jeudi 5 mars 2020 - par Jérôme Henriques

L’étiquetage des produits végétariens : un enjeu de société majeur

Le marché végéta*ien est en plein essor. Face aux scandales sanitaires, à la problématique environnementale et aux questions liées au bien-être animal, de plus en plus de consommateurs se tournent vers l'alimentation végétale. Un phénomène qui ne va pas sans en irriter certains. Lesquels ont décidé de combattre ; sur le terrain de l'étiquetage ...

 

Saisie par un tribunal allemand dans le cadre d'un litige opposant une société de produits végétaux (Tofutown) et une association berlinoise de lutte contre la concurrence déloyale, la cour de justice européenne rend un arrêt (le 14 juin 2017) qui stipule : les produits purement végétaux ne peuvent pas, en principe, être commercialisés avec des dénominations telles que "lait", "crème", "beurre", "fromage" ou "yoghourt", ces dernières étant réservées par le droit de l'Union aux produits d'origine animale" (1). En gros, le lait de soja n'est pas du lait, pas plus qu'un fromage à base de tofu n'est du fromage ou que le "soy butter" n'est du beurre. Et pour ceux qui prétendraient avoir toujours connu ce genre d'appellations (lait/crème de soja, yaourt au soja ...), l'arrêt renvoie à une liste d'exceptions ("lait d'amande", "lait de coco", "beurre de cacao", "beurre de cacahuète", crème de marrons", "crème de cassis", "fromage de tête" ... cf le règlement n° 1234/2007 (2) + la liste de la commission européenne (3)), dans laquelle les produits à base de "soja" et "tofu" ne figurent pas.

A peu près à la même période, en France, ce sont deux marques de fromages végétaux (Petit Véganne et Tomm'Pousse) qui se voient interdire l'utilisation du mot "fromage" (même lorsqu'il est suivi du supplétif "végétal")(4). En cause, le décret n°2007-268 (datant du 27 avril 2007)(5) relatif aux fromages et spécialités fromagères, lequel réserve cette appellation "au produit ... obtenu à partir des matières d'origine exclusivement laitière ... lait, lait partiellement ou totalement écrémé, crème, matière grasse, babeurre, utilisées seul ou en mélange ..." Un décret dont on découvre l'existence avec l'émergence des produits végans, et dont on se demande pour le coup pourquoi il n'avait jamais été utilisé avant : les pizzas/lasagnes soi-disant au "fromage", mais qui contiennent en réalité un analogue (bon marché) vous connaissez ?

2018 : l'offensive "carniste" s'accélère. Plutôt que de résoudre des dossiers/litiges au cas par cas (en fonction des lois existantes), il s'agit désormais de prendre des devants (grâce à de nouvelles lois). A la manoeuvre, le député LREM J.B. Moreau (éleveur bovin de profession), qui se trouve également être le rapporteur du projet de loi Egalim (Agriculture et alimentation)(6). En avril (lors de l'examen du projet de loi en commission des Affaires économiques), celui-ci réussit à faire voter un amendement sur les produits simili-carnés (7) ; un amendement qui interdit les appellations "steak", "filet", "bacon", "saucisse" à "des produits qui ne sont pas uniquement, ou pas du tout, composés de viande". Une manière, selon le député, de lutter contre "certaines pratiques commerciales trompeuses", mais aussi de défendre la filière agricole française (produisant, selon lui, "de la viande de qualité et de manière respectueuse"(8)).

Petit problème : en octobre (de la même année), le conseil constitutionnel annonce qu'il censure près d'un quart des articles d'Egalim (les jugeant sans lien avec l'objet initial du projet de loi) (9) ; dont l'article sur l'étiquetage végétarien. Qu'à cela ne tienne : le projet est retiré mais renaît l'année suivante (2019) sous forme d'une proposition de loi (portée par les groupes LaREM et MoDem à l'assemblée nationale). Baptisée "transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires", la nouvelle loi est finalement adoptée en décembre 2019 (10) ; avec un article du même acabit que dans le projet initial : "les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour ... des denrées alimentaires comportant des protéines végétales" (article 2 Ter, obtenu grâce aux amendements de M. Le Fur et J.B. Moreau (11)).

En 2019, la question des appellations s'invite également au niveau européen. Ainsi l'eurodéputé français Éric Andrieu (PS), rapporteur de l'un des 3 volets de la réforme de la PAC (l'organisation commune des marchés), propose t-il de l'évoquer dans le texte de la nouvelle PAC (post-2020) (12) ; avec un amendement stipulant que "les désignations 'steak', 'saucisse', 'escalope', 'burger' et 'hamburger'" ... sont réservées exclusivement aux produits contenant de la viande" (13). Un amendement qui, lors de son passage en commission de l'agriculture et du développement rural (AGRI) du parlement européen (avril 2019), est approuvé par 80 % des votants ; lesquels se permettant même au passage quelques suggestions : remplacer l'appellation "burger" par "disque végétarien" par exemple ... (14)

Dernier épisode en date, en France, la montée au créneau de la Dgccrf (direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes), qui publie (en janvier de cette année) le compte-rendu d'une enquête qu'elle a menée sur les denrées végétales (15). Un compte-rendu dans lequel on peut lire que les produits végétaux "cultivent l'ambiguïté", "puisent dans le registre des produits d'origine animale" et utilisent des "dénominations de vente et de présentation qui peuvent tromper le consommateur". Curieusement, le texte reconnaît que les produits végéta*iens sont généralement beaucoup plus chers (2 à 4 fois plus chers) que leurs homologues "carnés", mais cela ne change apparemment rien à la tromperie (confondre un "bacon végétal", même plus cher, avec du vrai bacon, c'est possible apparemment).

On peut trouver surprenant, à une époque de malbouffe généralisée (nourriture industrielle, fast-food ...), de campagnes de communication/publicité débridées (allégations santé, environnementales, sur le bien-être animal ...) et d'explosion de maladies dites "civilisationnelles" (obésité, cancer, diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires ...), de constater à quel point nos politiques et institutions peuvent tout à coup se montrer pointilleux sur la question de la bonne information des consommateurs. Et s'intéresser pour le coup aux autres produits de consommation courants ; lesquelles devraient en principe être soumis aux mêmes obligations de transparence et d'information que les denrées végétales ... Ce qui est loin d'être le cas.

Connaissez vous les yaourts/desserts/confiseries à la vanille ... sans vanille ? La grande majorité de ces produits ne contiennent pas l'épice exotique (issue du fruit du vanillier) mais un agent de synthèse appelé vanilline. L'emploi du mot "vanille" est pourtant légal (Cf la directive 88/388/CEE (16), transposée en droit français par le décret du 11 avril 1991 (17) et l'arrêté du 11 juillet 1991 (18)) ; de même que le dessin d'une fleur/gousse de vanille sur l'emballage. Quant à l'appellation exacte du produit, combien savent la différence entre "arôme de vanille" ou "goût/saveur vanille" (qui correspond à la fausse vanille) et "arôme naturel de vanille" (vraie vanille) (19)(20). Autre subtilité : savez-vous qu'un yaourt "goût vanille" peut comporter la mention "arômes naturels" si ce goût a été obtenu grâce à des ingrédients naturels (fermentation d'acide férulique à partir de son de riz ou de pâte à papier par exemple). Même chose pour les produits "goût pomme", ou "pêche", "fraise", etc., lesquels ne contiennent parfois pas d'autres fruits que ceux dessinés sur l'emballage.

Autre exemple : les ingrédients cachés. Savez-vous que certains produits censés être végéta*iens contiennent en réalité des produits animaux ? On peut citer le cas de la présure, une enzyme digestive récupérée dans l'estomac des veaux ou chevreaux et utilisée dans la quasi-totalité des fromages ; de la gélatine de porc ou de boeuf incorporée aux yaourts ; du castoréum, une sécrétion issue des glandes anales de castor et utilisé dans certaines sucreries ; des "colles" (ichtyocolle/poisson, gélatine/porc, caséine/lait de vache, blanc d'oeuf) utilisées dans la bière et le vin ; de certaines secrétions de l'insecte cochenille (acide carminique, shellac), que l'on retrouve dans certains jus de fruits, glaces, etc (21)(22)(23). Quelles informations pour le consommateur ? Certains ingrédients sont absents de l'étiquette (présure, colles), quand d'autres sont désignés de manière incomplète ("gélatine") ou par leur code alimentaire (E120/E904 pour la cochenille ...) (cf notamment le règlement n° 1169/2011 (24), articles 19, 21, annexes II, V)

Un manque de transparence qui touche aussi à la santé. Par exemple avec les graisses hydrogénées ; ces graisses dont on sait aujourd'hui qu'elles augmentent le risque de maladies cardiovasculaires et de cancer du sein ; et que l'on retrouve pourtant dans une multitude de produits industriels : viennoiseries, pain industriel, pâtisseries, biscuits, barres chocolatées, pâtes à tarte, plats préparés, margarines, chips, croûtons, soupes lyophilisées ... Le consommateur est-il suffisamment informé de la nocivité de ces graisses ? Et quand bien même le serait-il, sait-il que leur présence n'est pas forcément mentionnée sur l'étiquette ; que la simple mention "huiles ou graisses végétales" (sans le supplétif "hydrogénées") suffit ? (Cf le règlement n° 1169/2011, annexe VII.8)(25)(26)

Ingrédients cachés, appellations incomplètes, trompeuses ... Que pensent les adeptes de la transparence alimentaire des pizzas/lasagnes/cheeseburgers au "Lygomme ACH Optimum" ? Un substitut de fromage (ou "fromage analogue"), qui ne contient aucun lait, coûte environ 2 fois moins cher que le vrai et que les industriels se gardent bien de mettre en avant (27)(28)(29)(30). Un nom de pizza classique ("margarita", "reine blanche" ...), une belle photo sur l'emballage, et le tour est joué. Qui aura l'idée d'aller lire en petit (sur l'étiquette) la liste des ingrédients pour y détecter la présence du faux-fromage (mentions "galactomannane", "carraghénane" ou "E 407, 410,412, 417") ? Même chose avec le Scalamix, un produit composé à 50 % de mozzarella et à 50 % d'analogue, lui aussi utilisé pour diminuer (subrepticement) les coûts de revient.

Et enfin un dernier exemple dans le domaine des cosmétiques. "Ingrédients naturels", "d'origine naturelle" ... savez-vous que ces qualificatifs ne sont régis par aucune réglementation ? Juste une norme ISO (16128)(31), laquelle établit les considérations suivantes : un ingrédient est dit "naturel" si il n'a subi aucune transformation chimique, et "d'origine naturelle" si sa part naturelle est supérieure à 50 % (le reste étant obtenu grâce à des procédés chimiques ou biologiques). Des considérations qui n'empêchent pas un fabricant de mentionner que X % de son produit est naturel, alors que même que ces X % peuvent être constitués d'ingrédients inactifs (de l'eau par exemple) ; et qui ne l'empêchent pas non plus d'utiliser des substances controversées (silicones, sulfates, parabènes) dans le pourcentage de produit restant (32)(33).

On pourrait également parler des "minerais de viande" (aponévroses, tendons, nerfs, viscères ...) utilisés dans les plats cuisinés (34) ; des traitements employés pour changer l'apparence de certains produits (le jambon n'est pas rose sans nitrites/nitrates)(35) ; du manque d'étiquetage concernant le bien-être animal (conditions de vie, mutilations subies ...), de l'absence de traçabilité concernant les produits transformés (oeufs cage/plein air ?)(36), des publicités mensongères (animaux gambadant dans l'herbe ...)(37), etc. (38) Une liste trop longue pour ne pas percevoir le part-pris idéologique qui se cache derrière la problématique des appellations végéta*iennes. Un parti-pris qui montre aussi que les choses avancent. "D'abord ils vous ignorent, puis ils se moquent de vous, ensuite ils vous combattent et enfin vous gagnez" dit la maxime. On est apparemment passé au stade 3.



10 réactions


  • Decouz 5 mars 2020 09:43

    Avec les pourcentages on raconte ce qu« on veut, 2% d’huile d’olive et une photo d’olive, voilà un produit à base d’huile, du moins dans le nom. 10% de légumes verts et une photo adéquate et voilà une soupe verte avec une majorité de féculents, c’est l’étiquette, la marque et la photo qui font vendre.

    Sinon je suis partisan de l’interdiction du mot lait à des produits d’origine végétale, à condition que la mesure soit appliquée sur tous les produits, la composition n’est pas la même.

    J’ai aussi été intrigué par l’appelation »charcutier hallal", cette profession étant plutôt liée, je croyais, à la viande porcine, en fait on peut l’appliquer pour d’autres viandes, mais le porc est le principal ingrédient.


  • Decouz 5 mars 2020 09:50

    Souvent tout est dit sur les étiquettes, DLC et DLUA pas pareil, hydrogéné ou non pas pareil, produits dangereux également sur les étiquettes. Mais les étiquettes sont écrites en petit, personne ne les lit ou presque, ou connait le sens des lettres et chiffres désignant les addictifs.

    Par contre on vous met sous le nez en gros et en couleurs les promotions, et là souvent ce sont des produits malsains qui sont en promotion, ou les viennoiseries « maison » qui sont tout autant grasses et sucrées, mais elles sont « maison » soit-disant.


  • tashrin 5 mars 2020 11:26

    enjeu majeur, j’irai ptet pas jusque là

    Je suis d’accord avec vous sur la dissymétrie de traitement entre produits carnés et végétariens. Ils devraient être soumis aux mêmes contraintes de transparence et d’étiquetage dans l’optique d’ameliorer l’information du consommateur. C’est ça qui irait dans le bon sens... L’exigence de précision n’est pas à dénoncer, mais au contraire à développer de façon à ce qu’elle soit appliquée à tous les produits.

    C’est une guerre de lobbyistes...

    Ceci étant, si les industriels appellent steak de soja une simple galette, c’est pas non plus pour rien et encore moins innocent. Apres tout, personne ne les empeche d’appeler ca galette végétale, ou rond de sciure s’ils le souhaitent. Sauf que le but n’est pas de renseigner les acheteurs de produits vegan, mais de grapiller des parts de marché sur les consommateurs de barback en surfant sur l’air du temps. Donc on adapte le discours à la cible

    C’est un artifice marketing qui vise à rassurer le consommateur en lui « permettant de retrouver ses repères » par l’utilisation de termes connus et représentatifs utlisés par des concurrents. C’est constitutif de concurrence déloyale, voire de parasitisme si on pousse le raisonnement

    Les vegan ont déclaré la guerre aux produits carnés, forcément ça génére des réactions. Quel leurs « ennemis » jouent leurs cartes en les empechant d’avoir recours au pillage de leur image, je vois pas bien en quoi ce serait pas comprehensible


  • finael finael 5 mars 2020 12:27

    Marre de ces conneries !! smiley

    Si les végans et autres ne veulent pas manger ou utiliser des produits animaux c’est leur droit ... encore que 

    ça tue leurs enfants

    Mais qu’ils prétendent imposer leurs choix à la société, c’est non seulement mauvais pour la santé

    des produits ultratansformés  à base de soja autrement dit de phyto-oestrogènes 

    que les résultats pour le moins ne sont guère brillant

    Une propagande qui évite de rappeler que bien des ex-végans abandonnent et que même leurs gourous quittent le navire


    • taketheeffinbus 6 mars 2020 15:01

      @finael

      Qui pensez vous être pour penser avoir le droit de mettre toute une frange de la population aux idéaux communs, dans le même panier ?

      C’est affreux, de faire des généralités, c’est de la que naissent la haine, et les discriminations, et tout ce qui s’ensuit.


  • zygzornifle zygzornifle 5 mars 2020 12:39

    A quand les contrôles sur les politiques qui nous empoisonnent la vie avec leurs discours enrobés de mensonges .....


  • agent ananas agent ananas 5 mars 2020 14:50

    A la place de consommer des aliments transformés industriels, la meilleure façon de rester végétarien (ou végan) est d’utiliser des produits naturels.

    Je sais reconnaître une salade d’une tête de lard ... smiley


  • Sozenz 5 mars 2020 15:18

    quand tu seras malades ou que tes dents tomberont tu t y remettras au regime omnivore . regarde tes dents et dis moi si elle sont celle « d herbivores »

    d autres avant toi ont dejà fait cette aventure de vegetariens : va voir un peu la periode hippy . demande à ceux qui ont fait parti de cette periode où ils en sont ...

    bon courage tu fais ce que tu veux de ta vie . mais va pas faire chier les autres . c’est tout ce que l on te demande .

    les vegans terroristes , non merci !

    ça ne sert a rien de parler de mal bouffe ou de mauvais elevages ou etiquettage, ou de produits transformer pour pousser les personnes à etre végan ; vous mélangez les combats ; donc pour ma part vous etes juste malhonnête.

    ils font meme des produits transformés pour vegan qui ne sont pas bons .

    bref , vegan c est une tendance actuelle . comme cela s est deja produit il y a quelques années ; ça vous passera ; tout simplement pour des raisons de santé .


  • soi même 5 mars 2020 21:13

    Pourvoir voir clair dans le bio, commençons par viré les pavillons de complaisances


  • L'Astronome L’Astronome 7 mars 2020 09:53

     

    L’UE manque de linguistes. Le mot « fromage » vient de « forme » qui veut dire : moule. Le fromage, c’est tout ce qui a été préparé dans un moule. Donc, pas d’allusion à du lait, de la viande ou autre produit animal.

     


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