jeudi 24 novembre 2005 - par José Peres Baptista

L’État et une partie de notre jeunesse : le divorce dans la haine

Les causes des violences urbaines récentes sont multiples et seraient longues à traiter, je ne les aborderai donc pas ici. Cependant, ce qui est le plus frappant, le plus alarmant, c’est la volonté de leurs auteurs de s’attaquer autant aux forces de l’ordre qu’aux pompiers ou même parfois aux médecins. On pourrait, dans certains cas, interpréter le phénomène comme un rejet d’une certaine classe sociale, mais force est de constater que c’est loin d’être le cas général. D’autre part, outre les incendies de voitures ou de poubelles, qui constituent des “combustibles” privilégiés, il faut aussi s’interroger sur les attaques contre les biens publics que sont les écoles, les gymnases, les autobus, etc. De multiples cibles, qui ne symbolisent malgré tout l’autorité que d’assez loin.

Tous ces éléments s’apparentent plus à ce qui pourrait être assimilé à l’État, au sens administratif plutôt que répressif. En effet, les habitants de ces quartiers n’ont pour image de l’État, bien trop souvent, que ses facettes répressives ou administratives. Ces dernières, lorsqu’elles ne sont pas assimilées à de la répression, semblent bien constituer alors pour eux le symbole d’une oppression. Il ne paraît donc pas inutile de s’interroger sur les causes de cette perception dans les couches défavorisées de notre population.

L’administration... Un terme vague, qu’il importe de définir dans l’optique de cette perception, laquelle n’est d’ailleurs pas si éloignée de celle que nous en avons tous quotidiennement. Si cette entité tentaculaire regroupe des services publics dispensant des aides et des revenus comme les allocations, elle est aussi constituée des services ayant en charge de reprendre : ce sont les impôts et taxes, sous toutes leurs formes, mais aussi la redevance télévisuelle, par exemple. Comme pour toute perception, nous retenons plus efficacement les ressentis négatifs que l’inverse, c’est le phénomène du train en retard. Pour combien de citoyens l’administration est-elle perçue en priorité négativement par la simple association aux impôts ou au Trésor public ? Les habitants des quartiers difficiles vivent chaque jour une situation non seulement d’exclusion, mais aussi de discrimination. L’administration française, malheureusement, n’échappe pas à cette mauvaise contribution. Par un phénomène tout à fait compréhensible et naturel, les postes publics administratifs échoient à des Français disposant du niveau scolaire suffisant pour réussir le concours d’admission. Or, ce niveau scolaire est de plus en plus rarement atteint par les habitants de ces quartiers qui, lorsqu’ils le peuvent, n’accèdent bien souvent qu’aux postes de voirie ou de nettoyage public. Il s’ensuit un sentiment de relégation aux postes perçus comme les plus dégradants, à l’image de la situation de leurs parents ou grand-parents que l’on a fait venir pour effectuer les tâches les plus ingrates. Ce sentiment les conduit à croire que l’État ne veut d’eux que pour cela, puisqu’ils ne se sentent pas toujours responsables, parfois à juste titre, de leur insuffisance scolaire. Ces effets d’image sont accentués jusqu’aux services communs, comme la télévision publique. Lorsqu’il s’agit de payer la redevance, alors que la discrimination est flagrante sur nos écrans, comment s’étonner de l’amplification de ce phénomène ?

À ces discriminations qui constituent la face émergée de l’État s’ajoutent les exclusions et incompréhensions administratives. En effet, par tradition, notre administration adopte un langage hermétique, un culte du silence et du secret, d’autant plus incompréhensibles pour le citoyen lambda que son niveau d’éducation est faible. Les parents immigrés ont eu les plus grandes difficultés à s’y adapter, et pour beaucoup d’entre eux, n’y sont jamais parvenus sans se faire aider par des assistantes sociales. En vieillissant, ils s’attendaient donc légitimement à ce que leurs enfants les secondent dans toutes leurs démarches. Mais ceux-ci se retrouvent, en trop grande partie, en échec scolaire, d’où un sentiment d’exclusion qui est pratiquement perçu comme une fin de non-recevoir, puisque de toute façon il leur faudra payer, sans même parfois comprendre pourquoi. Si l’on ajoute à cela leur exclusion de la représentation politique, et la perception bien réelle des corporatismes qui sont quasiment les seuls pourvoyeurs de l’État en dirigeants politiques et administratifs de haut niveau, donc les plus médiatiques et visibles, il nous faut bien comprendre que le fonctionnement de l’État génère en eux un sentiment de discrimination d’autant plus fort qu’ils n’ont aucun moyen de se soustraire à son administration. Tous ces sentiments, ces rejets, sont fondés sur une ignorance du fonctionnement de nos institutions, aisément compréhensible puisqu’il faut parvenir jusqu’à certaines études supérieures pour en apprendre le fonctionnement. Il n’est pas rare, loin s’en faut, d’entendre nos adolescents, même s’ils ne font pas partie de quartiers difficiles, confondre tous les pouvoirs sous le même chapeau : police municipale ou nationale, justice, agents municipaux, élus, tout cela pour eux ne représente que bien trop souvent une seule et même forme d’autorité. Comment leur demander d’être un citoyen actif et responsable, alors qu’on leur a supprimé l’instruction civique, puis le service national ? Pour revenir sur cette situation, réduire ces injustices, il nous faudra non seulement repenser l’exercice politique, mais aussi, et surtout, notre administration.

Nous avons peut-être perdu une partie non négligeable de notre jeunesse, il s’agit expressément aujourd’hui de passer aux actes afin de ne pas perdre la génération suivante. Nous ne pourrons nous exonérer ni de ces erreurs, ni de ce mépris. Quoi que l’on pense ou dise de cette catégorie de notre population composée de ces adolescents défavorisés, elle est le miroir de notre société malade. Elle nous renvoie, collectivement, non seulement nos carences mais aussi notre manque de considération et notre mépris vis-à-vis de leurs parents, à qui on avait promis un avenir meilleur pour leurs enfants. Ces derniers ne savent pas ce qu’est le travail valorisant, et ne connaissent pas l’État dont ils portent la nationalité. Mais pis que tout, beaucoup d’entre eux ne savent même pas ce que représente l’éducation et la culture, qu’ils qualifient parfois de “bouffonnerie”. Ayons la décence de ne pas perpétuer ces graves erreurs, il en va des valeurs mêmes de la France.



10 réactions


  • Emmanuel (---.---.5.65) 24 novembre 2005 13:19

    Même s’il est parfois utile de rappeler que le niveau d’éducation et de connaissance ne monte guère dans les quartiers défavorisé, il est assez difficile de lire que cette jeunesse n’accède pas à un certain niveau. A faire parfois des généralité d’une minorité de personnes, on en arrive à persuader le plus grand nombre que les quartiers difficiles rassemblent uniquement des jeunes violents, à la recherche d’identité et imperméables à toute forme d’éducation.

    La générations des jeunes adultes de ces quartiers a connu, pour la plupart, un cursus scolaire, qui comme ailleurs, s’étale du CP à l’université en passant par les grandes écoles. Au même titre que les autres français, mais dans des proportions moindres il est vrai, certains de ces jeunes suivent des études supérieures, d’autres ont choisi une voie professionnalisante rapide ou pas (en passant par les bac pros). Si bien qu’il n’est pas exacte de dire que les jeunes (en faisant une généralité) des quartiers difficiles en sont au même niveau que leurs parents. En poste dans un quartier dit sensible, je cotoie et des personnes qualifiées et compétentes dans de nombreux domaines, j’aide (ou fais aider) de nombreux étudiants à l’avenir prometteur.

    Je souhaite exprimer par là que les émeutiers de ces dernières semaines n’étaient qu’une minorité de cette jeunesse qui somme toute, dans sa globalité, ne s’en sort pas si mal que cela. C’est sur cette minorité là qu’il faut se pencher et agir tout comme il faut aussi se pencher sur les jeunes, non issus des quartiers sensibles, qui quittent le système scolaire sans qualification.


  • José Peres Baptista José Peres Baptista 24 novembre 2005 13:36

    Emmanuel,

    Je suis d’accord avec vous pour exprimer qu’il s’agit d’une minorité de notre jeunesse qui se trouve en échec scolaire. Cependant il faut bien comprendre que cette minorité cumule tous les handicaps et ne se voit proposer aucun échappatoire, ce qui est incompréhensible dans notre pays. Ce phénomène s’accentue par le simple fait que ceux qui arrivent à s’élever un tant soi peu sortent le plus vite possible de ces quartiers. Mon article n’était en aucun cas une critique envers les acteurs de la vie sociale ou scolaire mais envers un certain aveuglement qui conduit à la stigmatisation d’une telle minorité. D’autre part je ne voulais pas traiter ici des émeutiers mais des difficultés cumulées de ces minorités. Malheureusement, pour ces minorités, l’échec scolaire n’est qu’une facette de plus de leur exclusion par un système qui leur semble de moins en moins accessible ou même compréhensible. Comme je l’ai écrit, c’est le cumul de ces ignorances et incompréhensions qui provoque un fort rejet. sinon ils seraient comme bon nombre de Français, pas exclus mais tout simplement râleurs. smiley


  • angel (---.---.88.154) 24 novembre 2005 20:19

    cher josé, ton article m’a fait sauter au plafond:mais d’ou viennent tes sources ?? Le gros probleme de l’etat francais et des francais(es)sont les prejugés. ces derniers proviennent tous simplement des mots« generation issue de l’immigration » « l’integration des jeunes » blah blah blah.... On a oublier que la majorite de cette generation est nee en France et par consequence est francaise.Pourquoi parler d’integration ? pourquoi parler d’immigrants ? de plus je trouve ton article superficiel ,condescendant et arrogant. Comment peut-tu globaliser les immigrant de cette facon(non eduquer,qui ne parviennent pas dechiffrer le langage administratif et tous juste capable de metier devalorisant) mais dans quel monde vis tu ? la pluspart des immigrés,les parents surtout, ont une education superieure dans leur pays d’origine et bien souvent ne trouvent que des boulots minables en france a cause de leur statut d’immigrant et de leur couleur de peau. la nouvelle generation francaise des banlieues ou des quartiers difficiles n’est pas totalement ignorante.On trouve generalement de tout : des etudiants en etudes superieurs dans des domaines varies(droit-medecine-socio-psycho...) le ras-le bol est cependant partagés chez tous car la premiere chose que la france a relegué au dernier plan est celle qui enmenerai la paix a tous:le respect de chaque etre humain et de mettre enfin en pratique les valeurs tant cité de la Republique francaise : liberté, egalité, fraternité. angel.


  • José Peres Baptista José Peres Baptista 24 novembre 2005 20:36

    Maintenant, effectivement l’interprétation est libre et sujette à diverses interprétations, j’ai choisi la mienne d’après mon vécu. smiley

    Voir : http://web.upmf-grenoble.fr/cours/scadmi/intro.htm http://www.cevipof.msh-paris.fr/publications/enquetes/rapp_fi.pdf


  • angel (---.---.88.154) 24 novembre 2005 21:01

    ce qui veut dire que tu peut te permettre de juger des gens juste par ton experience vecu ? lorsque tu ecris un article de ce genre aie au moins l’amabilite de baser tes faits sur une realite pas sur ton experience vecue,qui n’est qu’une infime partie de la verite. merci. angel


  • José Peres Baptista José Peres Baptista 24 novembre 2005 22:39

    Angel,

    Je choisis la mienne en la pondérant et en partant du principe que je ne dois pas être le seul.

    Vous êtes libre d’y apporter un démenti argumenté.


  • Sylvio (---.---.240.250) 24 novembre 2005 23:21

    Les 2 problèmes que vous soulevés sont pour moi liés :
    - Les discriminations font que des jeunes se sentent rejeté (à juste titre) de la France. Ce rejet comme le dit José, provoque un rejet des institutions françaises en général et notament de l’école (comme tout adolescent perturbé par un divorce pourrait plongé dans l’échec scolaire).
    - De plus, il faut souligné que ces personnes vivent dans des conditions sociales qui n’arrangent pas les choses, le chômage ne valorise jamais l’image des parents, ni l’image du travail.

    Maintenant comme le dis Angel, d’une part il ne faut pas généralisé car ils ne refusent pas tous en bloc les institutions, et seul les plus ignorants, font l’amalgame entre école et police par exemple. Bref une grande partie de ces français réussissent bien à l’école car ils voient là, la seule façon de s’en sortir contrairement à certains fils de « bourge » (j’en ai connu beaucoup qui soit arrête l’école par flemme, soit passe de belles et longues années sabatiques à l’université) qui n’en branle pas une car ils savent que papa a de l’argent et leur trouvera un bon petit boulot. Pour en finir, d’autres dans les cités, sont malgré tous dans de meilleure condition sociale (relative) ou familiale et réussisent à l’école (ou échouent ça arrive aussi il n’y a pas forcément un lien direct de cause à effet)

    Bref, tout le monde est différent, autant entre nous tous qui lisons Agoravox, autant entre tous les français, autant entre tous les jeunes de ces cités. Il ne faut pas généralisé même si c’est sûr que ces jeunes vivent tous dans la même discrimination et n’ont jamais des conditions sociales très favorables.

    Heureusement, et il ne faut pas l’oublié, ces jeunes qui ont participés à ces émeutes sont une minorité parmi ces jeunes (heureusement aussi car sinon ça aurait été un carnage bien pire). Je pense que la majorité de ces jeunes gardent l’espoir d’une vie meilleure (sinon comment vivre) même si la forte discrimination et la pauvreté leur met des batons dans les roues pour avancé.

    Ces émeutes ont eu l’avantage de réveiller les politiques et le français, malheureusement elle les a bien divisé en 2 camps, vous devinez lesquels, qui en profitent et qui en tire vraiment son épingle du jeu.


  • Gaëlle (---.---.158.75) 25 novembre 2005 09:33

    Lien très intéressant à consulter...


  • Bergame (---.---.39.204) 27 novembre 2005 01:10

    En tous cas, ce qu’il faut constater, c’est qu’il n’y a que deux interprétations des dernières violences urbaines : La situation socio-économique, ou la tension ethnique. Selon moi, il ne fait pas de doute que ces deux interprétations appartiennent à deux schemas explicatifs traditionnels qui sont globalement « de gauche » et « de droite ».

    Mais pour moi qui ai eu l’occasion de vivre dans des pays dont la politique socio-économique était globalement plus libérale qu’en France, je veux dire que je reconnais tres bien la manière de traiter et d’interpréter les problèmes sociaux dans l’explication ethnique.

    Si on va d’ailleurs un peu plus loin dans la reflexion, il faut bien comprendre que le modele social liberal est fondamentalement un modele pluri-ethnique. C’est-a-dire que c’est un modele qui repose sur le respect des droits de chacun, y compris, c’est vrai, des minorités, mais qui ne traite pas les consequences sociales de son modèle « ouvert ». C’est donc un modèle qui, systemiquement, tend a l’accueil de populations heterogènes, mais les cantonne dans les zones périphériques. C’est-à-dire, qui crée lui-même l’assimilation entre hétérogénéité ethnique et pauvreté.

    Par conséquent, on peut considérer ceci : Les tensions ethniques, générées par le modèle social libéral, permettent de justifier les problèmes socio-économiques générés par les carences de ce même modèle libéral en le domaine.


  • Ahmed REZGUI (---.---.60.33) 19 mars 2007 16:24

    C’est un phénomène qui mérite son nom, nous parlons de démocratie, mais rarement de littérature du fait que la majorité des hommes politiques sont dans l’inculture dans ce sens, au même titre que de la philosophie ou autres sciences, techniques ou théologiques et autres. Cette inculture globalisée nous ramène vers cette violence fortuitement gratuite, et les agences de relations publiques fautes de médias journalistes indépendants, nous amènent vers cette violence marchande, et le cas de la question de la prolifération nucléaire s’impose. Comment se fait-il que l’ont essaye de nous vendre une guerre nucléaire en accusant des pays d’être des voyous, alors qu’ils ont acquis cette technologie par des moyens légaux dés lors, qu’ont leur a vendu ces process depuis une quarantaine d’années, et qu’ils ont financé une bonne part de la recherche en étant actionnaires de certains dispositifs de premiers plans. Quand les gouvernants et leurs médias démagogiques, et qui fonctionnent à contre courant de ce qui a été signé comme traités ou accords, il est de notre devoir nous citoyens, de les contrôler et de les virer, au même titre que les multinationales qui veulent façonner la planète en un seul uniforme à coup de billions de dollars. C’est pire que la dictature du prolétariat, du maoïsme et du communisme réunis, ce capital ultra-libéral nous ramène au moyen age.


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