelques méchantes bordées : cela change...

    En même temps, c’est normal en Bretagne.
    A Fergus, mes propositions pour le développement de l’Argoat sont totalement abracadabrantes : c’était vraiment pour terminer par un sourire.
    Vous aviez compris !
    Bonne soirée...

  • ranik 21 mars 2012 23:10

    Je t’aime,moi non plus, résume la relation entre la Bretagne et Sarkozy...Il méprise tout ce qui est à l’ouest des Hauts de seine,une pneumologue Brestoise ayant causé beaucoup d’ennuis à un de ses amis pharmacologue de Neuilly....Donc il ne faut rien attendre de lui,et un Président de région devenu ministre ,apportera peut etre un peu plus d’imagination et de sérénité entre les rapports état et Bretagne.Je suis très pessimiste sur l’efficacité et la pérénité de la pseudo démocratie présidentielle à la Française dans un contexte (démocratique...) Européen à l’agonie.Mais la Bretagne ne pourra pas s’accomoder d’un deuxième mandat Sarkozy voué à la défense de l’oligarchie mondiale anti régionale.


  • lulupipistrelle 22 mars 2012 09:37

    Il y a quelques année, j’ai été dans les Landes... c’était avant la tempête... Et j’ai été effarée de découvrir dans la région de la Bastide Murat, je précise... une région déserte, sans travail, avec des habitants qui vivotaient avec leur potager, leur poulailler et le RMI...Aucune PME, ni PMI, les vielles scieries tombaient en ruines...

    Le spectacle était d’autant plus choquant, que le paysage ressemble énormément à... la Bavière, où toute la campagne grouille d’une activité économique florissante... Pas un village sans une ou deux petites entreprises, ni un petit supermarché-poste-service public... Partout des maisons de santé (un maillage pour deux ou trois villages) , avec tous les médecins spécialistes sur place. 

    C’est un témopignage de première main.


  • Davidoute 22 mars 2012 14:33

    Les routes les routes express à 2X2 (=4)voies c’est déjà assez consommateur d’espace comme cela surtout là où on aurait pu se contenter d’un chemin pour 4X4
    Les 4X4 voies en Bretagne c’est un rêve de bétonneur major du BTP -pour ne pas citer le(s) corrupteur(s) qui me venaient à l’esprit-
    Ce que ne montre pas la carte c’est que l’Argoat est déjà bien pourvu en 2X2 voies (en pointillé certes) et que cela va continuer
    L’aménagement du territoire n’a pas besoin d’être fractal (pour faire savant)
    à l’échelle d’une région c’est pas la même chose qu’au niveau national
    à l’échelon régional une solidarité qui prendrait en compte les atouts et les faiblesses de chacun permettrait d’éviter le gaspillage d’espace et des déplacements induits inutiles et néfastes pour la planète
     Mais il faut de la solidarité entre les territoires naturellement plus « attractifs » (pour l’atcivité économique) et les autres au lieu du chacun pour soi


  • Jean-paul 25 mars 2012 14:53

    L’auteur ne parle pas du nouvel hopital de Lorient.


  • Jean-paul 25 mars 2012 14:55

    La Bretagne est la seule regions aux autoroutes gratuites .


  • Jean-paul 25 mars 2012 15:07

    Brest- Londres par Ryanair .


  • Jean-paul 25 mars 2012 15:09

    Morlaix Brest moins d’une heure en voiture et apres combien d’heures dans la salle d’attente de l’hopital .


Réagir